Chapitre 23

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- Tu crois qu’elle va arriver à se détendre ou ça va être comme ça pendant toutes les vacances ?

Lila sourit à la remarque que Gabriel vient de lui glisser à l’oreille. Ils sont assis côte à côte sur les sièges peu confortables de l’aéroport de Montréal. Il y a quelque chose d’hypnotisant, presque d’enivrant dans le balai incessant des voyageurs. Un couple fait une course effrénée dans les longs couloirs habillés de moquette grise pour ne pas rater son vol, tandis qu’un vieil homme retrouve avec émotion sa petite fille. Pour la première fois depuis qu’elles sont arrivées sur le continent américain, les filles s’autorisent à partir en vacances. Lila n’est pas tellement rassurée à l’idée de fermer l’entreprise, même pour une semaine. Ambre était de son avis, mais les garçons ont tellement insisté qu’elles ont fini par céder. Aujourd’hui, alors qu’elle est en train d’attendre pour embarquer, elle se dit qu’ils ont bien fait de ne pas lâcher le morceau. Ce voyage va lui permettre de faire une pause et de ne plus penser à tous les problèmes qui s’accumulent. En vérité, elle va essayer de mettre de côté tout ça et prie vraiment pour y arriver. En plus, partir en vacances avec Gabriel est très excitant, mais en même temps, elle se sent angoissée. Ils vont passer une semaine entière, constamment ensemble. Avec leur quotidien chargé, ça ne leur est jamais arrivé. Ça va être un vrai test pour leur couple, bien qu’ils ne soient pas seuls dans ce périple, loin de là. C’est d’ailleurs ce qui est en train de rendre folle Ambre, qui fait les cents pas entre les fauteuils. C’est vraiment une habitude qui a le don de stresser tout le monde autour. Lila croise même le regard exaspéré d’une dame assise un peu plus loin. Si encore elle se contentait de marcher en silence, mais non elle marmonne constamment dans sa barbe.

- Pour une fois dans leur vie, ils ne peuvent pas être à l’heure ? C’est trop demander ? questionne Ambre sans s’adresser à quelqu’un en particulier.

Noah, qui est assis en face de Gabriel, la jambe relevée avec une cheville reposant sur son genou, soupire d’agacement. Il sort son téléphone de la poche de son jean noir, sans prêter plus attention à sa compagne et commence à pianoter dessus. Au bout d’un moment, Ambre se rassoit à côté de lui, toujours aussi nerveuse. Sans lui jeter un regard, Noah lui dit.

- Si tu ne voulais pas attendre, il ne fallait pas nous faire arriver à l’aéroport deux heures avant l’heure qu’on s’est fixé avec tout le monde.

- C’est bon, n’en rajoute pas, murmure Ambre, incapable de trouver un argument pour se défendre.

Noah hausse les épaules et se reconcentre sur son téléphone. Une demi-heure plus tard, Logan, ses longs cheveux toujours attachés et son éternel bandana sur le front, arrive en compagnie de Salomé. La jeune femme est menue, avec un visage rond, des yeux bleus expressifs et de longs cheveux blonds. Sa silhouette est sportive et musclée. Quand elle se trouve à côté de Noah, le contraste est saisissant, la jeune femme étant toute petite. Lila la prend dans ses bras.

- Ça me fait vraiment plaisir que tu puisses venir avec nous.

- Je ne pouvais pas faire autrement. Il fallait bien que je vous sauve de tous ces mâles.

Elle prend place sur un des fauteuils et sort ses cours de médecine. Le voyage va lui faire du bien à elle aussi. Elle n’arrête pas d’étudier pour réaliser son rêve. Peu de temps après, Alexis et Raphaël arrivent à leur tour. Il ne manque plus de Léo, qui doit venir accompagner de sa petite amie. Aucun des membres du groupe ne l’a encore rencontré. Lila espère que la jeune femme ne va pas se sentir trop seule au milieu de tout le monde. Partir à dix n’est pas une mince affaire. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles Ambre est si stressée. Elle qui aime tout planifier dans les moindres détails, là, avec les six garçons, ce n’est pas possible. En plus de cela, elle n’aime pas prendre l’avion, ce qui n’arrange pas les choses.

