II.

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    Je me levai à nouveau, étirant mes muscles endoloris par trop d’inactivité, et rangeai les feuillets étalés sur le bureau. Je chassai la mélancolie. Mes frères me manquaient cruellement, mais je ne pouvais m’enfoncer dans la dépression. J’étais anxieux. Les nouvelles qui m’étaient récemment parvenues étaient inquiétantes.

    Les êtres humains, non-marqués j’entends, commençaient à s’organiser également. Ils avaient été largement moins réactifs que les peuples élus par la Levée du Voile, mais ils semblaient combler leur retard. Certains se réunissaient par petits groupes, des bourgs et des villages. Parmi eux, pas de véritable menace. Quelques uns vivaient, d’ailleurs, en parfaite harmonie avec les marqués locaux et d’autres étaient totalement intégrés. Sorman Union illustrait bien cette mixité.

    Mon inquiétude se fixait sur d’autres types de regroupements de non-marqués. A plusieurs endroits de la planète, des villes plus importantes avaient vu le jour et des armées se créaient petit à petit. Des milices qui voyaient leurs rangs augmenter de jour en jour et dont les motivations étaient encore obscures.

    Le Conseil des Douze Peuples se montrait particulièrement méfiant à l’égard de ces mouvements, et à raison. Les Vampires assuraient que ces différentes armées étaient franchement hostiles aux peuples élus et représenteraient rapidement une menace, si nous les laissions faire.

    Je m’installai à nouveau devant mon bureau et observai la carte annotée. J’y avais griffonné tous les éléments que j’avais pu récolter sur le Nouveau Monde. Eren avait laissé, derrière lui, beaucoup de zones d’ombre. Il était mort juste au moment où Syrine quittait la France. Nous étions restés pour la cérémonie lui rendant hommage. Eren, notre guide à tous.

    Des milliers de ses Descendants avaient afflué à Paris. Une longue procession nous avait menés dans les entrailles de la ville, jusqu’au caveau dans lequel sa dépouille avait été déposée. Des chants et des prières avaient animé les souterrains pendant des nuits. Les Oracles tentaient de gagner du temps. Le successeur n’était pas encore identifié. L’âme d’Eren avait déjà rejoint un nouveau-né qu’il fallait retrouver sans tarder. L’Ordre l’élèverait et serait dirigé par les Oracles jusqu’à ce que le nouvel Eren soit en âge de reprendre les choses en main.

    C’est à cette époque, juste avant que nous repartions à la poursuite de Syrine et que Sovana décide d’envoyer Shin à la mort, qu’une nouvelle prophétie est venue s’ajouter au puzzle que représentait le projet d’Eren. Il s’agissait de la venue prochaine d’un enfant. Un enfant à la puissance folle, qui réussirait à détruire définitivement la Bête.

    Nous n’avions pas d’autre choix que d’empêcher cela. Nous ne pouvions accepter l’idée de la disparition de la Bête. Personne ne pouvait dire de combien de temps nous aurions besoin pour réaliser la vision d’Eren. Si l’enfant en question grandissait assez pour s’interposer et détruire la Bête, alors tout serait terminé pour notre Guide.

    Ainsi, les Oracles nous guidèrent vers Antha. Ils étaient persuadés qu’elle était la femme qui porterait l’enfant de leur prophétie. Elle devait donc mourir avant de donner la vie.

    Terre Noire était donc dirigée par les Oracles des Descendants d’Eren. Ils étaient nombreux et puissants. Les hommes se nommaient Calchas et les femmes Sybille. Les Oracles n’avaient pas d’identité, pas d’autres noms. Ils n’avaient pas de caractère propre, pas de visage connu.

    Ils ne se montraient que masqués et drapés dans une toge noire, ne parlaient que rarement et ne se mélangeaient pas aux autres. Certains disaient que l’ouroboros était aussi tatoué sur leurs fronts, à l’emplacement du troisième œil. Mais je n’ai jamais pu le vérifier.

    Ils constituaient la colonne vertébrale de l’Ordre. Eren encore vivant, ils étaient déjà essentiels. Leurs prophéties étaient les seuls éléments nous permettant d’avancer. Ils nous ont permis de connaître l’emplacement des brèches, le moyen de les ouvrir, de nous préparer au Nouveau Monde, de choisir le bon moment, et bien d’autres choses encore. Les Oracles ont retrouvé l’enfant dans lequel Eren s’est réincarné, et ils me fournissaient de nombreuses informations pour que je puisse donner le change au Conseil des Douze Peuples.

    Je posai les yeux sur mon poignet gauche. Le serpent enroulé autour brillait faiblement. Je devais bien admettre que je ne faisais pas partie des fanatiques de l’Ordre. Ma place était-elle vraiment ici ? Comment peut-on être entouré d’autant d’Oracles et ne pas avoir la moindre idée quant à sa propre destinée ?

    Les Descendants d’Eren étaient truffés de dons divers. Je me suis souvent demandé à quel peuple j’aurais pu appartenir, dans d’autres circonstances. Ma capacité de projection avait-elle un lien avec les capacités des Rêveurs ? Aurais-je pu vivre au fin fond de la Sibérie et jongler avec les dimensions ? Ou alors, j’aurais été un Sorcier. Je serais allé vivre à Sorman Union, avec Syrine, et j’aurais réellement participé à la construction du Nouveau Monde.

    Je soupirai à cette idée. Serait-il, un jour, possible de rejoindre Syrine ? Voudrait-elle de moi, malgré tout ? Malgré mes actes, abominables ? Oublierait-elle que j’ai toujours été son pire ennemi ?

    La carte était abimée : chiffonnée, trop manipulée, et souillée par des coulures de cire de bougie. J’avais placé Sorman Union dans le sud de la France, Terre Noire dans le Nord, l’Empire Daguier dans le mont Cangshan ainsi que les Terres Sauvages au bord du lac Victoria. J’avais tracé un couloir dans l’océan pour représenter le chemin généralement suivi par l’Atlantide, et une espèce de zone grossièrement dessinée afin de localiser les endroits les plus probables où trouver les bateaux volants des Savants. Kaoss, la ville des Rêveurs, Rui-Del-Amo, pour le peuple Mort et Anima, capitale Caducée, avaient été aussi faciles à indiquer que Cracovie.

    Je lissai la carte, tentant de faire disparaître les plis. Je n’avais aucune idée de l’endroit exact, en Amérique du Sud, où se trouvaient les Fées. Le continent avait été totalement recouvert par la jungle et personne n’avait de véritable contact avec ce peuple secret. Les Rationnels n’étaient pas plus facilement localisables.

    Je plissai les yeux. L’obscurité semblait dévorer la carte. J’allumai une deuxième bougie et commençai à placer les centaines de brèches ouvertes pour déclencher la Levée du Voile. Je savais où chacune d’entre elles se trouvait. La seule information qu’il me manquait était le lieu où, à terme, la Bête s’incarnerait.

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