IV.

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    Je m’étais allongé sur le lit, le dos bien à plat, les mains posées sur le torse. Ma respiration était calme et profonde. Un picotement se fit ressentir le long de ma nuque. Ma vision se brouilla doucement. Je ressentis un vertige intense, puis une longue chute intérieure. Gabrielle m’emmenait au Conseil.

    Une grande table en verre, ovale, apparut devant moi. Je me trouvais dans une salle obscure dépourvue de mur. En face de moi, Nanaki, l’homme à tête de loup, représentant du peuple Totem, attendait patiemment. Ses yeux humains, enfoncés dans les orbites animales, me rendaient nerveux. A sa droite, Lounès siégeait pour les Sorciers. Je vérifiai rapidement la marque à mon poignet. Elle brillait intensément, comme il se devait.

    Je frottai mes épaules pour lutter contre le froid qui m’envahissait. Mon corps physique, resté en Terre Noire, devait s’endormir peu à peu. Cet endroit n’avait aucune représentation physique. Pour ce que j’en savais, les autres pouvaient bien avoir l’impression de se trouver dans un champ de fleurs au soleil… Seule la connexion de nos esprits était assurée par la Sorcière Gabrielle.

    Des présences se firent ressentir à mes côtés. A ma gauche, le vampire Sergeï m’adressa un mouvement de tête en guise de salut, tandis que Peter, le Mort, surgissait des ombres et venait se placer à ma droite.

    Nous attendîmes quelques minutes que les autres nous rejoignent. Le Rationnel sans nom, la Reine Fée, puis Tania l’Administratrice Caducée, Louise pour les Rêveurs, Liang de l’Empire Daguier, Gordon l’Atlante et enfin la Capitaine Savante Chandani. Le Conseil des Douze Peuples pouvait, à présent, commencer.

    Lounès se leva pour prendre la parole. Les épaules bien droites, le regard franc, je devais bien lui reconnaître une certaine prestance. Il avait été convenu, lors du dernier Conseil, qu’il présiderait cette rencontre.  Nous présidions à tour de rôle, afin que quelqu’un soit toujours chargé d’organiser les discussions et de veiller au respect de l’ordre du jour. Il prit le temps de regarder chacun dans les yeux avant de commencer.

    — Représentants des peuples élus, nous sommes ici aujourd’hui pour poursuivre ce que nous avons entamé ensemble. Nos rencontres régulières ont pour but d’assurer l’avenir de notre planète et une vie paisible dans le cadre d’une cohabitation pacifique. Si vous le voulez bien, nous allons tout de suite passer à l’ordre du…

    Gordon se leva soudain pour interrompre Lounès.

    — Président Temporaire du Conseil des Douze, je me permets de vous couper. Le peuple Atlante m’a chargé de faire entendre la voix de son inquiétude et de solliciter un ordre du jour exceptionnel.

    Lounès s’installa dans son siège et fit signe à l’Atlante de poursuivre. Gordon avait un visage antipathique. Son regard bleu et le petit bouc sous ses lèvres pincées lui donnaient un air suffisant. Il avait toujours été, jusque là, en retrait des débats. Il semblait considérer la capacité des Atlantes à utiliser la technologie comme un signe de supériorité.

    D’ailleurs, il se pavanait recouvert d’appareils sophistiqués. Des moniteurs et des fils parcouraient ses bras et ses jambes, émettant des petits « bips » à intervalles réguliers. Son esprit était tellement soudé à ses machines que même sa représentation mentale, pendant le Conseil, ne pouvait s’en détacher.

    — Nous venons d’obtenir des informations fiables au sujet des mouvements militaires non-marqués. Les milices semblent commencer à s’équiper d’armes. Une nouvelle énergie a été découverte par l’un d’eux et fait l’objet d’une exploitation intensive. Il est à craindre des attaques importantes à l’encontre des élus.

    Un murmure agita le Conseil. Lounès leva la main et attendit que le silence se fasse.

