Chapitre 8

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Des milliards de petites piqures viennent meurtrir chaque centimètre carré de sa peau laissée à l’air libre. Le vent venant du nord fouette ses joues dans un combat qu’elle sait perdue d’avance. Pourtant, Lila ne s’est jamais sentie aussi vivante. En cet instant, elle se rappelle pourquoi elle se lève tous les matins. Pourquoi elle continue à avancer. Pourquoi elle aime tant être ici. Le temps n’a plus d’emprise sur elle. Il n’y a rien d’autre que le présent, dans une symbiose parfaite avec la nature. Le bruit fracassant de la forêt ballotée par les vents, de la neige qui tombe en paquet sur le sol, des animaux qui commencent à se réveiller de leur longue hibernation, fait cesser le brouhaha indécent de la vie humaine. La Terre dans son plus pur état s’exprime et l’enveloppe comme une couette chaleureuse dans laquelle elle aimerait se blottir indéfiniment. La neige qui a recouvert tout le pays pendant plusieurs mois commence à fondre et la vie semble petit à petit se réveiller d’une longue sieste. Perchée sur son escabeau, Lila se sent minuscule et à la fois puissante. Elle n’a pas pu résister à l’appel du grand air. Ses arbres lui avaient manqués. Elle trouve toujours beaucoup de réconfort à venir parcourir les allées symétriques du verger. Comme Ambre avec le lac au cœur de la forêt, Lila a son refuge. C’est un lieu important où elle vient se ressourcer et trouver des réponses à ses questions.

Une paire de sécateur à la main, elle taille les pommiers pour leur permettre de se développer correctement. L’automne venu, ils donneront de magnifiques fruits. Cela fait plusieurs heures qu’elle travaille et le froid commence sérieusement à engourdir ses doigts, malgré l’épaisseur de ses gants. Elle s’en rend compte quand elle laisse échapper son outil pour la troisième fois. Elle descend de son perchoir, se penche pour le ramasser et remonte pour finir ce qu’elle a commencé. Elle associe un problème qu’elle doit résoudre à chaque coupe qu’elle fait. Une branche au sol signifie une réponse trouvée. Est-ce qu’avec Ambre, elles vont réussir à pérenniser leur activité ? Un coup de cisaille. Oui, parce qu’elles ont plein de projets en cours de développement et qu’elles y mettent corps et âme. Elles y croient et c’est le plus important. Est-ce qu’elle va réussir à rester loin de sa famille, qui lui manque beaucoup, surtout après les fêtes de fin d’année ? Un coup de cisaille. Cette année, elle va essayer de rentrer en France quelques jours pour se ressourcer.

Que faire avec Gabriel ? Sa main reste en suspens et retombe le long de son corps. Elle descend de quelques marches, se retourne et s’assoit sur la plateforme de l’escabeau. Cette dernière question la hante plus que les autres et elle n’a pas encore trouvé de réponse. Elle sait pertinemment qu’elle se ment à elle-même en essayant de se convaincre qu’elle ne ressent rien pour le musher. Sans aborder la question du physique, qui n’en ai pas vraiment une, vu le spécimen, elle apprécie vraiment sa compagnie. Elle adore passer du temps avec lui, parler de tout et de rien, rire des comportements absurdes de ses chiens. Durant ces dernières semaines, il lui a proposé plusieurs fois de se joindre à lui lors d’entrainements. Au début, elle était hésitante, mais elle a tellement adoré l’adrénaline que procure le guidage des chiens, qu’elle n’a pas pu refuser. Loin d’être une pro, elle arrive maintenant à faire des manœuvres sans l’intervention de Gabriel. A chaque fois qu’elle le voit, il lui fait oublier ses problèmes et ses réticences. C’est là où le nœud du problème réside. Il a une capacité déroutante à lui faire tomber petit à petit ses barrières. Il n’est pas du genre à donner de grands coups avec une masse pour faire tomber les murs. Il est plus minutieux, comme s’il s’insinuait lentement à l’intérieur, tel un nuage de vapeur bleu azur, grignotant ses défenses en douceur, jusqu’à ce qu’il ne reste rien. Est-elle vraiment capable de le laisser faire ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? La peur de tout perdre une seconde fois la terrifie. Elle se sent tiraillée entre son cœur et sa raison. C’est épuisant.

