Chapitre 11

22 minutes de lecture

- Tu es sûre de ne pas vouloir y aller en pyjama ? Pour te venger de l’autre jour.

Ambre est assise sur le lit de Lila, un pot de vernis à ongle rouge vif dans une main, le pinceau dans l’autre. Elle a remonté son genou sous sa poitrine et applique la couleur sur ses orteils. Lila est en train de se préparer pour son rendez-vous de la seconde chance avec Gabriel. Bizarrement, elle se sent beaucoup plus détendue que la première fois. Elle a décidé de ne pas se prendre la tête et de profiter de sa soirée. Les mots que lui a dit Gabriel l’autre soir dans la grange lui ont fait du bien. Elle rit à la remarque de son amie, tout en rentrant son pull dans sa jupe. Elle a choisi de porter la même tenue que la première fois. Elle se sent bien dedans et la trouve vraiment magnifique.

- Non, le pauvre. Il avait l’air vraiment mal et un peu désemparé.

- Oui, on aurait dit un pauvre petit chiot abandonné, éclate de rire Ambre.

- Tu es vraiment méchante, rit à son tour Lila en secouant la tête.

Lila décide de laisser ses cheveux tels qu’ils sont naturellement, légèrement ondulés. Elle ne veut pas non plus trop se maquiller, préférant rester le plus fidèle à ce qu’elle est. S’asseyant devant le miroir de sa coiffeuse, elle dépose quelques couches de mascara noir sur ses cils. Elle emprunte un gloss rose pâle à Ambre, pour se donner meilleure mine. Elle se regarde dans le miroir à pied. Elle est prête.

Gabriel sonne à la porte à vingt heure précise. C’est Ambre qui va lui ouvrir. Elle se poste dans l’encadrement de la porte, ne l’invitant pas à rentrer tout de suite. Le jeune homme la fixe, surpris, s’attendant surement à voir Lila. Puis son expression change lentement, son sourire se crispe, puis disparait presque. Il semble nerveux. Très bien, pense Ambre. Il ne faut pas qu’il prenne trop la confiance.

- Salut, lui dit-elle avant qu’il puisse parler. Je te préviens, tu as intérêt à te montrer à la hauteur ce soir. Si tu lui fais le moindre mal, tu vas découvrir une facette de ma personnalité que tu ne veux pas rencontrer, ok ? Je suis sérieuse, rajoute-elle en le montrant du doigt.

Ambre sait pertinemment qu’elle doit faire peur à ce moment précis, mais elle s’en moque. Gabriel la dévisage. Il dégluti, faisant monter et descendre sa pomme d’Adam, puis hoche lentement la tête. Bien. Ambre lui fait un grand sourire, comme si de rien n’était et l’invite chaleureusement à rentrer. Lila est assise sur le canapé, en train de vérifier si elle n’a rien oublié dans son sac à main jaune. Elle se retourne à son arrivée et lui sourit de toutes ses dents. Il est quand même super canon, pense-t-elle. Il tient à la main un bouquet de fleurs séchées blanches et roses. Il s’avance vers elle et le lui tend avec un grand sourire.

- Tiens, c’est pour toi. Comme à cette saison il n’y a pas encore beaucoup de fleurs qui fleurissent, je me suis dit que les fleurs séchées seraient plus responsables.

- Merci, elles sont magnifiques, déclare Lila, émue par une telle réflexion.

Ambre s’est assise dans un des fauteuils en velours installé devant la bibliothèque. Elle soupire.

- Tu pourrais donner des cours à Noah. Cet idiot ne m’a jamais offert de bouquet de fleurs. Il est aussi romantique qu’un phacochère.

Cette remarque a le don de faire rire tout le monde. Une fois les fleurs posées dans un vase au centre de la table, Lila revient vers Gabriel.

- Tu es prête ? demande-t-il gentiment.