    — Où se situent ces milices armées précisément ?

    — Partout où les non-marqués se sont regroupés en masse.

    Sergeï frappa violemment du poing sur la table.

    — Nous ne les laisserons pas faire. Nous devons agir immédiatement. Les non-marqués doivent être domptés et contrôlés. Leur soumission est notre seul salut.

    Peter acquiesça bruyamment pendant que les autres membres restaient circonspects. L’intervention m’avait surpris. Je sentais le Vampire trembler à côté de moi. Nous nous étions, plus ou moins, alliés au fur et à mesure des Conseils. Mais je ne lui faisais pas confiance. Je pressentais des intentions cachées et craignais le jour où elles seraient dévoilées. Lounès se leva à son tour et jaugea Sergeï un instant. La colère illuminait ses yeux verts. L’homme était d’une nature pacifiste, mais perdait rapidement patience lorsque Sergeï s’exprimait. Il était en désaccord permanent avec lui, quelque soit la question.

    — Les peuples élus n’ont pas à soumettre les êtres non-élus, Sergeï. Les Sorciers ne peuvent pas accepter un retour en arrière. L’histoire de l’Ancien Monde nous montre les erreurs à ne pas reproduire. Les non-marqués ne sont pas des sous-hommes, des marchandises, ou du bétail comme vous semblez le penser chez les Vampires.

    — Vous êtes faibles.

    — Une solution diplomatique est préférable.

    La Capitaine Chandani esquissa un mouvement pour attirer l’attention. Ses longs cheveux noirs, pareils à une soie faite de ténèbres, enveloppaient ses épaules et son dos. Sa peau chocolat brillait à la faveur d’une flamme invisible. Elle commença d’une voix douce mais assurée.

    — J’entends la volonté de ne pas entrer dans un conflit ouvert, et c’est tout à fait honorable. Mais la réalité n’est pas manichéenne. Les non-marqués étaient déjà une menace avant d’être armés. Je l’ai vécu. Mon peuple a été pourchassé par ces milices alors qu’elles n’avaient pour elles qu’une farouche envie de destruction et quelques personnes capables d’user de la magie. A présent, avec des armes et une organisation, ce danger ne peut plus être ignoré.

    — Il n’est pas question de l’ignorer. Mais une discussion reste possible, à l’heure actuelle, avec ces villes de non-marqués.

Sergeï renversa son siège en se levant. On l’aurait dit prêt à bondir sur Lounès.

    — Vous tergiversez. Bientôt, ces déchets seront armés et nous pourchasseront. Les marques ne font pas tout. Alors que nos populations sont limitées, et bien inférieures en nombre, eux se multiplient à une vitesse folle. Si nous les laissons faire, nos peuples seront décimés et enchainés.

    — Le Monde a changé Sergeï. Nous sommes là pour le guider, pas pour le contrôler.

    — Je propose un vote immédiat.

    Lounès ouvrit la bouche pour répondre, mais le Vampire ne le laissa pas faire. Le Président Temporaire écarquilla les yeux. Le vote ne devait être proposé que par le Président du Conseil, c’était la règle. En principe.

    — Qui pour la déchéance des droits humains pour les non-marqués et la mise en place d’une neutralisation à grande échelle ?

    Sergeï leva la main, ainsi que Peter, Gordon, le Rationnel et Chandani. Le vampire siffla.

    — Qui est contre ?

    Lounès leva la main, ainsi que la Reine Fée, Jiang, Tania, Nanaki, Louise et moi.

    Sergeï me jeta un regard noir. Il s’était sûrement attendu à un vote allié des Descendants d’Eren. Mais les Oracles n’avaient rien vu au sujet de cette proposition. Je préférais garder la diversion d’une grande guerre contre les non-marqués pour plus tard. Il serait toujours temps de remettre le sujet sur le tapis en cas de nécessité.

    Le Président Temporaire reprit la parole, visiblement soulagé.

     — Proposition rejetée, Sergeï.

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