Chapitre 18

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Les premières lueurs du jour éclairent la brume qui s’accroche au sol, tel un tapis douillet, cachant encore pour quelques minutes le réveil de la nature dans ses formes vaporeuses. Des gouttelettes fines viennent percuter le parebrise, rendant flou les sapins immenses qui défilent à toute allure de part et d’autre de la route, droite et sans fin. C’est un moment spécial que Lila affectionne particulièrement, celui où le jour semble indécis, hésitant entre somnolence et réveil. Tout est calme et apaisant, seul le bruit du moteur et le raclement régulier des essuis glace sur la vitre viennent rythmer cet instant hors du temps.

Après encore une longue demi-heure de route, Gabriel arrête enfin le pickup dans un champs, au milieu d’une dizaine d’autres véhicules. Tous les muscles de Lila protestent quand elle déplie ses jambes pour sortir de la voiture. Le froid contenu dans l’humidité de l’air lui fait regretter de ne pas avoir mis son manteau avant de sortir. Elle étire ses bras en l’air pour détendre son dos, ce qui fait craquer sa colonne vertébrale.

- Une vraie mémé, rigole Gabriel en lui pinçant un bout de peau juste au-dessus de la ceinture de son jean, révélé par sa polaire grise légèrement remontée.

Pour se venger, Lila lui pince une fesse, assez fort pour le faire reculer. Ils échangent un regard complice tout en riant. Gabriel dépose un rapide baiser sur ses lèvres et lui prend la main.

- Viens, il faut que j’aille m’annoncer et récupérer les consignes de course.

Le musher la guide à travers le parking, slalomant entre les voitures et les remorques d’où s’échappe le bruit assourdissant des chiens excités par l’odeur de leurs congénères et par la perspective de la course. Au bout du champ, ils pénètrent sous une grande tente blanche. Leur chemin est barré par un homme d’une cinquantaine d’année à la carrure impressionnante qui s’apprête à sortir. Avec sa grosse barbe brune et ses cheveux long, Lila ne peut s’empêcher de faire la comparaison avec Hagrid. Quand il reconnait Gabriel, ses petits yeux marrons s’illuminent et un sourire vient barrer son visage.

- Tiens, v’la l’Gabriel ! Comment ça va p’tit ? demande-t-il d’une voix grave.

- Salut Gérald. Content de te voir. Prêt pour la dernière ? répond Gabriel avec un sourire en lui serrant la main avec force.

- Pour sûr ! Mais dis-moi, j’connais pas c’te jolie d’moiselle, continue le musher en désignant Lila avec un sourire entendu.

Gabriel pose une main au creux des reins de la jeune femme et répond avec un sourire.

- Je te présente Lila, ma petite-amie.

- Enchanté mamzelle, la salue Gérald en se penchant en avant, mimant maladroitement une révérence. T’es avec un f’tur champion là !

Après avoir échangé quelques politesses, Gabriel se dirige vers la table des organisateurs pour prévenir de son arrivée. Il récupère ses dossards et on l’informe du déroulement de la journée. De retour vers la voiture, il entreprend de faire sortir ses chiens de leurs box. Derrière son pick-up, il a attelé une grosse remorque, divisée en différents compartiments spacieux pour accueillir sa meute.

- Gérald m’a l’air vraiment gentil, dit Lila en regardant le barbu expérimenté attacher ses chiens les uns aux autres.

- Il l’est. Une vraie pâte. Il m’a donné pleins de conseils super utiles. Par contre, une fois dans la course, il est redoutable et ne fait aucun cadeau. Mais je sais que si j’ai un problème, je peux compter sur lui pour m’aider. Ce qui n’est pas le cas de Clyde Dickinson.

Gabriel fait un signe de tête pour désigner un grand blond, avec une carrure de sportif et un sourire arrogant. La carricature des quarterbacks dans les films américains.

- Tu n’as pas l’air de beaucoup l’aimer, constate Lila en reportant son attention sur les chiens devant elle.