- Elle doit en user des chaussures à force de faire les cent pas, se moque Alexis en se penchant vers Noah

- M’en parle pas, soupire le métis.

Pourtant, il a tout essayé pour la calmer, lui parler, lui faire écouter de la musique, mais rien n’y fait, elle ne tient plus en place. Tentant le tout pour le tout, Noah se lève et prend délicatement la main d’Ambre. Elle le regarde, surprise.

- Viens, on va marcher un peu. Tu es en train de rendre tout le monde dingue.

Ambre fronce les sourcils et fait la moue, mais réplique d’une petite voix :

- On peut aller acheter un truc à manger ?

- Tout ce que tu veux, rit Noah en l’entraînant vers les magasins après lui avoir déposé un baiser sur la tempe.

Lila, qui a observé la scène se tourne vers Gabriel pour faire une remarque, mais s’arrête. Il a étendu ses jambes devant lui, les bras croisés sur son torse. Il a les yeux dans le vide, les traits du visage tirés. Lila est inquiète. Depuis, la mort de Jack il y a quelques semaines, il s’est refermé sur lui-même. Il a perdu sa joie de vivre et sa bonne humeur habituelle. Il essaye de donner le change et de ne rien laisser paraître, mais elle voit bien dans ses sourires et dans ses yeux que ça ne va pas. Elle pose une main sur cuisse et lui murmure :

- Tout va bien ?

Gabriel se tourne vers elle. Il esquisse un faible sourire, bien loin de ceux éclatants dont elle a l’habitude. Lila lui caresse la joue tendrement.

- Tu es sûr que c’est une bonne idée ce voyage ? Si c’est trop dur, on peut rester à la maison.

Gabriel recouvre la main de Lila avec la sienne et ferme les yeux quelques secondes.

- Non, ça fera du bien à tout le monde. Et puis Ja…

Sa voix se brise. Il prend une respiration tremblante avant de continuer.

- Jack me botterait les fesses. Il dirait que je suis un sombre crétin de me priver de vacances au soleil avec une si jolie femme.

Cette fois, le sourire qu’il lui lance est plus convaincant. Lila acquiesce, pose sa bouche sur la sienne quelques secondes et se cale contre lui, la tête sur son épaule. Le réveil à quatre heures du matin commence à la rattraper. Ils vont passer la journée dans les avions ou les aéroports, ce qui ne l’enchante gère, mais la destination en vaut la peine. Elle espère juste que ça ira pour Gabriel. Elle a peur qu’il ne lui dise pas réellement ce qu’il ressent, pour la protéger et l’épargner. Ils n’ont plus vraiment reparlé de sa relation avec sa famille, ni de celle qu’il avait avec Jack depuis les funérailles. Ce fut une très belle cérémonie d’ailleurs. Simple, pleine d’amour et de bienveillance, à l’image du vieil homme. Bien entendu, Lila était présente aux côtés de Gabriel. Ambre aussi, avec Noah, qui, dès qu’il a appris la nouvelle, est revenu de chez sa mère. Même certains de leurs amis ont pu se libérer pour le soutenir. Beaucoup de gens du milieu des courses de chien ont également fait le déplacement pour lui dire un dernier au revoir. Chacun a dit un petit mot à son intention. Quand ce fut au tour de Gabriel, Lila ne savait pas s’il arriverait à s’exprimer. Juste au moment de se lancer, il a levé les yeux et a aperçu sa sœur et son frère, dans les derniers rangs. Lila a vu son regard changer et a tout de suite compris l’importance que ça avait pour lui. Malgré sa voix chargée d’émotion, il a tout de même rendu un hommage touchant à son mentor, qui a ému aux larmes toute l’assemblée.