Elle hoche la tête et le suit vers la sortie, après qu’Ambre leur ait souhaitée une bonne soirée. Elle monte dans sa voiture et ils s’engagent sur la route les menant à Sainte-Agathe. Gabriel a prévu le même programme que la première fois. Il a l’air stressé, serrant à pleine mains le volant, lui répétant sans cesse qu’il va se rattraper. Lila pose sa main sur la sienne, restée sur le compartiment central, en lui assurant que tout va bien se passer, qu’il n’a aucune raison d’être nerveux. Il lance un bref regard à sa main. Elle décide de la retirer, même si sa chaleur lui manque déjà.

- Je peux te poser une question, demande Gabriel après quelques minutes de silence.

- Oui, bien sûr.

- Ambre, elle est toujours comme ça ?

Lila se tourne vers lui, ne comprenant pas où il veut en venir.

- Comment dire… elle a l’air d’être quelqu’un de bien et tout, mais je ne sais pas… Elle paraît tellement sûre d’elle, tellement…. Et puis, elle est tout le temps en train de parler, d’être sarcastique. Elle est…

- Intense ? le coupe Lila.

- Voilà, c’est exactement ça ! Intense.

Lila ne peut réprimer un sourire. Il est vrai que son amie à une personnalité particulière, qui prend de la place. Mais quand on la connaît, on s’y habitue et on apprend à apprivoiser ce chat sauvage. Gabriel pince les lèvres avant d’ajouter.

- Je t’avoue que parfois, elle me fait un peu peur.

Gabriel ressemble à un petit garçon apeuré et Lila éclate de rire.

- Qu’est-ce qu’elle a bien pu te dire pour te traumatiser à ce point ?

- Disons, qu’elle m’a bien fait comprendre qu’il ne fallait pas que je me foire avec toi ce soir.

- Elle est incorrigible, dit Lila en secouant la tête. Ne t’inquiète pas, elle veut juste me protéger, mais quand elle verra que tout va bien, elle va rentrer ses griffes. En plus, je crois qu’elle t’aime bien, donc tu n’as aucuns soucis à te faire.

- Me voilà rassuré !

Durant le reste du trajet, les deux amis parlent des chiens de Gabriel, Lila lui demandant des nouvelles de Pongo, qui se remet doucement de son empoisonnement. Ils approchent de la ville, mais à la surprise de la jeune femme, Gabriel ne tourne pas dans le centre. Il continue sur sa lancée et à la sortie, il tourne dans une rue à gauche. Ils passent devant des petits immeubles résidentiels, qui se transforment rapidement en maisons individuelles, pour au final sortir complétement de l’agglomération.

- Où est-ce que tu m’emmène ? demande Lila curieuse.

- C’est une surprise, tu verras bien. On n’est plus très loin.

La route se rétrécie et Lila voit sur sa droite apparaître par intermittence entre les arbres, une étendue d’eau noire. Ils sont en train de longer le lac des Sables, qui fait l’attractivité de la petite ville. Puis, sans prévenir, il tourne sur un petit chemin qui grimpe face au lac. Une grande bâtisse se détache dans le ciel nocturne. Lila en reste sans voix. Elle ouvre la bouche, se tourne vers Gabriel qui a l’air plutôt satisfait, puis se retourne vers le bâtiment. Le restaurant est immense, tout en pierre, avec des jardins italiens entretenus à la perfection. De petits chemins en gravillons blanc serpentent entre les haies bucoliques, éclairés à intervalle régulier par des lumières. Le parking est rempli de grosses berlines luxueuses. Gabriel se gare, naturellement, comme si le fait d’être entouré de voitures hors de prix était tout à fait normal. Il sort et vient lui ouvrir la portière en lui tendant la main pour l’aider à descendre. Le cœur de Lila s’accélère tout à coup. Elle n’a pas du tout l’habitude qu’on la traite ainsi, ni de se rendre dans ce genre d’endroit d’ailleurs. Il la guide vers l’entrée, une immense porte cintrée toute en verre. Lila n’arrête pas de tourner la tête dans tous les sens. Tout à l’air tellement luxueux et class. Prise d’un moment de stress, elle retient Gabriel par le bras, le forçant à se retourner.

- Je ne suis pas du tout habillée pour ce genre d’endroit. Je vais paraître totalement ridicule.