Tout en parlant, le jeune homme a commencé à faire sortir ses chiens un par un et à les équiper de leur harnais. Lila s’accroupie en face de Freyja, lui passe le harnais autour du cou, avant de lui prendre une patte pour la glisser dans l’espace prévu. La chienne ne bouge pas. Gabriel prend un moment avant de répondre à la remarque de la jeune femme, concentré sur ses mouvements pour équiper Loki.

- On va dire qu’on n’a pas vraiment la même vision des choses lui et moi.

- Tu sais, tu peux dire que tu n’aimes pas quelqu’un, rit Lila devant sa tentative pour modérer ses propos.

- D’accord, alors oui, je le déteste. Ce n’est qu’un fils à papa arrogant et prétentieux. Tout ce qui compte pour lui, c’est la victoire, quitte à enfreindre les règles et à écraser les autres. Quel co…

- Ok, ok, je crois que j’ai compris, rit Lila face à son emportement.

- Désolé.

Gabriel se passe une main dans les cheveux. Lila n’a pas l’habitude de le voir comme ça, s’emporter contre quelqu’un, lui qui est d’habitude toujours mesuré et gentil avec les autres. Elle trouve sa réaction touchante et aime bien quand il laisse entrevoir son caractère fort.

- En tout cas, j’espère qu’il restera loin de moi, parce que je ne lui fais pas confiance.

- Tu veux dire qu’il est capable de tricher ? demande Lila en regardant dans la direction du principal intéressé, qui est en train de parler avec un petit groupe.

- Oh, tu sais, avec lui je m’attends à tout.

- Ça fait longtemps que tu le connais ?

- Il est entré dans le circuit à peu près en même temps que moi. On se croise souvent puisqu’on concourt dans les mêmes catégories. Malheureusement, on fait à peu près les mêmes scores pour le moment, donc une compétition implicite s’est installée entre nous. S’il a l’occasion de me faire des coups bas et de m’écraser, il ne se prive pas. Et j’avoue que quand je le bats, j’en retire une grande satisfaction. Tu peux m’aider à leur mettre les dossards, lui demande le jeune homme en lui tendant les papiers avec marquer en gros le chiffre 031.

Lila se penche pour coller le papier sur le harnais de Nova, mais la chienne tourne et retourne dans tous les sens, emmêlant ses attaches dans les pieds de la jeune femme qui perd l’équilibre. Le cœur de Lila s’affole et elle attend avec angoisse le moment où ses fesses vont rencontrer le sol, mais à la place, elle sent deux mains puissantes la retenir par les bras et la remettre debout. Elle ouvre la bouche pour remercier Gabriel, mais se fige quand elle comprend qu’il n’a pas bougé et qu’il est toujours devant elle. Il a le visage fermé, le corps tendu. Lila se retourne et fait face à un grand blond à la mèche impeccablement coiffée, un sourire énervant sur son visage de cire.

- Bonjour, lui dit-il d’une voix trainante et cajoleuse.

- Qu’est-ce que tu veux Clyde ? demande Gabriel tranchant, en se rapprochant de Lila.

- Du calme Lemire, je viens juste me présenter aux nouvelles têtes. C’est la politesse après tout. Moi, c’est Clyde.

Il ne quitte pas Lila des yeux et lui tend la main, sans se départir de son sourire. Elle regarde son bras tendu devant elle un moment, ne sachant pas trop comment réagir. Pour ne pas faire d’esclandre, elle répond à son geste en affichant un faible sourire.

- Bonjour, moi c’est Lila.

Au lieu de lui serrer la main comme elle s’y attendait, Clyde fait tourner son poignet et se penche pour lui déposer un baiser sur le dos de la main. Lila est gênée devant ce geste clairement charmeur et sent Gabriel bouillonner derrière elle.

