Les élèves ne savaient rien de Saïman. Venu d'on ne sait vraiment où sinon d’ailleurs, il demeurait suffisamment proche pour être l'objet de moqueries mais trop distant pour être réellement approché. Cela, c'était Saïman lui même qui l'entretenait. Dans la mélancolie amère de son quotidien neuf, il se gardait bien des jeux et des normes de sociabilité en vigueur. Se contentant d'un strict respect envers les enseignants et de l'ignorance la plus froide à l’encontre de ses camarades.

On ne peut récolter ce que l'on n'a pas semé.

Et bientôt, remplaçant le bourdonnement des messes basses qui accompagnait son passage dans les couloirs, la même indifférence fit place. Une indifférence sage, convenue, satisfaite.

Les membres du cadre enseignant s’en inquiétaient. Saïman était un bon élève. Un élève même brillant. Ne faisant pas de vague. Accomplissant son devoir d'étudiant studieux. Ni moins, ni plus. Toujours avec la même discrétion et la même dignité qui le caractérisaient. Seulement, depuis un mois qu'il était inscrit dans cette école, on ne l'avait vu s'adresser à quiconque. Pas la moindre petite parole en dehors des convenances. Cela alarmait grandement. Certes, l'adaptation est toujours difficile, en particulier dans un cas comme celui de Saïman, mais un blocage si catégorique, si absolu, ne pouvait les laisser impassibles, eux, ses professeurs.

Un après-midi peu ventilé Saïman se présenta devant son enseignante référente. Il était rare de le voir solliciter de lui-même un échange verbal. Celle-ci fut donc immédiatement curieuse de savoir ce que lui voulait le jeune homme.

« J'ai égaré un de mes biens personnels, lui dit-il. Un collier spécial. Ne l'auriez vous pas trouvé dans la classe après le cours ?

Malgré le masque de marbre qu'il essayait de toujours maintenir sur son visage juvénile, on pouvait remarquer une angoisse sincère animer son regard. La professeure s'empressa de répondre :

- Un collier ? Hum…non je n'ai rien vu de tel. As-tu interrogé l'agent d'entretien ? Ou tes camarades… Oh ! Mais je crois bien que j'ai aperçu… »

Cela lui était revenu comme si un courant révélateur l'avait traversé de part en part.

« …Madeleine, sortir en tenant quelque chose dans ses mains, qui l'absorbait tant qu'elle n'en regardait plus devant elle... »

Ce spécimen-là aussi leur causait du souci, dans d'autres mesures…

« Il me semble que cela ressemblait à une chaînette…munie d'un pendentif, peu être… »

Au soulagement qui s'empara du visage de Saïman elle comprit qu'il s'agissait bien du dit collier.

« C'est un bonne chose qu'il ne soit pas perdu. Va la voir, elle te le rendra. Tu la trouveras dans la cour, sous le vieil orme. »

Sans plus de simagrée Saïman remercia cordialement son enseignante et se dirigea vers la sortie.

Mad demeurait bien là où elle devait être. Assise au pied du grand arbre, dans son ombre amicale, elle contemplait encore le bijou, faisant onduler sa chaîne entre ses doigts comme un serpent d’or. Saïman s'approcha. Méfiant. Arrivé à sa hauteur, à une distance raisonnable, il s’éclaircit la gorge et déclara :

« Bonjour. Je suis dans la même classe que toi. Ce collier est mien. Je te prie de bien vouloir me le remettre. »

Il tendit une main pressante face au crâne chevelu de Mad, penchée au dessus de ce qu'il réclamait. Elle ne manifesta aucun signe de coopération, ni même de compréhension. Comme si elle n'avait pas remarqué sa présence. Saïman s'approcha un peu plus et répéta sa demande d'une voix plus forte. Enfin Mad leva la tête.

Ce fut le premier visage que Saïman regarda depuis son entrée sur ce sol étranger.