Jack 2e partie

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Quand la femme parla, sa voix douce l’ensorcela.

— Demat’dit homme de l’autre monde. Mon nom est Tala. Je suis heureuse de te voir enfin.

— Enfin ? s’étonna Jack. Vous m’attendiez ?

— La nature notre mère est très en colère. Ceux de votre monde ont rompu l’équilibre. Nos protecteurs ont essayé d’influencer ton peuple pour qu’il marche sur une route plus respectueuse. Mais ce que vous nommez « profit », « argent », a pris toute la place. Trop de gens ont faim, alors que vos terres et vos eaux sont épuisées de vous nourrir. Trop de forêts coupées pour ne réchauffer personne. Le gouffre est devenu trop grand. Notre monde et le vôtre ne marchent plus du même pas. Plusieurs dizaines de cycles des saisons se sont écoulés ici, contre à peine quelques-uns chez vous. Notre survie ne doit plus dépendre de vous. Le passage s’est ouvert pour toi. Deux autres sapiens doivent venir.

— Deux autres ? On sera trois. Comme les rois mages, s’en amusa Jack.

— Oui ! répondit Tala.

Le sourire de l’homme s’effaça pour laisser place à la surprise. La gravité s’y inscrivit devant le sérieux de la femme.

— Les rois mages n’existent pas, affirma-t-il, plus pour se convaincre lui que Tala.

— Roi est un mot qui n’a aucun sens dans ce monde, car nous n’en avons pas. Nous préférons les appeler messagers.

La femme pivota et partit vers la maison. Jack comprit qu’il devait la suivre quand Aïcha et son loup en prirent la direction. Il eut une sensation étrange au moment de passer le seuil de la porte. Comme si une force invisible voulait l’empêcher d’entrer. Il avança malgré les picotements qui lui traversèrent le corps. Il chancela pendant quelques pas, avant de se sentir à nouveau normal. Ce bref instant lui parut long et court à la fois. Il regarda calmement l’intérieur de l’habitation pour comprendre.

— On se croirait dans un film du Moyen Âge, ici. Je m’attendrais presque à voir un dragon surgir du ciel, dit-il en rigolant. Allez ! Dites-moi ! Un gars va sortir du placard avec une caméra ?

Aïcha se mit à rire franchement, causant l’hilarité de Tala qui prit place dans un fauteuil en bois sur lequel étaient installés des rembourrages. Il n’avait rien à envier à son homologue en cuir. La femme l’invita à s’asseoir sur une chaise près d’elle. Ils discutèrent longuement sur leurs deux mondes et le lien qui les unissait. Combien de temps parlèrent-ils ? Jack aurait été bien incapable de le dire. D’après Tala, s’il avait traversé le passage près de la meute de Dib, c’est que son rôle allait être important.

Jack fut convié à la table commune pour prendre son repas. Il répondit avec plaisir aux questions de chacun, parfois avec un humour qui semblait plaire à la communauté. Pourtant, un silence pesant s’installa peu à peu. Jack n’arrivait pas à comprendre d’où venait le problème.

— La nourriture est bien bonne chez vous. Qu’y a-t-il d’autre, après ça ? demanda-t-il aimablement.

Un homme assis près de Tala se mit à parler sans animosité.

— Tu as mangé à toi seul la portion pour trois des nôtres. Il n’y a rien d’autre à manger.

— Tu plaisantes ? répondit Jack qui avait à peine eu l’impression de commencer le repas. Vos assiettes sont toute petites.

Il marqua un temps de pause, se rendant compte qu’autour de lui les convives avaient à peine terminé leur plat, alors qu’il en avait engloutis plusieurs. Une femme commença à faire le tour des écuelles pour que chacun mette un peu de son repas dans un plat.

— Vous faites quoi ? demanda Jack avec surprise.

— Quatre chasseurs rentreront un peu plus tard. Nous nous assurons qu’ils pourront tous manger.

Jack ne semblait pas comprendre la réponse de Tala, qui sourit à son air égaré et mal à l’aise.

— Vous êtes si pauvre que cela que vous deviez manger aussi peu ? La forêt doit pourtant regorger d’animaux ?

Aïcha fut la première à rire. Son hilarité se propagea et l’humeur se détendit. La superbe femme se tourna vers lui et lui expliqua sans se départir de son magnifique sourire.

— Nous appelons ceux de ton monde les sapiens.

— Oui, je sais. Tala me l’a dit.

— Certaines choses de ton monde ne veulent rien dire pour nous. La pauvreté, par exemple, n’existe pas chez nous. Quand je suis allée dans ton monde…

— Vous pouvez venir chez nous ? s’étonna Jack.

— Oui. Non. Certaines personnes le peuvent. Mais celles et ceux qui l’ont fait avaient une mission à remplir.

— Et tu fais partie de l’une d’elles.

— Oui. Ce que vous appelez les sept péchés capitaux ne veulent rien dire de ce côté. Pas d’avarice, car il suffit de demander pour être nourri. Faire une petite besogne permet d’échanger un bien, comme des vêtements. La communauté veille sur tous les siens, car chacun donne toujours quelque chose à son voisin. C’est un échange. Ce qui fait que ce que vous nommez la paresse n’a pas vraiment de sens. L’envie est un sentiment qui ne peut pas toujours être contrôlé. Nous l’admettons. Tout comme l’orgueil ne nous pose aucun ressentiment. Il n’y a aucun mal pour nous d’être fier de soi. La colère est considérée comme nécessaire. S’il faut sortir le mal pour trouver l’apaisement, alors nous accueillons la colère de notre prochain sans broncher. La gourmandise est également une notion difficile à saisir pour nous. Nous mangeons ce dont nous avons besoin. Tu devras apprendre à te nourrir lentement plutôt que d’engloutir. Cela apporte ce que vous nommez satiété.

— Et la luxure, demanda Jack en scrutant la réaction d’Aïcha.

Mais ce ne fut pas elle qui répondit en premier. Un grognement se fit entendre, provoquant les éclats de rire de l’assemblée. Les yeux d’Aïcha regardèrent dans le vide un moment, avant de revenir dans l’instant présent.

— Ce que tu appelles luxure n’existe qu’à un seul endroit dans ce monde.

— Lequel ?

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