- Lila… reprend Clyde songeur. Un très joli prénom, qui convient parfaitement à celle qui le porte (Lila sent ses joues s’empourprer). Si tu veux supporter une équipe gagnante, tu peux venir avec moi. C’est mieux que de rester avec les losers. Et puis, qui sait, on pourrait faire plus amplement connaissance après la course, rajoute le blond avec un clin d’œil.

Gabriel fait un pas en avant face à cette provocation ouverte. Il se retrouve collé contre le dos de Lila. Elle sent son buste se soulever rapidement et ses poings se fermer. La première chose qui vient à l’esprit de la jeune femme est qu’elle le laisserait bien refaire le portrait de cet abrutit. Puis, elle pense à la course et au fait que Gabriel sera à coup sûr disqualifié avec un tel comportement. Elle lui prend la main pour le calmer et sourit à Clyde.

- Merci pour le conseil, mais je crois me trouver dans la bonne équipe. Comme tu viens de le dire, c’est toujours mieux d’être avec les gagnants.

Clyde fronce les sourcils et ouvre la bouche, mais aucun son n’en sort. Il fixe Lila, puis son visage se durci. Il pointe du doigt Gabriel et lui lance :

- Je vais t’écraser Lemire, tu devrais faire gaffe à toi.

- Ouhhh je tremble, réplique Gabriel en se moquant.

Clyde s’éloigne et Gabriel souffle longuement. Lila se retourne et pose ses deux mains sur ses joues. Sa barbe de quelques jours lui pique les paumes, lui envoyant une décharge d’énergie. Elle le force à la regarder dans les yeux.

- Ne te laisse pas distraire par ce connard. Tu te concentre sur ta course et ça va aller. Et puis si jamais il t’embête trop, j’irais saboter ses freins.

- Ambre ne serait-elle pas en train de déteindre sur toi ? rit Gabriel soudain plus détendu.

Lila lui tire la langue en souriant. Elle approche son visage du sien et lui donne un baiser doux et tendre. Le meilleur des encouragements.

- J’aime bien ce côté maléfique, lui murmure le musher avec un sourire.

- Qu’est-ce que tu veux, je défends ma meute, dit Lila en haussant les épaules et en désignant le tatouage à son poignet.

La course a commencé depuis une vingtaine de minutes. Gabriel concourt avec un attelage de six chiens, Nova en tête. La première manche fait environ cinquante kilomètres, il n’est donc pas prêt d’arriver. Lila arpente le parking en attendant son retour. Elle a sympathisé avec quelques personnes présentes dans les équipes, mais le froid de cette journée de printemps lui glace les os. Le brouillard humide n’a pas l’air de vouloir se lever et son manteau ne suffit pas à la réchauffer. L’humidité faire frisoter ses cheveux, qu’elle essaye tant bien que mal de dompter avec ses doigts. Après un long moment, elle décide de rejoindre le pick-up pour se mettre à l’abri. En passant devant la remorque, elle vérifie que les chiens restants vont bien. Gabriel a pris toute sa meute, sauf Pongo qui se remet encore de son empoisonnement. Si un des chiens de l’attelage se blesse, il pourra faire appel à eux. Sky, un gros Samoyède, est couché sur ses couvertures, le museau sur ses pattes avant, profondément endormi. Le box à côté est beaucoup moins calme. Il est occupé par Hel, l’hyperactive. Elle a poussé ses couvertures en boulle et ne fait que tourner dans tous les sens. Quand elle aperçoit Lila, elle vient coller son museau contre la grille et se met à pousser des gémissements. La jeune femme tente de l’apaiser en lui parlant quelques minutes, mais la chienne se met immédiatement à aboyer quand elle s’éloigne vers le véhicule. Elle revient vers elle, la calme et repart, mais rien n’y fait. Après plusieurs tentatives infructueuses, Lila prend une laisse et fait sortir le husky. Toute contente, elle remue la queue, mais ne cherche pas à s’éloigner. La jeune femme monte à l’arrière du 4x4, pose une couverture sur la banquette et s’empare de son livre. Hel s’installe à côté d’elle, la tête sur ses jambes. La chienne, d’habitude si énergique, reste silencieuse et immobile jusqu’à s’endormir. Seules quelques spasmes de sommeil viennent troubler la quiétude du moment. Elle ne sait pas ce qui la lie à Hel, d’habitude indomptable, mais la complicité qu’elles entretiennent est précieuse. Comme si elles arrivaient à s’apaiser l’une l’autre. Elle est réchauffée et plonge dans son histoire passionnante, au beau milieu des contrées sauvages irlandaises.