Jack, regardes nous, là, tous habillés en costume, avec des chaussures vernies. Il n’y a vraiment que toi pour arriver à réunir tous les mushers du pays, sans qu’ils amènent leurs chiens et en leur faisant porter des cravates. Tu as intérêt à prendre des photos de là où tu es, parce que ça n’arrivera pas de sitôt.

Depuis le jour de notre rencontre, je n’ai jamais imaginé que tu puisses ne plus faire partie de ma vie. Et pourtant… Cela ne fait pas longtemps que nos chemins se sont croisés, mais j’ai l’impression de t’avoir toujours connu. Comme si, sur nos routes respectives, nous étions destinés à avancer côtes à côtes.

Il y a quelques années, j’ai changé de vie. J’ai choisi de vivre de ma passion. J’ai quitté tout ce que je connaissais pour me jeter dans le vide. Ce fut l’un des moments les plus difficiles de ma vie. J’étais perdu. J’étais seul. J’avais peur. Terriblement peur. Au point d’être totalement tétanisé. Tétanisé de vivre. Tétanisé d’avancer. J’en étais même arrivé au point de vouloir tout abandonner. Et puis, par un beau matin de printemps, tu es apparu dans ma vie. Ce n’est que pour la formulation, parce que ce jour-là, il faisait vraiment un temps de chien. Ce jour-là et tous les autres jours qui ont suivi, tu as été mon rayon de soleil dans l’obscurité. Ma bouée de sauvetage en pleine tempête. Tu as été… tu es mon héro Jack. Bien entendu, j’ai passé un sale quart d’heure. Comme on dit, tu m’as donné un bon coup de pied aux fesses, en me disant d’arrêter de m’apitoyer sur mon sort. Et puis, tu m’as fait l’immense honneur de m’apprendre les ficelles du métier. Sans toi, je n’aurais jamais réussi à devenir le musher que je suis aujourd’hui. Il me reste encore du travail pour arriver à ton niveau, mais je vais tout faire pour te faire honneur.

Tu as eu un impact dans ma vie bien au-delà du travail. Peut être tu ne t’en es jamais aperçu d’ailleurs. Tu as été un guide, un modèle pour moi. Tu m’as montré que la vie n’est pas toujours sur les sentiers les plus évidents. Que tout est possible du moment que l’on travaille dur. Que l’on peut être heureux et épanouis, même si les autres ne comprennent pas notre façon de vivre. Tu m’as aidé à m’affranchir du regard des autres. Tu m’as poussé à avancer, à toujours regarder devant moi plutôt que derrière, pour atteindre mes objectifs. Tu m’as fait devenir meilleur. Plus grand. Je n’aurais jamais assez de mot pour te dire tout ce que je ressens, mais je te remercie du plus profond de mon cœur pour tout ce que tu as fait pour moi.

Aujourd’hui, je perds mon ami. Mais tu représentes bien plus que ça à mes yeux. Ton sang ne coule peut-être pas dans mes veines, mais dans les moments les plus sombres, tu as été comme un père pour moi. Mon père spirituel. Ma boussole. Tu auras toujours une place à part dans mon cœur. Dans mon âme.

Je ne te l’ai jamais dit en face et je le regretterais toute ma vie, mais…

Je t’aime Jack.

Yap ! Yap !

Y repenser fait monter les larmes aux yeux à Lila. La suite de la cérémonie ne fut que plus belle. Comme l’avait souhaité Jack, Gabriel a attelé sa meute. Il a pris avec lui l’urne où reposaient ses cendres et les a dispersés dans la forêt en pleine course. Même si elle n’y a pas assisté personnellement, Lila sait que ce fut un moment chargé en émotion. Jack a offert à sa femme et à Gabriel un moment magique. Juste tous les trois. Et comme s’ils l’avaient senti, tous les chiens de la meute se sont mis à hurler en même temps. Ses chiens, qui étaient toute sa vie, lui ont fait un dernier au revoir déchirant mais plein de vie.