Un long frisson la parcourt des pieds à la tête. A rester assise là, elle est en train de se glacer. De toute façon, elle a fini. Elle va rentrer pour préparer le repas de ce soir pour les deux couples de la chambre d’hôte. Lila ramasse les branches qu’elle a coupé au pied de l’arbre et les portent jusqu’à la remorque attelée à son petit tracteur. Elle la vide à côté de la grange. Les plus beaux morceaux iront tout droit dans la cheminée. Avant de rentrer, elle se dirige vers l’arrière de son laboratoire. Cette partie du bâtiment fait office de stock. Elle peut y conserver tous les produits qu’elle transforme. Elle se plait à l’imaginer rempli d’autres victuailles attendant d’être mis en rayon dans sa boutique de produits locaux. Au fond, elle a gardé assez de place pour, un jour peut-être, acheter tout le matériel pour fabriquer du cidre. Encore un vieux rêve un peu fou… Elle se retourne et prend une cagette de pomme Cortland. Rondes, leurs couleurs oscillent du jaune pâle au rouge flamboyant. Sur le dessus, elle pose une bouteille de jus de pomme et une autre de poire qui seront servies au petit déjeuner, et se dirige vers la maison.

- Oui M. Richard. Bien entendu, nous faisons notre possible mais…. Oui je comprends, pourtant nous… Non, mais… (soupir). Très bien, on fait comme ça. Bonne soirée à vous aussi. Je n’y crois pas ! Mais quel conna…

- Ambre !

- Quel renard ! J’allais dire renard !

Ambre se tourne vivement vers Lila qui entre dans le bureau.

- Avant d’insulter notre pauvre banquier, j’espère que tu as bien vérifier que la communication était coupée.

Prise d’un moment de panique, Ambre se précipite sur son écran. Seul le visage de Noah apparaît, à moitié caché sous l’affichage de l’heure. La jeune femme émet un soupir bruyant.

- Je viens de passer une demi-heure au téléphone avec lui. Pour rien. Il ne veut pas nous accorder un prêt supplémentaire pour la construction de la boutique. Il dit que nous avons bien fait d’investir pour remettre à flot la propriété, mais pour l’instant nous n’avons pas assez de rentrée d’argent. Il veut plus de garantie. J’ai eu beau lui dire que, justement, la boutique nous permettra de gagner plus et de générer plus de trafic, il ne veut rien entendre, rage Ambre en s’agitant sur sa chaise.

Lila s’appuie contre les grandes étagères qui prennent tout un pan de mur, en face de leurs bureaux. Elle reste silencieuse un moment, en pleine réflexion.

- Il faudrait peut-être faire plus de week-ends thématiques ? Les sorties trappeurs nous ont permis de faire quand même pas mal de bénéfices.

- Oui, mais il faudrait les organiser rapidement. Avant le printemps, pour qu’on puisse ouvrir la boutique aux beaux jours. Le problème, c’est que j’ai appelé pas mal de prestataires, ils sont partant sur le principe, mais l’année prochaine. C’est trop compliqué pour eux de s’organiser à si court terme.

- On pourrait peut-être… non laisse tomber, c’est nul.

- Vas-y dit quand même. Toute idée est la bienvenue.

Lila regarde ses pieds et répond sans soutenir le regard de son amie.

- Je me disais juste qu’on pourrait faire appel à Gabriel. Ça nous permettrait de proposer une nouvelle activité avec des balades en traineau. Et puis Gabriel se ferait connaître un peu plus.

Ambre, un grand sourire aux lèvres lèves les deux mains au-dessus de sa tête.

- Enfin ! Ce n’est pas trop tôt.

- Quoi donc ? demande Lila surprise.

- Ça fait un moment que j’ai cette idée en tête, mais j’attendais que tu m’en parle de toi-même.

- Quoi ? Mais pourquoi tu as fait ça ? Tu sais très bien qu’on a besoin d’argent et toi tu ne dis rien. C’est vraiment nul et surtout pas drôle du tout. Des fois, il faudrait que tu grandisses un peu Ambre. La vie n’est pas qu’une plaisanterie.

Lila est énervée. Elle ne comprend vraiment pas pourquoi Ambre n’a pas fait part de son idée plus tôt. Elle a l’impression qu’elle prend tout à la légère, que rien n’a d’importance pour elle. Lila ne peut pas être la seule à avoir la tête sur les épaules pour gérer leur entreprise. Elle adore le côté artiste et déganté d’Ambre, mais pas dans les moments critiques comme celui-là. Piquée au vif, son amie a croisé les bras sur sa poitrine. Les sourcils froncés, ses yeux lancent des éclairs. Attention, une tempête se prépare. Sauf que d’ordinaire, Lila n’est jamais visée. C’est toujours Noah qui en fait les frais.