- Merci pour les encouragements sur la ligne d’arrivée.

Lila sursaute si fort, que Hel fait un bon sur ses genoux. Elle s’est endormie en lisant.

- Je ne vous dérange pas toutes les deux ? demande Gabriel en riant.

Hel, reconnaissant son maître, se lève, fouette Lila de sa queue au passage et s’approche de lui toute contente. Il la caresse un moment, le temps pour la jeune femme de se redresser et de reprendre ses esprits.

- Je suis désolée Gab, je me suis endormie, s’excuse-t-elle.

- Le réveil à quatre heures du mat te rattrape ?

- Moque-toi ! fait semblant de se plaindre Lila. Ça a été ?

Lila sort de la voiture pour le rejoindre dehors. Gabriel a les cheveux en bataille, le pantalon et la veste pleine de boue. Il s’appuie nonchalamment contre la carrosserie en croisant les bras.

- Ça va. J’ai pas fait un temps trop dégueu. Le parcours n’est pas trop technique et varié, donc les chiens s’éclatent. Par contre à un endroit, y a une de ces flaques de boue. Tous les karts se sont embourbés. Une galère à sortir de là, je te dis pas.

- Je vois ça.

Lila s’avance vers Gabriel et frotte de son pouce la tâche marron qui barre son front. Les yeux du musher s’illuminent et il la serre contre lui en lui attrapant la taille.

- Mon nouveau style ne te plait pas ? demande-t-il taquin.

- Oh si, bien au contraire. Ce côté sauvage me donne plein d’idées, mais je ne voudrais pas que d’autres aient les mêmes…

- Ah oui ? Et je peux savoir la teneur de ces idées ?

- Gagne la course et tu verras.

Lila se recule, un sourire énigmatique aux lèvres. Gabriel fait une moue de déception et elle éclate de rire.

- C’est pas cool de me torturer comme ça. Bon, allez vient, on va manger.

Gabriel tente de remettre Hel dans son box, mais la chienne compte bien profiter de sa liberté retrouvée. Il capitule en la mettant en laisse.

- Je ne sais plus quoi faire de toi ma belle. Tu es indomptable, dit-il alors qu’elle tire sur ses liens pour aller fureter à droite, à gauche.

- Donne-moi ça, lui dit Lila. Je l’ai sortie, je m’en occupe.

Gabriel ne se fait pas prier et lui donne la laisse. Hel vient se mettre à côté de la jeune femme et marche à son rythme, calmement. Lila se retourne en sentant Gabriel s’arrêter. Il est planté au milieu de l’allée, la bouche légèrement ouverte, les sourcils froncés.

- Qu’est-ce que tu as ? lui demande-t-elle surprise.

- Comment tu fais ça ?

- Comment je fais quoi ?

- Arriver à calmer Hel et à la faire écouter, dit-il en désignant la chienne, assise sagement aux pieds de la jeune femme.

- Je ne sais pas, je ne fais rien de particulier. C’est comme ça. Entre filles, on doit se comprendre, dit Lila en haussant les épaules.

Gabriel reprend sa marche en secouant la tête, toujours incrédule. Il lui prend sa main libre pour se diriger vers la tente. De grandes tables sont installées pour accueillir les participants. Sur la gauche, des bénévoles distribuent des plateaux repas. Gabriel en prend deux. Le musher se tourne vers la salle en quête de places libres et voit Gérald lui faire de grands signes. Le couple s’assoit à côté de lui. Hel se couche sous la table, entre leurs jambes.