- Mais non, tu es parfaite, ne t’inquiète pas.

Gabriel lui prend la main doucement et la guide à l’intérieur. Ils sont accueillis par un jeune homme en costard qui se penche légèrement vers l’avant en disant.

- Bonsoir Madame, Monsieur Lemire. Bienvenu au Manoir Stonehaven. Suivez-moi je vous prie, votre table vous attend.

Gabriel ne lâche pas la main de Lila et suit le maître d’hôtel à travers la salle de restaurant. Le sol est en parquet massif, les tables nappées de blanc, éclairées par des lustres dorés. Les murs sont recouverts d’huisseries en bois sombre. Lila a l’impression d’être dans une maison de maître du dix-neuvième siècle. De nombreuses tables sont occupées, toutes par des couples ou des groupes de personnes ayant plus de quarante ans. Lila ne se sent pas très à l’aise. Le volume sonore est bas, malgré les nombreuses conversations. Tout semble doux, feutré, mesuré. L’homme qui les précédé les installe dans la véranda blanche, sur une table un peu isolée à côté des larges baies vitrées. De jour, la vue doit être imprenable. La nuit étant totalement tombée, Lila ne peut distinguer que les lumières de la ville au loin et des quelques maisons perdues dans la forêt. Ça a quelque chose de magique, comme des petites lucioles venant se perdre sur les rives des eaux froides et sombres du lac. Le maître d’hôtel débarrasse Lila de son manteau et de son sac, qu’il accroche à une patère sur le mur derrière elle. Il recule une chaise, l’invitant à s’assoir. Gabriel, lui, enlève sa doudoune et la tend à l’employé avant de s’assoir. Lila reste sans voix. Il paraît tellement détendu dans cet environnement guindé, mais ce qui la surprend le plus, c’est la façon dont il est habillé. En plus de son pantalon beige taillé à la perfection, il a une chemise bleu ciel et une veste de costume bleu nuit, mettant en valeur ses yeux. Elle ne l’a jamais vu aussi apprêté, mais elle ne va pas s’en plaindre, au contraire. Il commande deux coupes de champagne. Lila s’empare du menu pour obliger son regard à se concentrer sur autre chose que sur l’homme séduisant assis en face d’elle. Sur la carte, tout semble appétissants, réveillant la cheffe qui sommeille en elle. Elle aimerait pouvoir goûter à tout, mais les prix en face de chaque plat la refroidissent instantanément. Non pas que ce soit hors de prix, c’est tout à fait correct pour un restaurant semi-gastronomique. En France, pour le même prix, on mangerait beaucoup moins bien c’est sûr, se fait elle la réflexion.

- Tu as l’air de bien connaître cet endroit, ne peut s’empêcher de demander Lila, devant l’aisance apparente du jeune homme.

- J’y suis venu quelques fois en famille, dit-il en levant ses yeux du menu.

Il y jette un dernier coup d’œil, le ferme et le pose à côté de lui. Lila sent la pression monter. Il faut qu’elle choisisse avant que le serveur ne revienne. Elle finit par jeter son dévolu sur l’œuf parfait et les crevettes pile au moment où on vient leur prendre la commande.

- Pour moi, ça sera le foie gras de canard et le flétan. On prendra également une bouteille de vin blanc, s’il vous plait, demande Gabriel, toujours sans se départir de son sourire aimable.

- Très bien, je vous apporte ça.

Le serveur s’en va après leur avoir déposé les coupes de champagne et le silence retombe sur la table. Lila regarde autour d’elle, détaille les tableaux accrochés aux murs, contemple les lumières vacillantes à l’extérieur, tout en jouant avec le coin de sa serviette immaculée. Puis elle regarde Gabriel. Il la fixe sans ciller, son regard bleu illuminé par le reflet du lustre en cristal au-dessus de leurs têtes. Lila sent la chaleur monter sous ce regard insistant, allant même jusqu’à se dandiner sur sa chaise, mal à l’aise.

- Tu es magnifique.