***

Les trois taxis qui se suivent depuis l’aéroport s’arrêtent enfin au bout d’une impasse. Le groupe d’ami en descend. Chacun récupère ses valises. Un immense portail d’un blanc immaculé leur cache la vue. Gabriel se dirige vers un petit boitier fixé sur un pilier en béton et tape un code. Après quelques secondes d’attente, un grincement se fait entendre. Le mur blanc se déplace, dégageant la vue. Personne n’ose parler, seul Raphaël émet un long sifflement d’admiration. Avec un petit sourire, le musher se dirige dans l’allée goudronnée qui s’étend devant eux. Elle est bordée de cactus de toutes les formes, de dahlias en fleur et de petits arbustes joliment taillés. Ils dégagent une odeur agréable, légèrement fruitée et apaisante. L’odeur des vacances, pense Lila. Elle s’arrête dans son avancée pour admirer ce qu’elle a sous les yeux : une maison incroyable ou plutôt une villa incroyable. Peinte en blanc, avec des toits plats, elle s’élève sur deux étages. Le rez-de-chaussée est entouré d’une terrasse couverte, encadrée par des arcades et des piliers délicatement sculptés. Le reste du groupe la dépasse, seule Ambre se stoppe à ses côtés. Ses cheveux sont négligemment attachés sur le dessus de sa tête, son mascara a coulé sous ses yeux, ce qui accentue la couleur foncée de ses cernes. Elle a un peu l’air d’une folle, pense affectueusement Lila. Et bien entendu cela n’a rien à voir non plus avec son t-shirt blanc froissé, qui arbore une grosse tache marron en son centre, souvenir du chocolat chaud avalé en vitesse lors de leur escale à Toronto. Enfin, souvenir du chocolat chaud sorti de la machine, porté en vitesse à ses lèvres, mais renversé avant de le boire. Tout ça parce qu’Ambre s’est emmêlée les pieds dans les bagages posés à côté d’elle. S’en ai suivi un fou rire général, au grand désespoir de la jeune femme qui n’a pas trop apprécié être la risée de ses amis.

- Tu aurais dû coucher plus tôt avec un mec plein aux as, déclare Ambre en posant son regard sur la maison. On aurait eu des vacances beaucoup plus intéressantes.

- Pourquoi ça serait à moi de coucher avec l’héritier. Toi aussi tu aurais pu !

- Non, parce que moi j’ai choisi de me taper le mec qui nous a permis de faire des travaux dans la maison à moindre coûts, autrement dit celui qui nous a permis de gagner notre vie.

- Un point pour toi, répond Lila, obligée de reconnaître sa défaite.

Cette villa est la propriété de la famille Lemire. Lors d’une conversation Gabriel a émis l’idée de partir quelques jours pour permettre à tout le monde de faire retomber la pression. C’était aussi l’occasion pour les filles de souffler un peu avant l’été et la saison touristique. Noah a tout de suite été emballé par l’idée et ils ont naturellement pensé à prévenir leurs amis. Les filles auraient bien aimé rester qu’avec leurs hommes, mais ils étaient tellement enthousiastes qu’elles n’ont pas pu leur refuser. Caler la date du départ a été le plus compliqué. Ensuite, il a fallu choisir une destination accessible pour tout le monde niveau budget. C’est là que Gabriel a proposé de venir dans une des nombreuses résidences secondaires que possède sa famille. Les amis n’ont pas réfléchi bien longtemps. Profiter d’un tel cadre sans payer, ça n’arrive pas tous les jours. Après un silence, Ambre reprend.

- Cette maison est dingue. Je n’ai pas les mots, c’est pour dire. Je me demande ce que nous réserve l’intérieur. Et tu entends ? demande-t-elle.

- Oui. C’est incroyable, il est tout près. On entend les vagues d’ici.

