III.

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    Quelqu’un frappa à la porte. Je restai prostré, les yeux dans le vague, mon crayon suspendu au-dessus de la carte. Je m’étais perdu, rêvant à nouveau de Syrine et d’un futur impossible. Je luttais pour ne pas projeter mon corps astral à Sorman Union. Une petite escapade, l’espace de quelques minutes, juste pour la retrouver, sentir à nouveau son parfum ambré, toucher encore ses cheveux de feu.

    On frappa à nouveau. Je me levai en grognant bruyamment. Je savais ce qu’il en était. Encore un Sprinteur. Toujours ponctuel. Les Sprinteurs étaient des Descendants d’Eren chargés de parcourir la Terre Noire. Personne ne faisait attention à leur visage ou ne s’intéressait à leur nom. Ils étaient des sortes de coursiers, pratiques car capables de se déplacer à toute allure, mais méprisés car jugés bons à rien d’autre.

    On leur demandait de courir d’un endroit à l’autre, traversant les tunnels comme autant de missiles désireux de se rendre utiles. Pourtant, c’était bien parmi ces gamins doués de ce pouvoir de vitesse que nous recrutions les Zéphyrs.

    Les Zéphyrs, eux, prenaient de véritables risques pour l’Ordre. Ils étaient chargés d’arpenter la surface. Leur mission était de s’aventurer au milieu des ruines de Paris, voire même de ruines plus lointaines, pour réaliser différentes tâches. La plus commune consistait à nous ravitailler.

    Bien que des installations aient été montées pour nous permettre de cultiver divers légumes et élever quelques animaux à viande, les vestiges de l’Ancien Monde étaient encore riches de biens et de denrées impossibles à obtenir en Terre Noire.

    Parfois, on envoyait également des Zéphyrs plus loin, voire auprès d’autres peuples, comme éclaireurs, comme recruteurs ou même comme espions.

    Les Sprinteurs étaient moqués. Mais, en réalité, les Zéphyrs exceptés, cela faisait longtemps que presque plus aucun Descendant d’Eren n’osait s’aventurer seul à la surface. Eren n’était plus, ou n’était pas encore plus exactement, le monde était devenu hostile, et nos Oracles ne parvenaient pas à déterminer la suite des évènements. Notre Ordre commençait à se scléroser, et le rôle que je jouais ne tiendrait plus longtemps.

    J’ouvris la porte en tentant de faire attention aux traits du visage du Sprinteur qui attendait sur le seuil de ma cellule. C’était un jeune garçon. Son visage ingrat était encore ravagé par les traces de l’adolescence. Il se tenait devant moi, les épaules voutées, les mains crispées autour d’un petit paquet.

    Je lui souris, ce qui sembla le décontenancer. Il entra dans ma cellule et se tourna vers moi. L’Ouroboros à son poignet luisait avec force, d’un joli vert nacré. Il déballa la petite trousse sur le bureau pendant que je m’installai, posant mon avant-bras sur le bois patiné.

    Il nettoya ma peau avec un mélange odorant, un désinfectant extrait d’une plante produite par la Levée du Voile, et sortit la seringue. Je déversai mon énergie à l’intérieur de l’ampoule qu’il m’avait tendu et attendis qu’il prépare son outil. Je serrai le poing. La sensation allait, comme toujours, être particulièrement douloureuse.

    A quoi bon s’imposer cela ? Nous ne rencontrions personne en Terre Noire. Aucun des autres peuples n’était venu ici. Nous n’étions pas isolés, politiquement parlant. Nous avions des alliés. Mais le territoire était jugé, par tous, comme trop dangereux. Je secouai la tête. Penser à l’inutilité de l’acte ne m’en épargnerait pas pour autant.

    Le garçon enfonça l’aiguille dans mon poignet, en plein sur la tête du serpent qui brillait faiblement. Mon énergie, prisonnière de la seringue, commença à couler dans le tatouage. J’observai le phénomène, pas encore tout à fait blasé par le spectacle, je dois l’avouer, assez étonnant.

