1ère Partie : L’Éveil

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Notes personnelles – Quatrième compilation – Tiass

 

I.

 

    Lorsque Kami et Syrine m’ont demandé de prendre des notes régulières, je n’en comprenais pas l’utilité. Puis, avec le temps, je les ai vues s’accumuler. Du moment où ils m’ont trouvé au cirque, là où j’étais retenu captif depuis toujours, plus proche de la bête que de l’être humain, jusqu’à ce jour terrible. Toute mon évolution est consignée et cela m’aide à avancer, à comprendre qui je suis, où je vais. A trouver mon chemin dans ce Nouveau Monde.

    J’ai eu du mal à me rappeler au début. Que faisais-je au moment où c’est arrivé ? Je ne me souvenais plus. Il a fallu que je force ma mémoire pour que cela revienne.

    La bataille contre les Descendants d’Eren. L’enlèvement d’Antha. La mort de Sovana. Le déferlement de cette énergie pure. Puis la douce caresse de la planète. J’aurais voulu que cela ne s’arrête jamais. Je me souviens encore de la douce brûlure de cette énergie qui s’imprimait dans mes chairs, une source de sérénité à l’état pur que je ressentais jusque dans mes os. Cette énergie était si proche de la mienne que l’étau intime dans lequel elle m’enfermait me paraissait affreusement familier. J’ai aussi beaucoup pensé à Antha pendant cette stase. Mon amie, dont la magie était également si semblable… Cette énergie qui me recouvrait aurait pu être la sienne tant elles se ressemblaient.

    Puis j’ai ouvert les yeux sur une autre dimension. J’ai compris pourquoi cet évènement s’appelait la Levée du Voile. Tout paraissait étrange à mon réveil. Le ciel apocalyptique me rappelait les océans sanglants qui peuplaient mes rêves depuis plusieurs années et, tout autour de moi, du sang constellait l’atmosphère. Non. Pas du sang.

    Des flocons étaient suspendus en l’air, mais ils étaient pourpres. Toute la neige, au sol comme dans les airs, était rouge. Les nuages également. J’allais devenir fou.

    Le temps s’était-il arrêté ? Je n’arrivais pas vraiment à en être certain. Les flocons semblaient figés alors que les nuages écarlates dans le ciel, eux, poursuivaient mystérieusement leur course.

    Kami et Syrine se réveillèrent au moment où j’attrapais, avec ma langue, l’une de ces étranges gouttes suspendues. Je n’écoutais pas mes amis qui s’agitaient autour de moi, trop concentré sur mes propres sensations.

    Je ne l’avais pas remarqué, mais nous n’étions plus exactement au même endroit qu’avant l’explosion. Ou plutôt, nous n’avions pas changé de place, mais la place, elle, s’était modifiée. Nous nous trouvions au centre d’un petit cratère, surement créé par le jaillissement d’énergie, et aucun des Descendants d’Eren n’était en vue.

    C’est à ce moment précis que mes souvenirs s’éclaircirent. Kami. Les bulles d’énergie qu’il avait créées pour nous protéger tous les trois. Je le revis plonger sur Syrine, générant une bulle protectrice tout en projetant une deuxième autour de moi.

    — Tu nous as sûrement sauvés. Sans toi, je crois qu’on aurait disparu. Comme tous les autres, visiblement.

    Aucun des Descendants d’Eren n’était en vue. Ils avaient, probablement, été tués dans l’explosion. Syrine s’approcha de moi, saisissant mon poignet.

    — Toi aussi tu as cette marque.

    Ses longs cheveux roux s’étaient emmêlés dans son dos, sa peau était constellée de sang, et pourtant elle n’avait rien perdu de sa prestance. Je m’accrochai un moment à son visage. Mon repère, pour ne pas céder à la panique. Ses traits profonds et résolus me réconfortèrent. Ses longues jambes tremblaient un peu, mais elle n’en faisait cas. Elle était toute entière à sa contemplation. Ses grands yeux noisette étaient fixés sur un pentacle apparu dans le creux de mon poignet gauche. Il brillait d’une étrange lueur. La même que prenaient mes projections d’énergie. Tellement reconnaissable. Je posai mon regard sur son propre poignet et y trouvai le même symbole flamboyant d’une énergie opalescente.

    — Qu’est-ce que ça peut être ?

    — Aucune idée. Kami, tu en penses quoi ?

    L’homme haussa les épaules, le regard fixé sur le ciel. Le monde nous signifiait sa colère. Je frissonnai. Nous étions perdus au fin fond de la Russie, et notre camion avait vraisemblablement été détruit par l’explosion puisqu’il n’apparaissait nulle part.