- Merci, répond Lila, encore plus gênée et rouge. Tu n’es pas mal non plus. Qui aurait cru que Gabriel Lemire aurait autre chose que des chemises à carreaux dans sa garde-robe, se moque elle gentiment.

- Très chère, il se trouve que je sais m’adapter aux circonstances.

Il a pris un accent guindé qui fait rire Lila. Il attrape sa coupe, la lève au-dessus de la table, attendant que la jeune femme fasse de même, puis déclare solennellement :

- A notre second premier vrai rendez-vous.

- A ta première et seule chance de te rattraper, enchérit Lila en lui faisant un clin d’œil.

Gabriel fait la moue, ce qui fait voler quelques papillons dans le ventre de Lila, et boit une gorgée. Elle l’imite aussitôt.

- Alors dis-moi, tes parents font quoi comme métier pour fréquenter cet endroit ?

- Mon père travaille dans l’hôtellerie et ma mère est restée à la maison pour nous élever.

- Vous êtes nombreux ?

- Trois. J’ai un frère et une sœur. Je suis le petit dernier. Qu’est-ce qui te fait sourire comme ça ? demande-t-il amusé.

- C’est drôle, parce que j’ai aussi un frère et une sœur plus âgés. Tu es proche d’eux ? dit Lila en reprenant une gorgé de champagne, qui est vraiment délicieux.

- Enfants oui, j’étais toujours fourré avec mon frère. Notre passe-temps favori était d’embêter notre sœur. La pauvre, quand j’y pense on lui en a fait voir de toutes les couleurs. Je voulais absolument ressembler à David, j’imitais tout ce qu’il faisait. En grandissant, je me suis plus rapproché de Vanessa. Elle n’a pas eu une adolescence facile, je voulais la protéger.

Gabriel lui raconte alors que sa sœur a eu des troubles alimentaires pendant ses années lycées. Elle se mettait beaucoup la pression pour réussir. Elle a su surmonter tout ça et aujourd’hui c’est une femme épanouie. Gabriel avoue qu’il a eu très peur pour elle dans ses années les plus sombres. Il a cru qu’elle ne s’en sortirait pas.

- Je me sentais totalement impuissant face à sa maladie, conclu le jeune homme en baissant les yeux sur ses mains

- Je suis sûre que le fait de l’écouter et de savoir que tu étais là pour elle l’a grandement aidé. Et tes parents, comment ils l’ont vécu ?

- Ma mère était paniquée. Elle ne savait pas du tout comment gérer tout ça, mais elle a été très présente et patiente. Mon père est… (Gabriel hésite). Disons que c’est une personne complexe. Il ne comprenait pas la situation et ne faisait rien pour arranger les choses. Elle va bien aujourd’hui, c’est le plus important.

On leur apporte leurs plats. Lila est subjuguée par le dressage simple et épuré, par les odeurs alléchantes qui se dégagent de son entrée. Tout en plantant sa fourchette dans son assiette, Gabriel déclare :

- Assez parlé de moi. Et toi alors ?

- Qu’est-ce que tu veux savoir ?

- Tout, mais commençons par ta famille, dit-il les yeux pétillants de malice.

- Mon père est agent immobilier et ma mère infirmière. Cette année, ils vont fêter leurs trente-cinq ans de mariage. Rachel, ma sœur est professeur d’espagnol. Elle est mariée avec Juan, oh surprise, un espagnol. Ils ont deux petites filles trop mignonnes, qui me manquent beaucoup, Lou et Camille. Et mon frère, Samuel, est œnologue à Bordeaux.

Durant le repas, Lila lui raconte les longues balades en forêt à côté de chez elle, les dimanches passés à câliner les veaux naissants de son oncle, les samedis à faire les boutiques, son frère râlant de devoir accompagner sa mère et ses sœurs, alors qu’il préférait jouer dans le jardin à gratter la terre. Puis elle évoque ses années au collège et au lycée.

- Vous vous connaissez depuis longtemps avec Ambre ?

- On s’est rencontré en seconde et depuis on ne s’est plus quittées.