- Ok c’était peut-être nul, mais ça partait d’une bonne intention. Je ne voulais pas te forcer la main en travaillant avec Gabriel. Je ne voulais pas te mettre dans une situation compliquée à gérer. Parce qu’il faut être aveugle ou borgne pour ne pas voir que Gabriel s’intéresse à toi et pas uniquement de façon amicale. Je sais que tu n’es pas encore prête à te remettre avec quelqu’un et je respecterais toujours tes choix, quoi qu’il arrive. Alors je voulais que la démarche de travailler avec lui vienne de toi pour que tu ne te sentes pas prise au piège ou forcée. D’accord, c’était peut-être maladroit de ma part, mais je ne vois pas pourquoi tu m’attaque personnellement.

Lila veut répliquer mais Ambre se lève. Sa voix forte et puissante résonne dans le bureau.

- Tu crois que je ne vois pas qu’on galère avec tout ça ? (Elle fait un large cercle avec ses bras). Tu crois que tu es la seule à avoir peur de te planter, de tout perdre ? Tu crois que c’est facile pour moi, de me rendre compte que mes parents avaient peut-être raison, que peut être je ne suis pas capable de gérer ma propre boite ? Que peut être je suis bonne à rien ?

Ambre se rassoit sans ménagement sur sa chaise, qui roule un peu vers l’arrière. Lila se redresse et lève les mains en signe d’apaisement, tout en s’approchant de son amie à bout de souffle. D’une voix calme et posée, dont elle est la seule à avoir le secret, elle déclare :

- Je m’excuse, d’accord. Je sais que tes intentions étaient bonnes. Mais ne te mets pas dans cet état. Je n’ai jamais dit que tu étais incapable, au contraire. Sans toi, on ne serait même pas en train de discuter de notre avenir, parce qu’il n’y aurait jamais eu le Manoir de Jadis. Ni toi, ni moi, n’aurions eu le courage de se lancer dans cette aventure seule. Notre force on la tient de notre complicité.

Lila prend sa chaise postée devant son bureau et la rapproche d’Ambre. Elle s’assoit et lui prend les deux mains.

- On est une équipe. On traverse les tempêtes ensemble, on affronte les difficultés ensemble. On gagne et on perd ensemble. Toujours.

Elle sourit gentiment et le visage d’Ambre se détend légèrement. Lila prend la main gauche de son amie avec sa main droite et les retourne. Elles arborent toutes deux un tatouage sur le poignet. Celui de Lila représente un loup hurlant à la lune, dessiné d’un seul et unique trait fin. Celui d’Ambre est orné d’une lune, pleine et ronde, tout en dégradé mystérieux et sombre.

- Alpha et Beta, toujours.

En apparence, les tatouages sont différents, mais elles l’ont fait ensemble, le lendemain de leur arrivée au Canada. Ils représentent leur nouveau départ et la promesse que de grandes choses les attendent. Ils symbolisent leur lien unique, qui va au-delà de l’amitié. Leur promesse de toujours être là l’une pour l’autre.

- Je suis désolée. Je ne sais pas ce que j’ai en ce moment, mais je suis à cran. Si mon abstinence ne durait pas depuis des mois, je pourrais presque croire que je suis enceinte.

Lila rit en secouant la tête.

- Je crois surtout que tu accumule beaucoup de choses, sans les extérioriser. Tu te mets la pression pour le boulot et tu réfléchis beaucoup trop sur ton couple. La cocotte-minute finie par exploser si on ne la vide pas de temps en temps. D’habitude, tu te sers de Noah comme punching-ball, mais là il va falloir que tu trouves autre chose. Pourquoi tu n’écris pas ? Ça fait longtemps.

- Tu crois ? Je ne sais pas. Je n’ai pas écrit depuis des années. Je ne saurais même plus comment m’y prendre.

- Mais si, ne t’inquiète pas. C’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas. Ça te ferait du bien de sortir toutes tes émotions accumulées. Et puis entre nous, ça me manque un peu de ne plus te lire. Tes histoires étaient vraiment bien.

- Peut-être… je vais y réfléchir. Merci d’être toujours là pour moi et encore désolée de m’être emportée comme ça.

- Ce n’est rien, on oublie. Par contre ça va te coûter cher. Je n’ai pas encore décidé ce que ça sera, mais attends toi au pire. Allez, maintenant je me mets en cuisine, parce que sinon ça ne sera jamais prêt pour ce soir.

Lila se lève, replace sa chaise et s’en va en faisant un clin d’œil à Ambre. Au dernier moment, elle se retourne un grand sourire aux lèvres.

- J’ai trouvé. Je dois aller livrer cinq kilos de pommes chez ce cher M. Cloutier la semaine prochaine. Comme je sais que tu l’adore et que tu as une patience sans faille pour l’écouter se plaindre, tu vas y aller à ma place.

