L'épreuve 3/4

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Le départ pour la forêt de Lilith sonna comme une souffrance sourde pour Wolfgang qui avait beaucoup de difficulté à suivre Jack et Féréol. Ses jambes peinaient à le porter. Il lui semblait que ses poumons brûlaient dans sa poitrine. Son mal-être visible fit sourire Féréol, au grand étonnement de Jack. L’affection du forgeron pour le jeune Allemand avait été immédiate. Leur complicité ressemblait à celle de deux frères d’armes.

La joie de Féréol était d’autant moins compréhensible que Wolfgang semblait sur le point de s’évanouir. Jack choisit de faire comme s’il ne voyait pas l’état du jeune homme et marcha droit devant. Plus ils mettaient de la distance entre Cobannos et eux, mieux l’Allemand se portait.

Une bonne demi-journée s’était écoulée quand Féréol décida de faire une halte. Le nouveau regard qu’il posa sur Wolfgang ne laissa plus aucun doute à l’Américain. Quelque chose au fond de lui, lui dit qu’il saurait bien assez tôt ce que cela cachait. La route vers la forêt de Lilith lui donnait bien assez de soucis comme ça. En effet, Jack se rendait compte qu’il n’avait pas seulement l’apparence d’une femme ; il en avait également les aptitudes physiques. Il regrettait d’avoir surestimé sa force et d’avoir autant chargé son sac. Demander de l’aide aux deux hommes qui l’accompagnaient lui égratignait la fierté.

Il supporta sa charge sans broncher. Toutefois, Féréol ne fut pas dupe. La sacoche de Jack fut la première dans laquelle il puisa les provisions distribuées aux personnes fuyant les catastrophes.

Ils arrivèrent dans ce qui restait de la forêt. Ils ne virent que désolation. Les arbres ressemblaient à un jeu de mikado. La boue rendait le sol encore plus dangereux. Des crevasses cachées par la végétation appelaient la mort. Un cours d’eau se fit entendre tout proche.

Féréol prit une position étrange, comme s’il humait l’air. En bon soldat habitué aux zones de guerre, Jack se tenait sur le qui-vive. Ils étaient observés ; et cela ne leur voulait pas du bien.

— Il faut être prudent, chuchota Féréol. Nous ne sommes pas en territoire ami.

— Smilodon ? interrogea Jack qui avait discrètement sorti un couteau de sa poche, le serrant dans son poing.

Ne s’étant intéressé qu’aux alentours de Cobannos, Wolfgang ne comprenait pas de quoi parlait son homologue. Mais il sentit le danger également, comme une vibration venant du fin fond de ses entrailles.

— Les tigres ne sont pas les animaux les plus dangereux de ce monde, répondit Féréol en scrutant les alentours presque sans bouger. Nous sommes dans un entre deux mondes. Ici, seul le fort a tous les droits.

— Un peu comme moi, nargua Jack.

— Non, répondit Féréol sans hésitation. Malgré ton comportement, Fanchon dit que tu es un Semper Fidelis ; et que le moment venu, nous ne devrions pas douter.

Jack fixa le forgeron sans comprendre. Cet homme habillé de vêtements d’un autre âge ne pouvait connaître la devise des Marines.

— C’est quoi un Semper Fidelis ? demanda Wolfgang.

— Les protecteurs qui ne sont pas des hommes-dragon sont appelés sentinelles. Les sentinelles humaines sont considérées comme des Semper Fidelis. En ce lieu, homme ou femme, tout humain doit être considéré comme un ennemi potentiel. Restez sur vos gardes.

Des feulements de douleur se firent entendre.

— Qu’est-ce que c’était ? demanda Jack.

— Un avertissement, dit Wolfgang.

Jack se retourna vers lui avec étonnement.

— Que veux-tu dire ?

— On nous tend un piège. Les smilodons qui sont prisonniers des humains ont senti notre présence. Ils sont quatre hommes autour d’eux. Six sont partis nous cueillir, l’informa Féréol.

Ils posèrent leurs sacoches à couvert, puis avancèrent prudemment en direction des gémissements. Ceux qui cherchaient à leur nuire n’étaient pas très futés. Jack les repéra à plus de deux cents mètres. Ils arrivèrent aux abords d’une rivière qui formait un lac de petite taille, dont l’eau semblait claire malgré la désolation alentour.

L’attaque commença, mais Jack comprit vite qu’il était le seul de leur groupe à savoir réellement se battre. Il vint rapidement à bout des trois hommes qui s’en étaient pris à lui. Il arriva sur Wolfgang aux prises avec les trois autres. Son apparence avait quelque chose d’étrange. Un coup bien placé l’assomma.

— Saleté d’homme-loup, beugla l’un des assaillants.

Jack était tellement abasourdi par ce qu’il voyait qu’il en oublia le combat qui se menait.

— Regarde-moi ça si c’est pas mignon, minauda un petit grassouillet.