Voyant que Gabriel ne comprend pas trop, Lila fait rapidement le calcul dans sa tête et lui dit :

- Pour vous au Québec, ça correspond à la quatrième ou cinquième secondaire, je ne sais plus trop. On avait quinze, seize ans.

Surpris, il hausse les sourcils en demandant :

- Parce que tu connais notre système éducatif ?

- Je m’étais renseignée un petit peu avant de venir, oui.

Le repas se poursuit dans la bonne humeur, les deux amis apprenant à mieux se connaître. Lila se régale avec les plats raffinés qu’on lui propose. Au moment de payer l’addition, Gabriel ne lui laisse même pas le temps de dire quoi que ce soit, il tend directement sa carte au serveur.

- Ce n’est pas dans mes habitudes de faire payer la personne qui m’accompagne lors d’un rendez-vous, déclare le jeune homme.

- Parce que ça t’arrive souvent d’emmener des filles en rendez-vous dans ce genre d’endroit ? demande Lila en haussant les sourcils.

Les joues de Gabriel se parent de petites tâches rougeâtres. Il n’ose pas la regarder dans les yeux.

- Euh… non ce n’est pas ce que je voulais dire… Je… enfin…

- Je te taquine, le coupe Lila en éclatant de rire.

Le serveur lui ramène sa carte et Lila voit le jeune homme souffler de soulagement. Elle le trouve vraiment mignon quand il réagit comme ça. A première vue, Gabriel paraît détendu, comme si rien ne l’atteignait jamais, mais Lila voit bien qu’il se met la pression et que parfois, il ne sait pas trop si ce qu’il dit ou fait est bien. Ce qui lui plait vraiment, c’est qu’il le fasse uniquement quand il s’adresse à elle. Il veut bien faire les choses. Elle ne peut que l’en remercier. En sortant du restaurant, Gabriel lui demande :

- Ça te dit de faire un petit tour dans le parc ?

- Avec plaisir.

Ils descendent quelques marches et s’engagent sur le petit sentier éclairé. Ils marchent un moment en silence, écoutant le bruit paisible de cette nuit de mars. Il fait encore froid, mais c’est agréable. La lune vient les honorer un petit moment de sa présence réconfortante, son croissant parfait se reflétant dans les eaux du lac en contre bas, avant de disparaître derrière les nuages, les laissant seul dans leur contemplation.

- Je ne t’ai jamais demandé, tu faisais quoi avant de devenir musher ? demande Lila, les mains dans les poches de son manteau pour se protéger du froid.

Gabriel prend le temps de la réflexion avant de répondre. Les yeux perdus dans le vide, il déclare :

- J’ai fait des études de commerce international et de management, puis j’ai travaillé un peu pour mon père.

Lila s’arrête en écarquillant les yeux. Gabriel fait quelques pas sans s’en rendre compte, puis se retourne vers elle, interrogatif.

- Il y a un problème ?

- Non, aucun, c’est juste que j’ai du mal à t’imaginer faire du commerce international, assis devant un ordinateur, derrière un bureau. Je pensais que tu avais plutôt fait des études dans l’environnement ou quelque chose comme ça.

Le jeune homme fait non de la tête et se remet à marcher pensif. Il reste muet pendant plusieurs minutes, si bien que Lila a l’impression d’avoir dit quelque chose qu’il ne fallait pas. Elle ouvre la bouche pour briser ce silence pesant, mais il la devance.

- J’aurais aimé faire des études en lien avec la nature ou les animaux, mais il était écrit que je devais travailler dans l’entreprise familiale. Donc j’ai fait des études en conséquence.

- Je trouve ça dommage. Tu es tellement passionné. Ça t’a plus quand même ?

Gabriel émet un rire amer alors qu’il passe devant une petite fontaine en pierre.

- Non, j’ai détesté ça. Il ne me tardait qu’une seule chose, que le week-end arrive pour aller observer les oiseaux dans Rumney Marsh Reservation. Je passais des heures avec mes jumelles, à attendre de voir passer les migrateurs. C’était les meilleurs moments. Ça et quelques soirées étudiantes quand même.

- Elle est située où cette réserve ? demande Lila.