Ambre écarquille les yeux et joint ses deux mains ensemble devant elle.

- Oh non, je t’en supplie. C’est vraiment cruel de m’envoyer chez Kreattur. Il t’aime bien, alors que moi il me déteste, dit-elle d’un ton suppliant. Il va encore critiquer mon maquillage et me dire « De mon temps, les femmes ne travaillaient pas et le monde ne s’en portait que mieux. Il vous faut un homme dans cette maison et un vrai. Parce que deux filles ensemble, ça ne va pas du tout. » (Ambre a pris une voix nasillarde pour imiter leur voisin). S’il te plait, ne m’envoie pas chez lui.

- Pas de négociation possible. Sorry.

Lila ferme la porte en riant sur une Ambre déconfite.

***

- Ambre, ça te gêne de surveiller la tarte au poireau dans le four, le temps que j’aille me changer avant le dîner ?

Dans la salle à manger, Ambre est en train de dresser la table. Chaque semaine, elle décide de faire une décoration différente. Elle adore jouer avec les couleurs, les fleurs, les bougies et les serviettes pour créer des ambiances uniques. Cette semaine, le thème est naturel avec des clins d’œil aux populations amérindiennes. Le centre de table est une barque en écorce de bouleau, remplie de feuillage et de fleurs blanches. Des bougies sont posées sur des petits rondins de bois. Ambre a confectionné des dessous de verre représentant des attrape-rêves. Les assiettes sont vert foncé, posées sur une nappe blanche. Les serviettes sont ornées de motifs géométriques traditionnel évoquant la nature. Il ne lui reste plus que quelques touches çà et là, allumer les bougies et ce sera parfait. Il faut vraiment qu’elle envoie une photo à Noah pour voir ce qu’il en pense.

- Non va y sans soucis, répond-elle en ajustant l’alignement des verres à pied.

En redescendant, Lila trouve Ambre assise devant l’ilot central, en train d’écrire un message. Elle relève la tête en lui disant :

- J’ai envoyé une photo de la table à Noah, mais il n’a pas l’air enchanté du thème choisi. Je suis trop déçue.

- Ah bon ? Pourtant elle est magnifique.

- Merci. Tu sais c’est un sujet toujours compliqué à aborder. Quand je ne fais même que l’évoquer, ça fini toujours de la même façon : lui il s’énerver et moi ça me frustre. Enfin bref. C’est comme ça.

Ce soir, les filles reçoivent deux couples. Le premier est un couple de jeune Montréalais, venu passer un long week-end dans la nature pour leur premier anniversaire de mariage. Les autres sont plus âgées, la cinquantaine passée. Le mari, un certain Richard, est venu dans la région pour pêcher le brochet, malgré l’interdiction à cette saison. Dès qu’il a passé la porte, Ambre et Lila ont su que le week-end allait être long. Sa femme, Odile, est discrète et très gentille. Mais Richard est l’archétype de l’homme d’affaires insupportable. Les autres doivent être à son service. Les lois ne s’appliquent pas à lui. Il connaît tout et à tout vu, il a toujours raison. Et par-dessus tout, il est misogyne. Les filles redoutent donc un peu le repas de ce soir. A 19h30, tous les convives sont autour de la table. Lila apporte son entrée, tandis que Ambre débouche une bouteille de Bordeaux. Elles s’assoient ensuite, chacune à un bout de la longue table en bois massif. Lila se place toujours le plus près de la cuisine pour pouvoir surveiller ses plats rapidement. A sa droite se trouve Richard et Odile, à sa gauche Anaïs et Luc, l’autre couple. Lila se dit en les voyant qu’ils sont vraiment mignon ensemble. Ils sont toujours un peu penchés l’un vers l’autre. Ils se lancent des regards tendres et tous leurs mouvements sont un prétexte pour se toucher. Son esprit divague petit à petit vers Gabriel et le message qu’il lui a envoyé, il y a quelques minutes à peine. Elle ne lui a pas répondu. Elle hésite encore.

- Votre table est vraiment magnifique, dit Anaïs de sa douce voix.

Ambre remercie la jeune femme avec un sourire sincère. Elle aime bien cette fille et son calme. C’est apaisant.

- Mouais, déclare Richard, dubitatif. Je ne vois pas bien ce qu’il y a de beau dans des branches coupées, quelques bougies et des bouts de bois. Et puis ce centre de table est un peu ridicule. On n’est pas au bord de la mer ici.

