Le don 1/3

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Féréol et les smilodons respiraient à peine, quand l’imam s’agenouilla au centre du cercle des feux et commença sa prière. À l’image du chant des jumelles, les feux entamèrent un ballet de flammèches multicolores, formant un anneau d’énergie. Il semblait émaner de Djibril même, et englobait les feux. Féréol et les smilodons gisaient à l’intérieur de ce cercle. Tout autour, des hommes-dragon s’occupaient de nourrir les bûchers. Fanchon entra dans le cercle et se mit à danser ; la Divarvel, passant d’une main à l’autre, luisait de plus en plus fort. Les flammèches ne furent plus que lumières pures. La danse lente de la femme ressemblait à une chorégraphie de taïchi. Elle se transforma en mi-loup. L’Okami mêla son chant à sa danse et à la prière du croyant, intensifiant le partage d’énergie.

*

De l’entrée de la grotte, Eoline, la femelle smilodon et les sapiens regardaient le rituel avec appréhension. Le poids sur la poitrine des femelles augmenta, signe que leurs mâles reprenaient vie.

La lumière s’intensifia jusqu’à inonder tout l’espace, aveuglant les humains, les mi-loups et la tigresse à dents de sabre. Puis ce fut comme si elle était aspirée par le centre de la grotte, à l’emplacement même où se trouvait Djibril. Quand tout fut fini, l’imam avait disparu ; les corps qui gisaient quasiment morts étaient détendus et respiraient la sérénité.

Eoline et la tigresse n’attendirent pas de permission pour accourir auprès de leurs moitiés. Jack et Wolfgang avancèrent plus modérément, cherchant l’imam des yeux. Fanchon se planta devant l’Américain et lui tendit la lame qui avait perdu tout son éclat.

— Elle n’a plus de magie, mais le pouvoir appartient à celui qui s’en servira. Je pense que Djibril sera heureux de la revoir.

Jack regarda l’Okami sans comprendre.

— Quand tu retourneras dans ton monde, il te suffira de chercher la terre natale de la femme pour saluer à nouveau ton ami.

Il prit la dague un sourire doux aux lèvres. Il se tourna vers Wolfgang qui n’avait pas perdu une miette des paroles de Fanchon. Il lut la joie et la paix dans le visage du jeune homme, mais également la fatigue.

— Qu’adviendra-t-il de la forêt de Lilith ? demanda le Marine. Il est devenu dangereux d’y aller à présent.

— Ne t’inquiète pas. Les protecteurs de ce monde savent comment endiguer la radiation. Ce n’est pour nous que de l’énergie. Je l’ai réutilisée pour accélérer la repousse de la forêt. Bientôt elle sera si dense qu’elle deviendra presque inaccessible.

— Il faut venir faire cela chez nous, plaisanta Jack.

— Va à Tchernobyl et tu seras surpris.

L’étonnement qui se peignit sur les visages des sapiens frôla l’effarement. L’Okami se détourna d’eux, les laissant à leurs interrogations.

*

Cara et Baldric furent les premiers à partir. Ils saluèrent les humains avec la même ferveur que les mi-loups. Quand le tour de Jack arriva, Cara lui prit le visage et positionna son front sur celui du sapiens. Ce geste ne provoqua pas le désir qui aurait dû mettre le feu dans les veines de l’homme. Il prit les poignets de la magnifique femme dans ses mains. Ce monde l’avait changé en profondeur, effaçant certaines de ses mauvaises habitudes, purifiant une partie de son âme.

Comme pour Djibril et Wolfgang, Jack versa une larme. Elle coula de sa joue dans un scintillement. La larme devint perle noire qui tomba au sol. Cara lâcha le visage de Jack et la ramassa avant de la déposer au creux de la paume de l’homme à la peau sombre.

*

Leur retour à Cobannos fut accueilli avec soulagement. Les tigres à dents de sabre reformèrent leur clan. Ils partirent dans des effusions qui révélaient la profondeur de la peur ressentie.

Gobos fut amusé de voir que Jack portait le pendentif qu’il lui avait donné, ainsi que la couleur de la perle qui l’ornait à présent. L’état de grande fatigue de sa compagne le laissa avec une impression étrange. Quelque chose avait changé en elle, mais il ne sut dire quoi. Azia le serra dans ses bras. Sa chaleur suffit au forgeron à effacer son trouble. Les jours qui s’écoulèrent le mirent devant une réalité qui le plongea dans un profond désarroi. Azia vieillissait à vue d’œil. Privée de la poudre de vie, la nature et le temps reprenaient leurs droits sur la vie de celle qui fut nommée La Folle, il y a vingt-cinq ans de cela.

Gobos regardait Féréol et les smilodons sans animosité. Il savait que sa compagne avait fait le choix le plus juste. Toutefois, son cœur ne pouvait s’empêcher de saigner.

Quand Fanchon arriva avec Athéna pour veiller sur Azia, il resta dubitatif. Athéna n’était pas là pour soigner la guérisseuse, mais pour l’empêcher de se faire aspirer par l’inévitable décrépitude. Le doute laissa place à l’émerveillement. L’histoire de ce monde n’était écrite nulle part. Avoir devant soi une des rares femmes-dragon existantes était un privilège. Pour la première fois depuis qu’ils se connaissaient, Azia et Gobos avaient l’apparence de deux êtres ayant le même âge. Leur allure de vieux couple de plus de soixante ans prêtait à sourire. Azia et Gobos n’étaient pas dupes. Athéna ne quittait plus la femme, signe de la gravité de son état.

*

L’idée de former une nouvelle meute n’en était plus une. Elle devenait une nécessité. L’enfant-loup à venir et la nouvelle nature d’Eoline incitait Ama et Melchior à mettre tout en œuvre pour leur installation. Sacha y prit part avec une joie manifeste. Féréol avait proposé de donner le nom de l’ancien à cette nouvelle meute. Sa sagesse et son expérience seraient les garants de leur équilibre. Eoline accueillit cette proposition avec enthousiasme. Ils seraient le couple premier. Pandora et Wolfgang y prenaient naturellement place en tant que couple second. Bien qu’elle n’ait plus de magie, la perle de vie de Pandora pendait au cou de Wolfgang ; la perle du jeune sapiens ornait celui de la jeune femme.

Par un sentier à l’orée de la forêt, on accédait à une autre partie de la montagne qui surplombait la fosse. Une grotte s’y trouvait nichée. L’endroit était suffisamment proche de Cobannos pour permettre à Ama et Melchior de voir leur fille tous les jours ; assez éloigné pour vivre comme une vraie meute. Le côté droit, profond, permettait à Tira de s’y établir à son aise. Sur la gauche, de multiples cavités naturelles n’attendaient plus qu’à être emplies de vie. Le centre était suffisamment vaste pour que la dragonne et la meute puissent déambuler ou y établir un espace commun. Ce lieu plut à Azia et Gobos. L’idée qu’ils se joignissent à la meute faisait son chemin. Ama et Melchior aménagèrent une cavité pour eux, dans un but avoué de veiller sur la future génération. L’apprenti forgeron que formait Féréol mettrait encore quelques années avant de gérer seul la forge de Cobannos. Avec Gobos et Féréol comme maîtres, il aurait tôt fait d’être autonome. Ainsi se déroulèrent les jours qui suivirent la résurrection de Féréol et la naissance de la louve d’Eoline.

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