Les trois hommes délaissèrent Wolfgang et se tournèrent vers Jack.

— Alors on est venu se promener dans not’e belle forêt, la belle ? demanda un grand gaillard.

Le troisième tout aussi costaud empoigna Jack par-derrière. Celui-ci se traitait intérieurement d’idiot. Il était beau le Semper Fidelis en ce moment. Les hommes ne lui laissèrent pas le temps d’y penser. Le premier lui décocha un coup dans le ventre, lui coupant la respiration. Il y ajouta une bonne taloche à t’en décrocher la mâchoire.

— Voilà qui va te faire tenir un peu tranquille, dit-il en provoquant les rires gras de ses comparses.

Celui qui le tenait le coucha sans difficulté et le maintint en lui appuyant sur les épaules. Jack tenta de se débattre, mais le gaillard lui agrippa les jambes et tira sur le pantalon. En quelques secondes, Jack fut presque nu. La force des trois hommes n’y était pour rien, il le savait. C’est la peur d’être violé qui venait de l’envahir, l’empêchant de réfléchir et de se battre efficacement. Une peur qui te fige et t’empêche même de crier.

— T’en fais pas la belle. Tu vas voir, on va bien te faire ça. Tu en r’demand'ras, susurra le grassouillet d’un air mauvais.

Cette répartie eut un effet salutaire dans l’esprit encombré de l’Américain.

— Alors c’est ça, s’esclaffa-t-il, provoquant la surprise des trois hommes. C’est ça d’être une femme.

Un moment de flou marqua les visages des agresseurs qui eurent un mouvement de recul. Ils comprirent leur erreur beaucoup trop tard. La métamorphose de Jack avait été instantanée. Il n’avait même pas pris conscience d’être redevenu un homme qu’il choqua la pomme d’Adam de celui qui lui tenait les épaules. Il enserra le grassouillet qui se trouvait entre ses jambes, le bascula sur le dos. Il attrapa un bout de bois de bonne taille qu’il enfonça, tel un pieu, dans la poitrine de l’homme sous lui. Le dernier recula, livide.

— Tu t’en occupes pendant que je me rhabille ? demanda Jack.

L’homme se retourna et se retrouva nez à nez avec Wolfgang sous sa forme mi-loup.

— Avec plaisir, répondit ce dernier en égorgeant le gaillard d’un bon coup de griffes.

— Tu me feras penser à ne jamais te mettre en colère, plaisanta l’Américain qui n’avait pas perdu de temps en remettant son pantalon.

— Pareil pour moi. Rappelle-moi ce que tu fais dans la vie.

— Je suis un Marine, dit-il avec un large sourire.

Les deux hommes pivotèrent. Féréol se tenait auprès de deux tigres à dents de sabre. Son air grave ne présageait rien de bon.

— Un problème ? s’étonna Wolfgang.

— Les entre deux mondes ont fait quelque chose aux smilodons, avisa vaguement Féréol.

Les sapiens attendaient patiemment que leur ami, manifestement très perturbé, continue sur sa lancée.

— Ils ont mis des médaillons dans un métal que je ne connais pas, autour du cou de chaque membre du clan. Ceux qui avaient les plus gros sont morts en quelques jours en se vidant et en crachant du sang. Certains avaient perdu leurs poils.

— Tu as touché l’une de ces choses ? s’alarma Jack.

Féréol tenait un carré de tissu qu’il ouvrit en s’avançant vers les deux hommes.

— Reste où tu es ! ordonna l’Américain dans un instinct de survie. Montre !

Le forgeron souleva les chaînes découvrant les médaillons. Le métal à l’aspect argenté comme du nickel avait commencé à s’oxyder. Il avait des teintes jaunes et vert olive. Jack fixa l’objet dans la main de son ami. Il le regarda avec désespoir et ne put s’empêcher de trembler. Comment ce monde qui ne connaissait pas l’électricité et n’utilisait même pas le pétrole comme source d’énergie pouvait se retrouver avec des bijoux en plutonium ?

— Pose ça ! s’exclama Jack. Tu vas bien fermer ton paquet et…

Partout où il posait les yeux, aucune solution ne s’offrait à lui. Jeter les médaillons dans le lac n’était pas une bonne idée. Les enterrer ? Si les tremblements de terre continuaient, leur trou ne serait jamais assez profond. Wolfgang prit la première décision, remettant Jack sur les rails.

— Il faut commencer par vous laver pour que nous puissions vous approcher sans risque.

— Oui ! On va faire ça. On va chercher les sacs. Pendant ce temps, tu vas creuser un trou dans un endroit facilement reconnaissable pour y mettre ces horreurs. Pas près de l’eau. Plutôt du côté du rocher là-bas.

Jack montra un rocher immense dont la forme ne pouvait le confondre avec un autre. Féréol ne posa pas de questions. Suivi d’un jeune mâle smilodon, il se dirigea vers le rocher.

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