- Au-dessus de Boston.

- Quoi ? Tu as fait tes études aux Etats-Unis ?

Gabriel hoche la tête, les lèvres serrées.

- Ça devait être cool, lance Lila, plus pour elle-même qu’autre chose.

- Je n’en garde pas un super souvenir, mais bon au final j’ai réussi à faire ce que je voulais.

- Tu n’en as jamais parlé à tes parents ? Du fait que tes études ne te plaisaient pas.

Le jeune homme hausse les épaules.

- Ce n’était pas une option. Je devais faire ces études, un point c’est tout. L’environnement n’est pas trop dans les préoccupations de ma famille, enfin passons. Et toi ? Tu as fait quelle école de cuisine en France ?

Lila rigole alors qu’ils sont presque arrivés au bout du jardin. Il fait de plus en plus froid et la jeune femme frissonne.

- Je n’ai pas fait d’école de cuisine. C’est juste une passion.

- A bon ?

- Et non, comme toi j’ai fait une reconversion.

Ils passent sous un tunnel de roses avant de se retrouver sur une terrasse en bois, avec une vue imprenable sur le lac. Gabriel appui des coudes sur la rembarde, face à la vue, tandis que la jeune femme reste un peu en retrait. Elle sait qu’il va lui poser des questions, mais elle ne se sent pas capable d’évoquer son passé. A chaque fois qu’elle y pense, une pointe de douleur vient la frapper en plein cœur et elle a l’impression de manquer d’air.

- Tu faisais quoi ? demande finalement le jeune homme.

- J’étais professeur d’anglais, lâche Lila d’une petite voix.

- Waouh, je ne m’attendais pas à ça, dit-il en se retournant pour la regarder dans les yeux. Pourquoi tu n’as pas continué en arrivant ici ?

Lila est contente d’avoir les mains dans les poches, au moins il ne peut pas les voir trembler. Elle baisse les yeux et essaye de chasser le malaise qui lui serre la gorge. Respire, respire, respire, se dit-elle.

- Je… j’avais… besoin de changement, arrive-t-elle à dire d’une petite voix.

Son ton était vraiment trop hésitant. Gabriel se retourne et s’approche doucement. Il s’arrête à un mètre d’elle, tend la main et pose son index sous son menton, lui relevant la tête afin qu’elle puisse le regarder dans les yeux. Ses iris sont clairs et reflètent la lune qui a refait son apparition.

- Lila on n’est pas obligé d’en parler, surtout si ça doit te faire du mal. Je veux que ce soir soit un bon moment, donc on ne va pas ramener les mauvais souvenir sur le tapis, ok ?