- Alors, comment s’est passée ta course ? demande Gabriel.

- Plutôt bien. A part c’te satané boue. J’m’en suis foutu partout. Et toi ?

- Pareil, rit le jeune homme en désignant sa veste toute tachée.

Le repas se passe dans la bonne humeur. Lila apprend à faire connaissance avec le musher expérimenté, qui s’avère être très drôle lorsqu’il raconte ses anecdotes de courses. Il lui pose aussi des questions sur la France, qu’il connait grâce aux compétitions.

Lila est en train de manger son dessert, un délicieux cheesecake, lorsqu’elle sent une présence dans son dos. Gabriel en face d’elle a le visage tendu et fixe un point au-dessus de sa tête. Elle se retourne légèrement et voit Clyde la surplomber, un sourire suffisant aux lèvres. Il pose ses deux mains sur le dossier de sa chaise. Mal à l’aise qu’il s’autorise une telle proximité, Lila se tend. Quelque chose dans son attitude lui rappelle Maxime et un nœud vient se former dans sa gorge.

- Alors ma belle, toujours pas décidée à venir du côté des gagnants ?

- Dégage Clyde, le prévient Gabriel, la voix grave.

- Sinon quoi ? Qu’est-ce que tu vas faire ?

- Pour commencer te refaire le portrait. Ensuite, je vais m’assurer que tu ne dragueras plus ma copine sous mon nez.

- Lemire, Lemire, Lemire… Tu sais bien comment ça se passe dans notre monde. Si tu me touche, mon avocat se fera un plaisir d’appeler le tien, et je ne suis pas sûr que ça arrange tes affaires, je me trompe ? réplique le blond d’un air hautain.

Perdant patience, Gabriel pose ses deux mains à plat sur la table et s’apprête à se lever. Entre temps, Hel, sentant la tension, se met à grogner en direction de Clyde. Un silence se fait autour de la table.

- Les jeunes, on se calme. Ce n’est pas l’esprit de notre sport. Quoi que venant de toi Clyde, ça ne me surprend pas. Tu ferais mieux d’aller t’occuper de tes chiens comme tout bon et vrai musher qui se respecte, plutôt que de faire le paon devant un court qui visiblement ne veut pas de toi.

Toute la tablée se retourne vers l’homme qui vient d’intervenir. Juste avant de lui faire face, Lila voit que Gabriel est surpris, puis des émotions contradictoires traversent furtivement son visage, un mélange de joie et de tristesse. Le nouveau venu est un homme d’une soixantaine d’année, pas très grand et très maigre, appuyé sur une béquille. Ses traits sont tirés et son visage est pâle. Malgré sa fatigue évidente, il a un sourire rayonnant et ses yeux noisette sont pétillants.

- Il ne manquait plus que le vieux pour venir nous faire la morale, ricane Clyde derrière Lila.

Gérald, jusque-là resté silencieux, se redresse et croise ses bras sur son large torse.

- Comment que t’ose lui parler comme ça toi ?! Tu sais à qui t’parle ? On traite pas l’grand champion comme ça.

- Ne t’en fait pas Gérald, après tout je suis bien un vieux. Mais, Clyde tu devrais écouter les gens qui ont de l’expérience. Ils pourraient t’apporter beaucoup, déclare l’homme d’une voix calme et posée, sans aucun reproche.

- Je n’ai pas besoin de ça. Le talent on l’a ou on l’a pas. Or il se trouve que je fais de très bons scores. Donc je me passerais de tes conseils poussiéreux. C’est juste dommage que tu n’aies pas accepté mon offre il y a quelques années. Tes chiens seraient devenus de vrais champions, plutôt que de stagner en bas de l’échelle, rajoute-t-il en fixant Gabriel.