Elles reprennent leur avancée, Ambre tirant sa lourde valise derrière elle. Noah aurait voulu faire comme Lila et Gabriel, partager une valise pour deux. Ça leur aurait coûté moins cher à l’aéroport. Après de nombreux essais et quelques prises de tête, il a capitulé en constatant qu’Ambre prenait beaucoup trop de chose pour pouvoir lui laisser une petite place dans la valise. La jeune femme laisse son bagage sous le porche, à côté de la porte d’entrée et fait le tour de la maison pour rejoindre les autres. Ils poussent des cris enthousiastes. Ambre lance un regard à Lila, intriguée. Cette dernière hausse les épaules et la suit. En arrivant près du groupe, elles comprennent. Devant elles se tient un jardin luxuriant aux couleurs vives qui fait tout le tour de la propriété. Mais ce qui attire leur attention c’est l’incroyable piscine à débordement avec vue sur la mer des Caraïbes. Le bruit des vagues s’échouant sur la plage à quelques mètres en contre bas rendre le cadre idyllique, presque irréel.

- Gab, rien que pour profiter de cette maison à vie, je pourrai t’épouser, déclare Alexis.

- C’est gentil, mais, de un la maison ne m’appartient pas, et de deux si je dois épouser quelqu’un ça ne sera certainement pas toi, répond-il sérieusement en s’engouffrant par une baie vitrée, qui semble-t-il donne sur une cuisine aux proportions indécentes.

Lila ressent un moment de panique en entendant ces mots. Il est hors de question de parler engagement. Leur histoire est trop récente. Elle n’est pas prête et ne pense pas l’être un jour d’ailleurs. En plus devant tous ses amis. Non, non, non. Elle se sent mal. Son cerveau surchauffe et se pose des millions de questions : est-ce qu’elle a dit quelque chose qui sous entendait qu’elle voulait plus ? Est-ce qu’il a mal interprété certaines de ses réactions ? Est-ce que ça veut dire qu’il veut aller plus vite avec elle ? Plus loin ? Mais dans ce cas, est-il vraiment fait pour elle, s’ils ne sont pas sur la même longueur d’ondes ? Peut-être qu’elle s’est trompée depuis le début sur leur relation ? Lila commence à sentir une goute couler le long de sa colonne vertébrale. Le soleil semble lui brûler la peau. Elle se décale à l’ombre de la terrasse, mais elle a l’impression de se consumer de l’intérieur. Gabriel ressort avec un plateau qu’il pose sur la longue table en bois. Dessus sont disposés des verres remplis d’un liquide orangé rose. Il en distribue un à chacun. Quand il arrive à Alexis, il le regarde avec un sourire malicieux.

- Je ne t’épouserais pas, simplement parce que dans ce groupe quelqu’un m’intéresse beaucoup plus.

Tous les regards se tournent vers Lila, qui sent ses joues s’empourprer. Elle espère qu’ils vont croire que c’est le soleil qui a chauffé sa peau blanche. Elle a tellement chaud qu’elle considère sérieusement l’idée d’aller se jeter dans la piscine pour se rafraîchir. Gabriel passe son bras autour des épaules de Raphaël et dit :

- J’épouserais Raph. Il est véto, donc beaucoup plus utile que toi, bien que j’adore faire du kayak ou de l’escalade. Des soins gratuits pour mes chiens, c’est beaucoup plus rentable.

