Saïman peinait.

La fois où il s'était débarrassé de tout son attirail d'isolation et de défense l'avait rendu si léger durant ces quelques secondes. Il se rendait compte désormais à quel point cette cuirasse pouvait être pesante sur ses menues épaules. Mais ce n'était pas cela qui l'irritait le plus. Loin de là ! Car depuis plusieurs jours, en dépit de ses efforts pour y échapper, il ne pouvait s’empêcher de reporter son attention sur la fille de l'orme. Il repensait à son visage bêta. Ces grands yeux ronds comme des fenêtres laissant entièrement passer la lumière, dans un sens comme dans l'autre.

En classe, il l'examinait du coin de l'œil. Plus que ses paroles, c'était le ton sur lequel elle les avait prononcées qui résonnait dans sa tête. Les vibrations d'évidence qui avaient ponctué ses phrases, pourtant vides de bon-sens.

Lui même était discrètement observé par l’enseignante. Saïman savait très bien ce à quoi elle pensait. Ce que signifiait le sourire naissant dans l'ombre de sa bouche. Quand cette dernière le convoqua à la fin du cours, Saïman aurait pu deviner chacun des mots qu'elle allait lui adresser, avant même qu'ils ne se forment sur ses lèvres.

« Saïman, j'aurais une faveur à te demander. Tu es un de nos meilleurs élèves. Tu es sérieux et tes notes révèlent des facultés d'apprentissage indéniables. Seulement il y a des élèves pour qui l’assimilation des connaissances n'est pas aussi facile. C'est le cas d'une de tes camarades de classe. Madeleine, t'en souviens-tu ? Madeleine hum… a besoin de temps… de guidage dans sa réflexion pour parvenir à des résultats convenables. Voilà pourquoi, si tu es d'accord, j'aimerais que tu lui apportes ton aide, ton soutien. Vous pourriez vous retrouver à la fin des heures de classe, ou pendant la pause déjeuner, qu'en penses-tu ? Il me semble que vous vous connaissez déjà. Le premier pas est fait, n'es-ce pas ? Je vous ai aperçu discuter la fois où elle t'a ston collier. Vous pourriez faire plus ample connaissance. Peut être vous trouveriez vous des goûts en commun. Vous pourriez éventuellement devenir… » Elle hésita.

« …plus familiers. Cela ne serait pas une mauvaise chose. »

Saïman était partit en silence. Sans faire entendre le moindre son. Il savait qu'il aurait fini par retourner la voir, dans tous les cas.

Il s'approcha doucement. En compagnie de son orme, Madeleine ne le vit pas arriver. Il en profita pour l'épier un instant. Elle finit par le déceler et lui adressa un sourire candide. Rien d'autre ne pouvait se cacher chez cette personne que ce qu'on lisait sur son visage. Saïman en était persuadé. Alors il demanda :

« Comment te rends-tu sur la lune ?

- Grâce au narval !

- Que fais-tu là-bas ?

- Oh cela dépend. Parfois, les jours d'affluence, je suis quelqu'un dans la foule tout en imaginant comment est sa figure. Quand je suis fatiguée je m'arrête.

- Y a t-il souvent du monde ?

- Rarement le dimanche. »

Saïman se figea une seconde.

Il ne pouvait croire qu'une telle conversation puisse être déclamée, avec ce naturel effrayant, sans que les foudres du ciel ne s'abattent ici ou là. Une catastrophe devait se produire. Un cataclysme, un fléau, le courroux de telle ou telle divinité. Quelque chose ! Mais rien ne se produisit. Saïman fixait Madeleine. Indolente.

Si un miroir était passait entre eux, à ce moment précis, Saïman aurait bondi de stupeur à la vue de son reflet. Il aurait été frappé d'y découvrir l'expression de sa propre candeur.

Il émit un souffle, ni vraiment d’agacement, ni vraiment d'amusement.

« Il va falloir étudier. » Lança t-il à Mad.

Il s'assit en tailleur à son côté.