La joie

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Il gueulait avec envergure, je le regardais gesticuler, j’avais coupé le son, en interne. Je pensais il va faire un infar, là il va tomber mort et ce sera cool, j’aurai peut-être le temps de le prendre dans mes bras, le consoler un peu, j’aime bien les agonisants, puis terminus, ciao bello. Mais non, il tenait le coup. Alors je m’étais rabattue sur le cancer de la prostate, après tout il vieillissait, ces trucs-là peuvent être vicieux, atteindre les reins, puis les os, puis ciao bello. J’avais ramené un feuillet de prévention de chez le médecin, tu ferais pas un contrôle, rien à foutre, va faire une mammographie toi-même chieuse. Il s’était acheté une tronçonneuse, il y avait un pin sylvestre de deux cents mètres de haut à couper avant qu’il ne nous écrase lors de la prochaine tempête, je lui ai suggéré, on va quand même pas gaspiller, fais-le toi-même, monte tout en haut, coupe la tête, continue tranche par tranche, ça doit pas être si difficile, t’as fait de l’escalade plus jeune, non ? Prends une corde. Il a ri. Carrément ri. Et a appelé une entreprise d’élagage. Il partait en voyage, en Pologne, fais attention sur l’autoroute, méfie-toi des camionneurs roumains, ils roulent en regardant des films de cul et mangent des brochettes brûlées, puis ils écrabouillent les petites voitures françaises. T’inquiète pas, je sais conduire moi. Alors je mettais une bougie et priais Saint-Christophe. Une frontale, une collision en chaîne, un pneu crevé, aidez-moi, cher Saint, doux Saint.

Je me répétais que la vie réserve toujours des surprises, une noyade à la piscine municipale, une poutrelle qui se désoude au supermarché, un câble électrique décalotté. J’étais créative, je faisais des listes pour m’endormir, j’aime les listes.

J’imaginais l’enterrement, il n’était pas catholique, il était communiste, athée convaincu, je lui payerais une super messe, je prendrais le nouveau curé noir celui avec l’accent de sketch raciste, un vrai Africain qui aime s’habiller en mauve et chanter en tapant des mains pour les funérailles. Peut-être même que je tenterais de frotter mes fesses sur sa soutane aubergine et or, assouvir mes ultimes fantasmes, baiser un curé, baiser un noir, baiser devant un cercueil. Je m’endormais en souriant, que de beaux projets la vie me réservait encore.

Parfois je m’imaginais ce que je ferais avec l’assurance vie, je riais en pensant la verser au fond français pour la recherche nucléaire.

Mais voilà, comme le matou de Steve Waring, il revenait le jour suivant, il était toujours vivant.

Je n’avais pas l’énergie d’intervenir, le désespoir était trop lourd. Je préparais mes valises, elles aussi étaient lourdes. Je restais.

Puis un jour il y eut ce truc dingue, ce petit miracle, métamorphose du quotidien, douceur et candeur, le soleil riait, l’amour brillait, joie et bienveillance, les oiseaux et les petites souris applaudissaient du bec. C’était cool, le bonheur m’arrosait de majuscules. J’avais recommencé à prendre de l’héro.

Amour
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La joieChapitre29 messages | 4 ans

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