A l’autre bout de la table, Lila fixe Ambre pour lui signifier de garder son calme. Elle se rassoit après avoir servi tout le monde. Ambre se tourne vers Richard, une expression neutre sur le visage. Sa voix est posée, patiente.

- C’est un objet artisanal représentant un Wikwas, un canot traditionnel. Les populations originales les fabriquent aujourd’hui pour les vendre aux touristes, mais c’est un objet qui a une grande signification.

- Ça reste un morceau de bois. Il n’y a rien d’exceptionnel là-dedans.

Du coin de l’œil, Ambre aperçoit la femme de Richard lui donner un léger coup de coude, pour lui signifier de se tenir tranquille. Luc et Anaïs, eux, semblent vraiment intéressés.

- Et les attrapes-rêve aussi sont fait par les populations indiennes ? demande le jeune homme.

- Ils en vendent aussi et font des ateliers pour partager leur savoir-faire avec les visiteurs. Ceux-là (elle désigne les dessous de verre avec son index orné d’une bague représentant des feuilles de lierre entremêlée), c’est moi qui les aie fabriqués. Ce n’est pas du tout compliqué à faire. Il suffit de se faire expliquer une fois et c’est bon.

- Vous êtes donc allé vous initier directement chez les autochtones ? demande Richard sur un ton mi surpris, mi méprisant.

- Pas exactement, continue Ambre toujours aussi calme. Il se trouve que mon compagnon est d’origine amérindienne. Sa mère est Atikamekw et il a grandi dans une réserve. C’est lui qui m’a initié à certaines pratiques de sa communauté.

- Impressionnant et vraiment génial, conclu Luc en enfournant une grosse part de tarte.

Le repas se poursuit, la parole monopolisée par Richard, racontant ses nombreux voyages. Pendant plus de dix minutes, il vante les mérites des chaînes d’hôtels de luxe, où il n’y a pas besoin de sortir et « d’endurer la pauvreté des gens habitant ces pays ». Contre toute attente, c’est Lila qui prend la parole. Ambre reconnait tout de suite son ton, qu’elle surnomme « la voix de prof », ferme mais pédagogue.

- Sans vous manquer de respect Richard, il me semble que vous devriez peut-être rester chez vous et arrêter de voyager. Au moins vous êtes sûr de ne pas être déçu ou incommodé.

Le principal intéressé ouvre de grands yeux, puis baisse la tête sur ses haricots verts. Et voilà l’effet Lila ! Personne ne s’y attend jamais, jubile Ambre. Toujours calme et bienveillante, Lila semble parfois inoffensive. Mais quand quelque chose lui déplait vraiment, le loup montre ses crocs. Ambre adore quand elle fait ça. Sauf quand ça lui est destiné, bien entendu. L’ambiance semble soudainement plus détendue. Le jeune couple parle de leur voyage de noce en Italie et les filles répondent à leurs questions sur la France. La soirée se poursuit tranquillement et quand tout le monde part se coucher, les hôtes rangent la table. Elles montent en même temps dans leurs appartements, chose assez rare d’ailleurs. Lila s’arrête sur le pallier, devant sa porte et fait demi-tour vers Ambre.

- Gabriel m’a envoyé un message tout à l’heure. Il m’invite au restaurant vendredi prochain pour, je cite « notre premier vrai rendez-vous officiel ».

Ambre est tentée de faire une danse de la joie et de chanter Happy, mais mesure sa réaction.

- Et tu en penses quoi ? Tu comptes accepter ?

- J’y ai réfléchi tout le repas en regardant Anaïs et Luc. Ils sont tellement mignon ensemble. Je crois que je me suis rendu compte que ça me manquait de ne plus partager des choses avec quelqu’un. Intimement parlant je veux dire.

- Lila, je suis vraiment fière de toi, réplique Ambre en la prenant dans ses bras. Tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais tu fais vraiment des efforts pour t’ouvrir aux autres et c’est génial, même si c’est dur. Depuis que tu as rencontré Gabriel tu es rayonnante. Je suis d’avis que tu devrais lui laisser sa chance.

- Je crois aussi que c’est ce dont j’ai envie. Je vais accepter sa proposition et on verra bien où ça nous mène. Mais je ne veux pas me mettre la pression, ni aller trop vite.

- Tu as bien raison. Je suis vraiment heureuse pour toi. C’est quelqu’un de bien, j’en suis sûre. Et puis si jamais il merde, je serais là pour lui casser les dents. Bon j’enverrais Noah parce que j’ai trop peur de me briser la main en le frappant, mais l’intention y sera, crois-moi.

Lila s’approche, lui rend son étreinte en lui murmurant merci à l’oreille.

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