Sa remarque fait l’effet d’une douche froide à Lila, dans le bon sens du terme. Elle est soulagée de constater qu’en fait, tout ceci était une blague. Elle se maudit de surréagir lorsque sa vie amoureuse vient dans une conversation. Parce que oui, elle y pense souvent et commence à paniquer à chaque fois qu’elle se pose la question : est-ce que je suis amoureuse de Gabriel ? Elle connaît la réponse, mais elle lui fait bien trop peur pour se l’avouer pleinement. En même temps, elle ressent un peu de déception face à la réponse de son ami. En bon schizophrène, son cerveau aurait aimé qu’il la choisisse. Elle ne va pas mentir, cela lui est déjà arrivé, une ou deux fois de s’imaginer en robe blanche, avançant dans une allée fleurie, sous le regard ému de ses proches, pour rejoindre Gabriel devant l’hôtel. Il est possible qu’elle se soit imaginé la scène avec la musique et tout le reste une ou deux fois seulement… par semaine. Son romantisme la perdra. Lila sort de sa rêverie quand elle sent une main se poser au creux de ses reins. Elle tourne son regard vers le jeune homme aux cheveux châtain. Il lève son verre et tous ses amis regroupés autour de la table l’imitent.

- Amigos, bienvenidos a México. Brindemos por nuestras vacaciones aquí en Cancún. ¡Salud![1] déclare Gabriel dans espagnol parfait.

Certains comme Alexis ou Noah lui lancent un regard d’incompréhension, tandis que d’autre comme Salomé ou Raphaël lèvent leur verre plus haut en criant : Santé ! avant de le porter à leurs lèvres.

- Slàinte[2] ! dit Ambre par esprit de contradiction.

Cela lui vaut plusieurs réflexions de la part de Logan et de Noah. Elle ne rétorque rien mais leur tire la langue, ce qui provoque l’hilarité générale.

- Ce cocktail est vraiment délicieux. Il y a quoi dedans ?

C’est Elma, la petite amie de Léo, qui a posé la question. La jeune femme est magnifique. C’est la première chose qu’a pensé Ambre en la voyant arriver à l’aéroport. De taille moyenne, avec des formes voluptueuses, sa peau ébène accroche les rayons du soleil. De longues tressés descendent le long de son dos jusqu’à toucher ses fesses. Quand Ambre la regarde, elle ne peut s’empêcher d’admirer ses grands yeux noirs et son sourire éclatant sur son visage rond.

- De la téquila bien entendu, du jus de pamplemousse et et du citron vert. J’ai demandé à Carlos, un ami de la famille, s’il pouvait nous en faire un peu avant notre arrivée. C’est lui qui s’occupe de la villa en l’absence de mes parents.

- Autrement dit, c’est ton domestique, dit en riant Alexis.

Sa remarque jette un froid sur la conversation. Son trait d’humour n’est pas passé comme il le souhaitait et Alexis se met à regarder fixement son verre. Gabriel ne relève pas, mais Lila voit dans ses yeux qu’il est touché par cette remarque. Elle espère vraiment que ses amis vont arrêter les blagues douteuses sur sa famille. Elle voit bien que cela rend triste le musher, même s’il essaye de ne pas le montrer. Sa relation avec ses parents est assez compliquée à gérer au quotidien, alors elle espère que pendant ces quelques jours de vacances, il va pouvoir se détendre et penser à autre chose. Mais cela ne sera possible que si les garçons arrêtent de lui rappeler constamment le statut de sa famille.