    Le reptile s’anima doucement, comme s’il reprenait vie. Il semblait bouger, tourner autour de mon bras, galvaniser par la magie. Un léger vertige me fit fermer les yeux une seconde. L’Ouroboros s’était à nouveau figé. Une illusion d’optique vraisemblablement. Toujours la même. La lumière qui émanait du tatouage était, à présent, puissante et franche. Elle envoyait un éclat très pur, grisâtre, presque blanc, projetant d’étranges ombres sur le visage du Sprinteur qui était encore penché sur mon bras.

    Je restai, un moment, hébété avant de me rendre compte que le garçon avait quitté la pièce. Ce rituel me paraissait encore étrange, malgré sa récurrence depuis la Levée du Voile. Il convenait de procéder à l’injection toutes les trois semaines pour que le tatouage reste luisant. Au-delà, il n’était plus qu’un vulgaire dessin à l’encre noire sur la peau.

    L’opération était simple : arborer une marque semblable à celles des autres peuples pour que les Descendants d’Eren puissent se faire passer pour un groupe d’élus. Nous devions gagner du temps. Le plus possible. Lorsque nous avons déclenché l’Apocalypse, nos Oracles ont été catégoriques : une place resterait vacante. A nous de nous en saisir afin de pouvoir manipuler les autres peuples, les infiltrer, et être capables de les orienter dans la mauvaise direction si nécessaire.

    Malgré tout, certains doutaient encore de nous. Le peuple Sorcier notamment. Les caractéristiques de notre marque ne leur semblaient pas claires. Elles ressemblaient à une espèce de conglomérat de toutes les autres caractéristiques. Pouvoirs parapsychiques, voyages à travers les dimensions, magnétisme, vampirisme…

    Et pour cause, certains d’entre nous avaient développé des dons bien avant la Levée du Voile. Spontanément. D’autres, encore, avaient pu en obtenir en étant baignés dans l’énergie de la Bête. Tous ceux dotés d’un don sans avoir été marqués par la Levée du Voile représentaient un potentiel pour l’un des peuples. Un potentiel, absorbé par les Descendants d’Eren, qui ne rejoindrait jamais le rang des élus auquel il était destiné.

    Shin aurait-il été marqué d’une croix s’il n’avait pas été un Descendant d’Eren ? Taï, et sa force prodigieuse, aurait-il rejoint l’empire Daguier ?

    Finalement, la Sorcière à l’origine du Conseil nous avait permis de brouiller un peu mieux les pistes et de parfaire notre emprise. Persuadée que les Descendants d’Eren étaient élus par la Levée du Voile, ou en tout cas le doute nous profitant, elle avait cherché un membre qui aurait assez d’influence sur ses congénères pour les représenter en Conseil des Douze Peuples. Et elle m’avait trouvé.

    Eren avait eu l’intention de capter l’énergie de la Bête pour la faire sienne. Il y avait déjà eu accès, autrefois, mais n’avait pu se l’approprier. La Bête était une puissance ancestrale chargée de protéger l’énergie de la planète en attendant son déferlement naturel. Elle existait en une multitude de point, gardant chaque source, les brèches, dans l’attente du jour de l’Apocalypse. Alors, quand le monde aurait changé, qu’elle n’aurait plus rien à protéger, elle rassemblerait chacune de ses parties pour s’unifier, puis s’incarner.

    Eren savait qu’il ne pourrait capter la force antique de la Bête que lorsqu’elle se serait incarnée. C’est pour cette raison que notre Ordre a déclenché la Levée du Voile. Pour cela, les Oracles ont recherché chaque fragment de la Bête. Cela a pris des années. Mais nous savions qu’à chaque endroit où reposait la Bête, nous trouverions une brèche à ouvrir pour déclencher la Fin des Temps.

    Et nous avons réussi. Nous avions également empêché la naissance de l’enfant capable de détruire la Bête. Je l’avais fait. Il ne restait plus qu’à tenir éloignés de nos projets les peuples élus et à attendre l’Avènement de la Bête. Alors, la nouvelle incarnation d’Eren aurait accès à cette magie immémoriale et nous guiderait tous vers notre Destinée.

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