Jack 1ère partie

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Négro, voilà tout ce qu’il était pour son professeur. Un négro. Il s’était cru l’égal des autres élèves. L’amertume enserrait le cœur du jeune homme de douleur et de rage.

Tout le monde disait que ce prof de français était un facho de première, mais il ne pensait pas se retrouver ainsi humilié en plein cours. Ses camarades avaient bien ri, avant de se rendre compte de la méchanceté des paroles de leur enseignant. Le mal avait été fait au plus profond de son âme ; et leurs excuses n’avaient rien changé.

Peu à peu, la colère fit place à une peine si profonde que les larmes commencèrent à couler.

« Plus jamais ! Plus jamais ils m’verront ces timbrés ! »

Dans la nuit, une ombre passa, sans faire de bruit. Vêtu de sombre, le jeune homme de couleur, tout juste adulte, plus vraiment un enfant, marchait d’un pas vif à l’orée de la forêt. Sans s’en apercevoir, il s’engagea sur un sentier menant dans le sous-bois. Plongé dans ses pensées tumultueuses, il passa…

…de l’autre côté.

*

Négro. Voilà bien un mot que Gobos aurait aimé garder enfoui au plus profond de sa mémoire. Et pourtant l’homme qui se tenait devant lui semblait fier de son « Salut négro ! » qui avait résonné comme un coup de canon aux oreilles de l’ancien forgeron de Cobannos.

Depuis l’instant où il avait franchi le passage, son cœur n’avait fait que s’alléger du poids de sa vie de sapiens. Cet homme, avec son uniforme de chez les Marines, ne laissait aucun doute sur sa provenance. La couleur de sa peau, presque aussi noire que la sienne, lui fit monter la bile, comme un vieux relent d’égout mal débouché.

Si cet homme avait été blanc, il aurait pu déverser sa haine contre lui, mais ce sapiens noir de peau qu’Aïcha et son loup avaient amené souffla un vent de douleur et de peur dans l’esprit de Gobos.

Depuis plusieurs saisons, la nature notre mère se déchaînait. Tremblements de terre, sécheresses et fortes pluies n’en finissaient pas, épuisant la flore, menaçant la faune qui ne se contentait plus que de survivre au mieux. Tuer pour manger avait été interdit. Les carnivores ne faisaient pas la fine bouche et se nourrissaient de charognes qui étaient considérées comme viande comestible. Une règle simple avait été établie. Si aucune communication inter espèce n’était possible, l’autre pouvait être considéré comme proie. Ainsi chacun respectait les morts de son voisin.

L’arrivée de ce sapiens était un signe qu’il se passait quelque chose de grave qui nuisait à l’équilibre entre les deux mondes.

Gobos ne répondit pas au salut de cet homme. Sans un mot, il fila vers les forges, où l’attendait Féréol, son ancien apprenti.

*

Les femmes ne savaient décidément pas ce qu’elles voulaient, pensait Jack. La sanction qui venait de lui être donnée lui semblait injuste. Certes, il avait un peu essayé de forcer la main de cette fille, mais pour lui, elle n’était qu’une garce qui l’avait bien cherché. Quand on faisait du rentre-dedans à un homme, il fallait assumer et arrêter de se plaindre.

L’accusation pour tentative de viol avait été abandonnée. Avec un blâme et un mois de mise à pied, Jack s’en sortait plutôt bien mais cela ne l’empêchait pas d’enrager.

D’un pas nonchalant, Jack fit avancer son grand corps athlétique vers le dortoir. Il ne lui restait plus qu’à faire son paquetage et rentrer chez lui.

Chez lui. Ces mots n’avaient pas de sens. Pas sûr que ses vieux soient heureux de le revoir. Rien ne l’obligeait à partir le jour même. Il pourrait regarder les vols disponibles et en profiter pour aller… Aller où ? Là était la question.

Tout à ses pensées, Jack tourna au bout du bâtiment, poussa la porte du dortoir et pénétra…

…de l’autre côté.

Le passage se referma aussi vite qu’il s’était ouvert. Jack ne comprenait pas comment cela avait pu se produire. À la place des murs bien solides de son dortoir, il déambulait dans une forêt, depuis quelques minutes. Il sentit des présences avant même de les apercevoir. Il continua à marcher calmement, s’attendant à les voir apparaître à tout moment. Plus d’une fois, ce qui se cachait derrière les troncs et les buissons lui coupa le chemin, lui imposant sa route. Elle surgit, telle une déesse, une fée de la nature indomptée. Jack n’aurait pas été étonné si elle avait eu des oreilles d’elfe, tellement cette apparition lui sembla magique. Elle était grande et fine. Ses cheveux avaient des reflets fauves. Il sentit en lui un désir brutal l’envahir. Il laissa la brûlure le remplir, le plongeant dans un état d’ivresse jouissif. Des grognements lui firent vite comprendre le danger à vouloir jouer avec la dame. Comme pour souligner ce sentiment d’insécurité, un loup aussi noir que la nuit sortit d’un fourré et s’immobilisa au côté de la merveilleuse créature.

— Demat’dit homme de l’autre monde. N’aie pas peur des loups. Si tu restes calme et ne cherches pas à t’accoupler avec moi, tu ne risques rien.

La franchise de la femme surprit Jack, qui ouvrit des yeux ronds d’étonnement.

— Mon nom est Aïcha. Tu as traversé un passage entre nos deux mondes. Tu vas devoir me suivre, pour comprendre pourquoi tu es ici.

Jack écarta les bras pour montrer son accord. La sublime femme avança vers le sapiens, passa à côté de lui avant de continuer sa route, infusant un peu plus de chaleur dans les veines de l’homme. Les loups ne se cachèrent plus. Comprenant qu’il n’avait pas son mot à dire, Jack emboîta le pas d’Aïcha et du loup noir. Il fut conduit dans ce qui lui sembla être un village semi-enterré. Ce qu’il y vit lui coupa le souffle. Les habitations connotaient plus de la tanière que de la maison de Hobbit. Les hommes, les femmes et les enfants le regardaient sans animosité. Leurs vêtements semblaient propres, mais vieux pour la plupart. Ils cachaient les corps et les montraient à la fois, comme si les costumes des mille et une nuits avaient fusionné avec ceux des Indiens d’Amérique. Les loups qui l’avaient encadré jusqu’au cœur de ce lieu fascinant agissaient étrangement, pas comme des chiens, ni comme des loups. Jack fut troublé par un détail. Partout où il posait son regard, quel que soit leur âge, loups et humains portaient le même genre de tenues. Aïcha s’arrêta devant la seule vraie maison de cet endroit.

Un couple en sortit. Jack fut comme électrisé par leur apparition. Au contraire d’Aïcha, la femme lui inspira un profond respect. Bien que plus jeune, il émanait de sa personne une force sauvage, doublée d’une tranquillité magnétique. Les rondeurs de son ventre montraient une grossesse à terme. Elle fit quelques pas vers Jack. Cela provoqua un mouvement. Comme un seul homme, tous les membres de cette communauté, hommes et bêtes, se rapprochèrent également de lui.

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