Une fois le cocktail de bienvenu fini, Gabriel leur fait faire le tour de la maison. La cuisine moderne est ouverte sur un immense salon, salle à manger avec des meubles en bois clairs, des voilages blancs aux fenêtres et d’innombrables plantes vertes. L’ambiance y est très chaleureuse. Le canapé en cuir beige peut accueillir facilement tout le groupe tellement il est imposant. Une salle de jeu, avec un billard en son centre succède une véritable salle de cinéma, avec écran géant et fauteuils moelleux. Dans le même couloir se trouve même une salle de sport ultra-équipée, accolée à un sauna. La villa compte pas moins de huit chambres, toutes accompagnées d’une salle de bain privative. Elles sont décorées avec goûts, dans des tons clairs et apaisants. Quelques éléments colorés ou à motifs rappellent le Mexique. Chacun choisi la chambre qui lui convient le mieux. Logan et Salomé prennent une de celles qui a vue sur la mer au rez-de-chaussée, tandis qu’Ambre et Noah choisissent la seule de l’étage qui donne sur le jardin luxuriant et qui donne l’impression de dormir dans un arbre, avec en fond, une vue imprenable sur la côte atlantique qui s’étend à l’infini. Les autres chambres de l’étages sont occupées par Léo et Elma, ainsi qu’Alexis et Raphaël qui sont ravis de ne pas devoir dormir dans la même chambre, en tant que seuls célibataires du groupe. Ils se languissent déjà de rencontrer de belles mexicaines sur la plage. Quant à Gabriel, il conduit Lila au fond du couloir derrière la cuisine et lui montre la chambre qu’il occupait quand il venait en vacances avec ses parents. Elle est plus petite que les autres, mais bien agencée. Le lit est en bois avec des baldaquin d’où pendent des voilages blancs. Les meubles sont en rotin. L’ambiance y est vraiment chaleureuse, mais ce que remarque Lila c’est la grande baie vitrée qui donne sur une petite terrasse en bois où est accroché un hamac, face au jardin. Elle sent l’air marin lui caresser la peau, apportant avec lui les notes fruitées et sucrées des fleurs et des arbres du parc.

- C’est la plus belle chambre, dit Lila en admirant la vue. On a l’impression d’être en plein milieu de la jungle. Seuls au monde.

- N’est-ce pas ? C’est pour ça que quand j’étais petit, je ne voulais dormir qu’ici. A la base c’était une salle qui servait un peu de débarras, de buanderie. Mes parents l’ont réaménagé quand ils en ont eu marre de tout déménager pour que je puisse dormir ici.

- Quel enfant terrible, rit Lila.

Ils prennent quelques minutes pour ranger leurs affaires. Lila en profite pour se rafraîchir un peu à la salle de bain. Quand elle ressort, elle trouve Gabriel, debout sur la terrasse, les yeux dans le vide. Elle n’aime pas le voir comme ça. Elle s’approche et l’enlace par derrière, collant son nez contre son dos. Elle ne sait pas quoi dire, mais espère que sa présence l’apaise un peu. Après quelques secondes, il se retourne. Il l’embrasse sur le nez et replace une mèche de cheveux derrière son oreille. Lila ressent des frissons descendre le long de sa colonne vertébrale. Cette chambre lui donne des tas d’idées qui font monter la température de son corps instantanément.

- Les murs sont bien isolés ? demande-t-elle. Tu n’as jamais entendu tes parents rien faire ?

- Euh… rit Gabriel en faisant la grimace. Je ne sais pas. Je n’ai jamais rien entendu, Dieu merci. Mais mes parents dormaient à l’étage, à l’autre bout de la maison. Pourquoi tu m’as fait penser à ça ? J’ai des images horribles en tête maintenant.

- Pardon, pardon, rit Lila, en l’embrassant sur la joue pour se faire pardonner.

- On va le savoir vite si quelqu’un a pris la chambre au-dessus de la nôtre.

- Oh non ! Tu crois ?

- Si c’est Alex ou Raph, on n’est pas à l’abri qu’ils ramènent une fille.

- Ou plusieurs… complète Lila.

Gabriel hoche la tête. Le couple profite encore de leur étreinte, quand ils entendent du bruit dans la pièce qui surplombe leur chambre. Ils se regardent et tendent l’oreille pour essayer de deviner qui sont ses occupants. Ils entendent des voix mais pas assez forts pour comprendre ce qui se dit.

- Ils sont deux, donc c’est un de nos couples, chuchote Gabriel.

Puis, des pas plus insistants résonnent, comme si les deux personnes se mettaient à courir. Quelque chose tombe lourdement au sol, il y a un silence, puis plus rien. Il semble à Lila que la fenêtre de l’étage s’ouvre.

- Non, arrêtes ! Je te préviens que si tu t’approches, je saute du balcon, dit une voix féminine bien connue du couple, un sourire dans la voix.