- Détrompe-toi, je sais très bien à qui j’ai confié mes chiens. Je préfère les savoir avec quelqu’un qui prendra soin d’eux, qui les aimera, plutôt qu’avec un fils à papa pourri gâté, qui laisse les autres les entraîner et qui ne leur montre aucune affection. En plus, vu les scores qu’ils font, ils n’ont rien à envier aux tiens. Alors maintenant, excuse-moi, mais j’aimerais passer un moment avec mes amis.

Sur ces paroles, Clyde renifle et s’en va, vexé. Gabriel se lève et tend sa chaise à l’homme pour qu’il puisse s’assoir. Il grimace de douleur et s’appui de toutes ses maigres forces sur sa canne. Gabriel s’installe à côté de lui.

- Je suis vraiment heureux de te voir. Je ne savais pas que tu allais venir, dit le jeune homme.

- Eh, tu ne croyais tout de même pas que j’allais manquer ta dernière course de la saison, mon petit, dit l’homme d’un ton affectueux.

Hel se décide alors à sortir de sous la table. Elle s’avance prudemment vers le nouveau venu en reniflant. Les yeux de l’ancien musher s’illuminent et il tend la main vers elle.

- Bonjour ma belle. Alors c’est toi la future championne. Tu en as l’allure en tout cas.

Toute contente de sa caresse, la chienne se laisse faire un moment, puis son regard est attiré ailleurs et elle détalle sous la tente. Gabriel tend la jambe pour essayer de bloquer sa laisse avec son pied, mais il n’est pas assez rapide. Il s’apprête à partir à sa rechercher, lorsque Lila le coupe.

- Reste, je m’en occupe.

Lila se lève et arpente la tente à la recherche du chien. Elle la trouve sous la table du buffet en train de lécher quelques bouts de poulet tombés par terre. Elle la ramène vers le groupe d’amis en pleine discussion concernant la course. A son arrivée, le vieil homme la fixe avec un sourire malicieux. Elle s’assoit sur la chaise vide à coté de Gabriel et ordonne gentiment à Hel de se coucher et de se tenir tranquille. La chienne obéit et pose sa tête sur le sol, entre ses pattes avant.

- C’est bien ma belle, la félicite la jeune femme avec une caresse entre ses oreilles.

- J’étais tellement surpris de te voir, que je n’ai même pas fait les présentations correctement. Lila je te présente Jack Lavoie, mon mentor. Jack, voici Lila, ma petite-amie.

Lila sourit et comprend mieux la surprise de Gabriel. Elle tend la main pour prendre celle de Jack.

- Je suis enchantée de vous rencontrer. Gabriel m’a beaucoup parlé de vous.

- Je suis ravi également de faire ta connaissance. Cela fait quelques temps que quand Gabriel me téléphone, la conversation est plus axée sur une certaine jeune femme, plutôt que sur les chiens.

Gabriel baisse les yeux et joue avec le verre qu’il a dans les mains. Ses joues ont pris une teinte rosée, qui fait sourire Lila. La conversation s’enclanche et ils continuent à parler un long moment tous les trois. Puis, la compétition reprend. Gabriel part dans les premiers grâce au temps de la manche précédente. Elle assiste à son départ, puis revient tenir compagnie à Jack. Ils parlent de la chambre d’hôte, des chiens, il lui raconte ses débuts en tant que maître-chien d’avalanche. Au fur et à mesure que l’après-midi passe, Lila se rend compte que Jack est de plus en plus fatigué.

- Je suis heureux pour Gabriel, déclare le musher. Il a l’air plus en paix.

- Comment ça ? questionne Lila.

- Quand je l’ai connu, il était passionné, ça oui, mais se posait beaucoup de questions sur ses choix. Il doutait beaucoup de lui. Aujourd’hui, il a l’air d’être épanoui, que ce soit dans son métier, ou à tes côtés. (Jack laisse passer un moment avant de reprendre). Je me demande quand même si renouer avec sa famille ne l’aiderait pas encore plus…

- Il n’en parle pas souvent, mais d’après ce que j’ai cru comprendre, elle n’a pas très bien accepté sa reconversion et les relations sont tendues avec son père.