Lila n’arrive pas à parler, mais elle hoche la tête pour montrer son accord. Malgré elle, une larme solitaire quitte sa paupière et coule le long de sa joue. Gabriel lève la main et la chasse avec son pouce. Lila frissonne de tout son corps, le froid n’y étant pour rien cette fois-ci. Il se rapproche, la fixant dans les yeux, les siens ayant pris une couleur plus soutenue. Le cœur de Lila bat la chamade, son souffle devient court. Elle regarde cet homme, si beau sous le clair de lune, se rapprocher lentement d’elle. Ses lèvres ont l’air tellement douces, elle a envie de se rapprocher, de les goûter, pour connaître les sensations qu’elles pourraient lui procurer. Mais son corps est paralysé. Sans la quitter des yeux, Gabriel pose sa main sur la joue de la jeune femme. Lila ferme instantanément les paupières pour mieux savourer l’instant. Elle a envie qu’il se rapproche encore, de sentir l’effet que lui feraient ses lèvres, s’il les posait sur les siennes. Mais elle a peur. Cela fait trop longtemps qu’elle refuse ce genre de sensation, qu’elle freine ses sentiments pour ne pas souffrir. Elle ne sait pas si elle arrivera un jour à se détendre, si elle arrivera à faire de nouveau confiance. Elle perd le fil de ses pensées, lorsque la deuxième main de Gabriel vient trouver sa taille. Les papillons dans son ventre s’envolent. Dans les yeux du jeune homme, Lila y voit une question, comme s’il la sondait pour voir si elle était d’accord avec ce qu’il s’apprêtait à faire. C’est cette intention touchante qui lui fait oublier ses réserves. Son corps réagit avant qu’elle ne comprenne ce qu’il se passe. Ses lèvres s’entrouvrent et ses yeux fixent intensément les lèvres du jeune homme. Gabriel se penche en avant, son souffle se mêlant au sien. Puis délicatement, il pose ses lèvres sur les siennes. Au début, elle le laisse faire, savourant ce contact. Ses lèvres sont chaudes, contrastant avec le froid ambiant. C’est comme si, en l’embrassant, Gabriel réchauffait toutes les parcelles de son corps. C’est puissant, inattendu. N’y tenant plus, Lila passe ses mains autour de son cou, se pressant un peu plus contre le jeune homme. Leur baiser se fait plus insistant, plus intense. Lila ne pense plus à rien. Gabriel mordille sa lèvre inférieure, avant d’en faire le tour avec sa langue. Puis, revenant vers le centre, il l’invite à ouvrir la bouche. Lila déconnecte son cerveau qui émet quelques réserves et mêle sa langue à la sienne. S’entame alors une danse sensuelle, tantôt menée par le jeune homme, sûr de lui et brulant, tantôt par Lila, joueuse, allant même jusqu’à tirer légèrement les cheveux de Gabriel. Le jeune homme laisse passer un grognement, déclenchant une pulsation intense dans le bas ventre de la jeune femme. Le temps semble s’être arrêté et après un moment à la fois trop court et qui semble avoir duré une éternité, les deux jeunes gens se séparent légèrement, le souffle court. Lila fixe Gabriel. Ses joues ont rosi, ses yeux sont sombres, pleins de désirs. Il lui sourit de toutes ses dents et lui replace une mèche de cheveux derrière l’oreille.

- Waouh, dit-il dans un souffle.

- Comme tu dis, rit doucement Lila.

Gabriel lui prend la main et fronce les sourcils.

- Tu es gelée. Tu aurais dû le dire, on serait rentré.

- Pour manquer ce moment ? dit Lila en secouant la tête.

Sans la lâcher, Gabriel s’engage sur le chemin retour, vers le parking. Ils ne parlent pas, savourant simplement la présence de l’autre. Lila est heureuse, cela fait bien longtemps qu’elle n’a pas été aussi sereine. Elle se sent bien avec Gabriel, en sécurité. A peine sont ils entrés dans la voiture, que Gabriel met le chauffage à fond.

- Tu es sûr de vouloir me ramener, je peux demander à Ambre de venir me chercher. Ça t’évitera de faire un aller-retour pour rien.

- Ne dis pas n’importe quoi, ça me fait plaisir. Et puis c’est l’occasion de prolonger un peu plus cette soirée, dit Gabriel en posant sa main sur la cuisse de la jeune femme, qui lui sourit en retour.

Le trajet retour se fait dans une ambiance détendue. Ils commentent les émissions radios qui passent le soir, où les gens exposent leur vie pour avoir des conseils. Ils rient en entendant une femme se plaindre de son petit ami qui passe son temps à regarder le hockey à la télé en buvant des bières.

Puis, après un moment trop court à son goût, Gabriel se gare devant chez elle. Ils restent silencieux un moment. Et voilà le moment gênant que Lila redoute le plus. Comment se comporter après un tel baiser ? Elle aimerait l’inviter à monter boire un dernier verre dans son appartement, mais quelque chose la retient. Elle n’y arrive pas. Gabriel la regarde sans aucune trace de gêne ou de déception. Il est naturel et la fixe de façon si intense, qu’elle détourne quelques secondes le regard, se sentant rougir, avant de lui faire face de nouveau.

- Merci pour cette soirée. C’était… magique, déclare la jeune femme.

- Merci à toi de m’avoir laissé une deuxième chance. De m’avoir fait confiance.