- Oh non ! Pas eux, éclate de rire Lila en posant la tête contre le torse de Gabriel.

- Ils sont pires que Raph et Alex réunis ! soupire-t-il.

- N’importe quoi ! Tu as trop peur des hôpitaux pour faire quoi que ce soit de stupide. C’est ta faute aussi, tu n’avais cas pas sortir de la salle de bain à poil, dit une voix grave au-dessus de leur tête.

- Tu as ta réponse, dit Gabriel. Avec les fenêtres ouvertes, on entend tout…

- D’accord, tu as gagné… dit la femme, sa fin de phrase coupée par un long soupir.

Des bruits de plus en plus suspects de grognements et de meubles qui bougent se font entendre. Lila regarde Gabriel avec de grands yeux. Clairement, ils sont passés à la vitesse supérieure en quelques secondes. Des petits cris de désir résonnent par la fenêtre ouverte.

- D’accord, on bouge avant que ça devienne encore plus gênant, dit Gabriel en fermant la fenêtre de leur chambre, coupant un peu les bruits. Ou avant que ça me donne envie d’en faire autant, ici et maintenant, rajoute-t-il avec un sourire en lui pinçant les fesses.

- Intéressant… lance Lila avec mystère. Mais beaucoup trop bizarre, finit-elle par dire en secouant la tête et en se précipitant dans le couloir, poursuivie par l’éclat de rire de Gabriel.

Ils se retrouvent sur la terrasse, où sont déjà assis Léo et Elma, qui contemplent la vue.

- Votre chambre vous convient ? demande Gabriel

- Tu rigole ? C’est parfait, répond Léo. On ne peut pas faire mieux.

- Tant mieux, dit le musher en souriant. Ça va Elma, tu n’as pas trop peur de tous ces phénomènes ?

- Non ça va, ils ont l’air assez inoffensifs, mais si vous avez des conseils, je suis preneuse, dit-elle avec humour.

- Je te viendrais en aide, dit Lila en posant une main sur la sienne, ce qui lui vaut un sourire éclatant. Je crois que de tous les mecs présents, on est avec les plus calmes et équilibrés.

- Une chance pour nous, on a fait le bon choix, enchaîne la nouvelle venue.

- Continuez à nous complimenter comme ça, c’est agréable, dit Léo en posant son bras sur le dossier de la chaise d’Elma.

- On va s’arrêter là, sinon vous allez croire ce qu’on est en train de dire.

Peu de temps après, ils sont rejoints par les autres, tous ravis des vacances qui s’annoncent. Ils prévoient d’aller faire un tour à pieds pour explorer les lieux, avant de manger. Après avoir attendu quelques temps, Logan fini par demander :

- Mais qu’est-ce qu’ils peuvent bien foutre ?

Gabriel lance un regard entendu à Lila, qui se retient d’éclater de rire. Elle n’a pas dû être si discrète, car un gros silence tombe sur le groupe. Quelques ricanements se font entendre. Raphaël se lève, fait le tour de la maison et ils l’entendent crier :

- Ambre, Noah, dépêchez-vous de finir, sinon on part sans vous.

Tout le monde éclate de rire, lorsqu’ils entendent Noah répondre :

- Va te faire !

Ça commence bien, pense Lila, en s’essuyant les yeux. Elle n’ose pas imaginer la réaction d’Ambre quand elle va se faire chambrer par tout le monde. Ça va être explosif, elle voit la scène de là. Et bien entendu, Noah va tout faire pour la faire sortir de ses gonds en en rajoutant. Ces vacances vont être à coup sûr mémorables. Pour se changer les idées, il n’y a pas mieux qu’un lieu paradisiaque, des amis indisciplinés et un petit ami aussi beau qu’attentionné.

[1] Les amis, bienvenue au Mexique. Trinquons à nos vacances, ici à Cancun. Santé !

[2] Santé en irlandais.

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