- Oui. Je pense qu’il a encore du mal à digérer certaines choses, mais enfin, il a l’air plus heureux que jamais à tes côtés, c’est l’essentiel pour moi.

- Merci, mais j’ai l’impression qu’il m’apporte beaucoup plus que ce que moi je lui apporte.

- Détrompe-toi. Je considère Gabriel comme mon fils, je le connais bien, et je vois que tu lui donne quelque chose qu’il n’a jamais vraiment connu et qui pourtant est essentiel : de l’affection sincère et vraie. Sans ça, on ne peut pas vraiment s’aimer soi-même, or j’ai l’impression qu’il commence à ne plus se sentir coupable.

- Coupable de quoi ? demande Lila, pas sûre de comprendre où il voulait en venir.

- De ne pas correspondre à ce que les autres attendent de lui je suppose, mais ça ce n’est pas à moi de le dire. Il faudra que tu lui en parle directement.

Sur ces paroles, Jack se met debout avec difficulté et s’éloigne en direction des organisateurs, laissant Lila pensive. Peu de temps après, Gabriel arrive, content de son score. Tous deux partent s’occuper des chiens : leur donner à boire, les masser pour soulager leurs articulations. Puis, Gabriel l’entraine dans la masse, lui présentant des amis et des concurrents. Au moment des résultats, tout le monde se réunit autour du directeur de course. Lila trépigne d’impatience. Elle trouve le discours trop long et n’attend qu’une chose, voir si Gabriel est sur le podium ou non. Au bout d’un long moment, le top trois est annoncé. La jeune femme retient sa respiration, accrochée au bras de son petit-ami, qui rit en la voyant faire.

- Et voici maintenant notre trio de tête, résonne la voix du directeur de course dans le micro. En troisième position, Nancy Desmarais.

Une femme rousse d’une quarantaine d’année s’avance vers la scène, devant la foule.

- En deuxième position, Gabriel Lemire.

Lila pousse un petit cri aigu et lui saute au cou. Il monte sur la deuxième marche au moment où le vainqueur est annoncé.

- Et le grand gagnant, Clyde Dickinson. Félicitation à tous.

Lila râle dans sa barbe et à envie de huer quand elle voit ce petit arrogant monter fièrement sur la première marche. Il se penche vers Gabriel avec un sourire et lui glisse un mot à l’oreille. Son visage passe du blanc au rouge et Lila craint qu’ils ne se battent devant tout le monde. Mais comme à son habitude, son ami reste calme et ne laisse rien paraître. Elle le prend en photo, très heureuse de sa deuxième place malgré tout et en profite pour faire une photo avec Jack, venu le féliciter.

Au moment de partir et de regagner leurs affaires, Lila voit Clyde arriver dans leur direction. Instinctivement, elle regarde Hel qui l’attend sagement assise. Leur regard se croisent et comme si la chienne comprenait, elle s’éloigne de Lila, tendant sa laisse au maximum, pile au moment où le gagnant passe avec sa coupe en main, son air arrogant toujours sur le visage. Il trébuche et s’étale au sol, lâchant son trophée qui vient s’exploser en morceau. Avant qu’il ne comprenne ce qui se passe, Lila fait signe à Hel de revenir et elles rejoignent vivement Gabriel, qui n’a pas perdu une miette de la scène.

- Tu es vraiment diabolique ! rit-il en la prenant par la taille.

- Je n’aime pas les gosses de riche dans son genre, qui doit tout à la fortune de sa famille.

Une expression indéchiffrable passe sur le visage de Gabriel, trop furtivement pour que Lila en comprenne la teneur.

- Je vais commencer à croire les rumeurs qui circulent à votre sujet. De vraies sorcières.

- Fais gaffe à toi alors, que je ne te jette pas de sort !

- Tu m’as déjà ensorcelé, déclare le jeune homme en déposant un baiser sur sa tempe.

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