Troisième chapitre

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D'un pas chantant, Madeleine avançait parmi les badauds de la ville. Le narval devait la récupérer dans trois heures, en attendant elle avait quartier libre. Mad en profitait donc pour découvrir ce que refermaient les rues lunaires.

À son entrée dans la cité, un homme, la voyant peiner pour se déplacer en raison de son poids-plume, lui offrit des souliers de lune. Ces chaussons particuliers déjouaient l'apesanteur et lui permirent de se mouvoir comme si elle se trouvait sur Terre. Elle l'en remercia grandement. C'était une sorte d'artisan, accoudé derrière le comptoir d’une échoppe exiguë croulant sous un bric-à-brac folklorique. Il avait au bec une pipe de verre limpide démesurément longue, à l’intérieur de laquelle se propageaient des volutes d’une fumée bleu marine, dont Mad n’avait pu détacher ses yeux.

L’homme avait baragouiné entre deux bouffées :

« Non, non, je t'en prie. C'est notre devoir de venir en aide aux Lointains.

- Les Lointains ? interrogea Mad en inclinant la tête sur le côté, à la manière de certains chiens dubitatifs.

- Il est clair que tu es une Lointaine. Tu viens de l'Orange. »

Il pointa du doigt la Terre dans le ciel, qui parut alors à Mad étrangement froide. Reconnaissant tout de même sa planète d'origine elle acquiesça lentement.

L'homme avait simplement souri sans rien ajouter, expulsant un large nuage de fumée opaque.

Mad détaillait ses souliers neufs. En dépit de leur jolie matière vermeille, le bout recourbé vers l'arrière d'un air mutin, elle regrettait un peu ses tongs.

Sous un ciel du plus intense des bleus de nuit, étincelant d'astres et d'étoiles mouvantes, les maisonnettes s'alignaient le long de l'avenue. Des maisons rondes, cubiques ou triangulaires, de couleurs unies et tendres, qui se juxtaposaient courtoisement. Parfois une balustrade ornait une façade ou bien une jardinière faisait s'épanouir de petites fleurs à l'aspect métallique. Et toujours l'éternel sable de lait qui s'étendait en long tapis de nacre, passerelles entre le pêle-mêle des bâtisses et le noir des cieux. Dans ce plaisant tableau, les promeneurs allaient et venaient sans plus d'émoi que nécessaire.

Mad trouva un banc qui lui parut charmant, un peu en retrait de la rue. Elle se posa sur les morceaux de fer forgés en arabesques qui le constituaient. De là elle put mieux observer. Elle guettait les passants qui soulevaient de petits nuages de poussière sous leurs pas feutrés. Les gens de la lune ne ressemblaient pas tout à fait aux terriens, bien qu'on ne puisse pas soutenir une disjonction totale entre Lointains et Lunaires. Mad sautait de visage en visage. Chacun, comme ceux de la Terre, possédait sa particularité, sa gemme disait-on ici. Certains avaient le nez droit et long, les yeux amandés, d'autres le menton pointu, le front large, ou les joues vallonnées. Globalement rares étaient les individus n'ayant pas les traits fins ou l'anatomie harmonieuse. Il n'y avait aucun doute, la population de la lune était belle. Une beauté collective, homogène.

Mad remarqua tout de même une distinction notable chez les gens de la lune. Certains, adultes ou enfants avaient le teint de craie. Aussi pâles et tout à la fois lumineux que le doux sable des dunes lunaires. D'autres, au contraire, possédaient la peau mate. Un acajou aux magnifiques nuances bleues et voluptueuses. Plus tard on lui apprendrait que les blancs de teint sont issus de la face visible de la lune, dans la capitale de laquelle elle se trouvait en ce moment. On les nommait le Peuple Clair. La seconde capitale de la lune se situait à l'exact opposé de sa jumelle, sur la face cachée de la lune. Il suffirait à Mad de creuser le sol à ses pieds, tout droit, jusqu'à ressortir de l'autre versant, et elle se retrouverait en plein cœur de la capitale du Peuple Sombre. Là où la couleur du sable est plus intense encore que le ciel galactique.

Les visages sombres et clairs se croisaient, se mélangeaient et se confondaient dans la sereine agitation citadine.

Les deux peuples étaient beaux. Les Sombres aux lèvres cobalt et les Clairs aux paupières de porcelaine. Mais il en était d'autres dont la superbe dépassait incontestablement celui de leurs semblables. Ceux que l'on appelait les Cendréals étaient d'une beauté telle que les mots se trouvent incapables de les décrire tels qu'il est possible de les voir.

Les Cendréals étaient issus de l'union entre le Peuple Sombre et le Peuple Clair. Il en résultait des enfants ni tout à fait de lumière, ni tout à fait d'ombre. Semblant constamment glisser de l'un à l'autre des éclats. Une fluidité minérale. Insaisissable. Chacun regroupait les qualités et atouts des deux Peuples. Les réunissant en un mélange qui surpassait ces même qualités chez une simple beauté claire ou sombre.

Un papillon sphinx d'azur et d'argent vint déposer un baiser sur la bouche de Mad avant de repartir, batifolant de plus belle. Mad ressentit le besoin de se déplacer.

Elle alla rejoindre le roulis mélodieux de la rue. Se fondant dans le camaïeu de peaux noires, blanches et grises. Elle arriva bientôt dans le quartier marchand. La voilà traçant son chemin entre les étalages bucoliques exposants tout un tas d'objets et de produits, de diverses natures et de diverses provenances, que je vous laisse libre d’imaginer par vous même.

Tourbillonnant de joie et d'exaltation, une troupe d'enfants se pourchassait au cœur des remous affairés. Glissant et slalomant entre les obstacles inertes ou animés insoucieux de leur galopade. Quand ils passèrent près d'elle, Mad les entendit fredonner une ballade, entrecoupée de rires espiègles.

Ce qui mordait le ciel

La Lune seule le sait

Il est minuit à l'Univers

Et la nuit garda son secret…

Les mots du couplet rebondissaient de bouche en bouche comme une balle que les gosses se chamaillaient jovialement. Mad qui tentait de suivre du regard les petites têtes sautillantes bouscula un flâneur. Celui-ci quitta des yeux la boite de bois sculptée en forme de hanneton, qu'il examinait dans ses mains curieuses devant l'éventaire d'un artisan sommeilleux, pour les poser sur elle.

« Eh bien ma précieuse, où vas tu donc ?

- C'est à dire que… je l'ignore… répondit-elle, décontenancée par cette inattendue question.

- Alors rends-toi vite chez une liseuse de sable. Il faut savoir ! »

Intriguée. Mad se renseigna. Où trouvait-on une liseuse de sable ? On lui indiqua une enseigne dans une ruelle adjacente. La devanture de la maison avait la couleur calme et énigmatique de certaines étendues d'eaux sauvages. Une file d'attente s'échappait de l'unique ouverture du bâtiment dont l'intimité était protégée par un large tissu arborant un croissant de lune. Mad prit place en bout de queue. Le temps d'attente fut conséquent mais le vent lunaire, celui au goût sucré, lui tint compagnie. Quand ce fut son tour, elle souleva le drap au croissant et s'enfonça dans les ténèbres de la pièce. De l'extérieur on aurait dit que la maison la dévora.

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