Il la fixe un moment sans parler, comme si les mots n’étaient pas assez fort pour exprimer ce qu’il voudrait. Elle aimerait arriver à se détendre plus, à lui assurer qu’elle est prête à s’engager corps et âme dans une relation, mais elle ne peut pas. Elle s’éclaircit la gorge avant de dire avec un sourire timide :

- Je crois que je ferais mieux de rentrer, il se fait tard.

Gabriel ne dit rien, mais hoche la tête. Lila pose la main sur la portière prête à sortir, mais elle se ravise. Elle se tourne vers le musher et se penche sur lui, posant ses lèvres sur les siennes avec force. Ses mains viennent se poser sur son torse, tandis qu’il l’enlace en passant ses mains dans son dos. Sa langue trouve naturellement le chemin vers celle du jeune homme. Elle profite de son goût, caressant sa langue, sa lèvre, dans une danse sensuelle. Il fait chaud dans l’habitacle. Quand Gabriel lui mordille la lèvre inférieure, Lila ne peut réprimer un gémissement de plaisir. L’accoudoir entre les sièges gêne la jeune femme, qui aimerait se rapprocher encore plus. Elle n’aurait qu’à l’enjamber pour réduire la distance, mais son cerveau émet un signal d’alarme qui la fait redescendre sur terre. Elle se détache lentement de Gabriel en lui souriant.

- Bonne nuit, lui chuchote-t-elle.

- Bonne nuit, lui répond-t-il en lui caressant la joue.

Elle ferme les yeux pour savourer ce contact, pose ses lèvres une dernière fois sur celles de Gabriel dans un baiser doux et rapide, puis sort de la voiture. Le froid la frappe de plein fouet. Elle se détourne de la voiture et se dirige vers la porte. Elle a l’impression d’avoir pris de la drogue tellement elle a la sensation de flotter. Elle ouvre la porte et constate que la lumière du salon est toujours allumée. Ambre a dû l’attendre. Elle se dirige vers elle et trouve son amie sur le canapé, l’ordinateur sur les genoux, des papiers éparpillés tout autour. Elle relève la tête quand Lila entre dans la pièce.

- Alors cette soirée ? demande-t-elle, avant de lever la main. Ne me dis rien, ça s’est très bien fini.

- Comment tu peux être si sûre de toi ? questionne Lila en s’asseyant sur le peu de place qu’il reste, en enlevant son manteau.

- Voyons voir tous les signes : tu souris bêtement comme une adolescente, tu as les cheveux en bataille comme si tu avais passé ta main dedans plusieurs fois, tu as les joues toutes rouges et surtout tes lèvres sont un peu enflées.

Lila rit en cachant son visage dans ses mains.

- C’était comment ?

Lila relève les yeux pour fixer Ambre.

- Génial, magique, incroyable, mais…

- Tss, tss, tss, il n’y a pas de « mais » qui tienne. Tu mérites ce qu’il t’arrive et je suis vraiment heureuse pour toi, la coupe Ambre.

- Oui, mais il y a tellement de choses qui peuvent mal se passer. En plus, je ne le connais pas tant que ça au final. Si ça se trouve, il est gentil et attentionné maintenant, mais cache son jeu.

Une vague de panique vient lui couper le souffle. Elle a l’impression que son cœur va exploser tellement il bat vite. Ses pensées se bousculent dans sa tête à une telle vitesse que ça en est douloureux. Ambre lui prend les mains en la forçant à la regarder.

- Calme-toi, respire profondément, là, voilà. Ecoute, arrête de te poser des questions inutiles. Tu verras bien au moment, mais ne gâche pas ta soirée pour ça. Ce n’est pas moi qui vais t’apprendre ça, mais les relations c’est compliqué et ça fait peur. Mais si tu ne te lance pas, tu vas passer à côté de plein de belles choses. Je suis sûre que Gabriel est quelqu’un de bien, je le sens et je suis sûre que tu le sens aussi, là (elle montre la poitrine de Lila du doigt). Alors arrête de réfléchir et d’imaginer le pire et vit enfin ta vie. Ne gâche pas ta chance d’être enfin heureuse, sous prétexte qu’il peut se passer quelque chose.

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