    — Les réponses peuvent attendre. Je capte les souvenirs de dizaines d’âmes autour de nous. Ce sont les Descendants d’Eren. Tous ceux qui se trouvaient là au moment de l’explosion sont morts. C’est comme si je voyais, partout dans ce cratère, leurs vies suspendues, arrachées alors qu’ils ne s’y attendaient pas. Je cherche l’âme d’Antha, mais je ne la trouve pas. Elle est vivante, j’imagine. Ils ont pu s’enfuir. »

    Il arpentait le cratère, les mains écartées devant lui. Je savais que, pour lui, une autre réalité se superposait à la nôtre. D’autres personnes évoluaient sûrement sous ses yeux, des scènes devaient se jouer dans un magma de sentiments et de faits déstabilisants et emporter son regard loin de nous. Pendant un instant, j’eus l’impression que son don de capter les souvenirs devenait palpable. Le visage diaphane de Kami se crispait, sous sa cicatrice qui lui barrait le côté droit du visage, et prenait les reflets rougeoyants du ciel. Il ressemblait à un fantôme. Ses cheveux d’un noir profond lui recouvrirent la nuque lorsqu’il se tourna brusquement vers nous.

    « Nous ne devrions pas rester ici. Cette énergie était gardée par la Bête. La Bête étant elle-même fractionnée pour protéger la multitude de points d’accès à l’énergie de la planète. A présent que l’énergie a été libérée, la Bête n’a plus de raison d’être fragmentée. Ce n’est plus qu’une question de temps pour qu’elle s’incarne, j’en suis certain. Toutes les parties de la Bête, disséminées à travers le monde, vont se retrouver afin de se réunifier. Je le sens. Ou, plus précisément, je le sais. Inexplicablement. Et il vaudra mieux ne pas être dans les parages quand ça arrivera.

    J’entrepris de ramasser les affaires vitales et qui pourraient être facilement transportables. La plupart étaient détruites. Je retrouvai tout de même quelques outils magiques, nos armes, deux ou trois vêtements et des sacs à dos. Le plus compliqué ne serait pas d’avancer, mais de survivre. Nous n’avions ni eau, ni nourriture, et Kami venait de me glacer le sang avec son histoire de Bête, même si je ne comprenais pas encore tout ce que cela impliquait.

    — Ne restons pas là. Mettons-nous en route immédiatement.

J’observai le visage de marbre de mon ami. Une étrange impression m’avait envahi lorsqu’il avait prononcé cette dernière phrase. Quelque chose que je n’arrivais pas à m’expliquer.

    — Et bien Tiass ? Tu es prêt ?

    A nouveau ce même saisissement. Je le scrutai. Pourquoi mes sens semblaient s’affoler alors que je ne détectais rien d’alarmant en regardant Kami ? Ses traits lisses étaient immobiles, sa peau blanche détendue et ses lèvres pincées. Ses lèvres. Pincées. Scellées. Alors qu’il parlait.

    — Kami… Tu viens de communiquer par télépathie. Je crois.

    — Je ne comprends pas.

    — Ta bouche reste close alors que tu me parles. Que je t’entends plutôt.

    — La tienne aussi.

    Syrine s’était approchée. « Je sens un changement en moi. En chacun de nous. Cette marque à notre poignet. Notre capacité à communiquer en dehors des sentiers du langage. Nous ne somme pas seuls. Ressentez-vous l’immense toile qui se tisse et à laquelle nous appartenons ? » Elle ferma les yeux, agrippant ma main. « Le monde n’est plus celui que nous connaissions. Nous ne sommes plus ceux que nous étions autrefois. Nous ne savons plus rien»

    Kami desserra les mâchoires.

    — Nous somme toujours capables de parler visiblement, articula-t-il exagérément. Et nos nouvelles capacités ne nous empêchent pas de prendre la route. Alors ne perdons pas de temps. Nous penserons à tout cela plus tard.

 

***

           

    Le froid est un ennemi vicieux. Même pour un slave comme moi. Voilà des heures que nous marchions à travers les plaines sibériennes et chaque pas m’arrachait un gémissement. Ma peau était glacée sous mes couches de vêtements, mes articulations engourdies ne semblaient pas tenir compte de mes efforts pour les réchauffer. Les flocons de neige étaient toujours figés dans les airs, ce qui rendait le sol plus facilement praticable puisque seule une légère couche de givre ensanglanté recouvrait les chemins empruntés.

    Mes souvenirs étaient confus. Je n’arrivais pas à me remémorer l’état précis de la nature au moment de la Levée du Voile. Combien de temps étions-nous restés à baigner dans l’énergie libérée par les Descendants d’Eren ? N’y avait-il pas plus de glace à ce moment là ? Le froid n’était-il pas plus mordant au moment de notre affrontement avec la secte ? J’avais cette sensation étrange que, malgré les engelures que je commençais à sentir au bout de mes doigts, notre progression aurait dû être encore plus éprouvante. Je percevais, de loin, une rupture de la logique naturelle. Syrine avait vu juste. Bien entendu. Elle était, probablement, l’esprit le plus vif qui ait jamais foulé cette Terre. Oui, tout avait changé. Et pourtant, je n’arrivais pas à savoir exactement en quoi consistait ce bouleversement.

    Les voix de Kami et Syrine emplirent mes pensées.

    — Certains d’entre nous possédaient naturellement des capacités. Certains ont également reçus des dons, comme ceux qu’Ulome délivrait grâce à la Bête. Et à présent, la Levée du Voile semble nous avoir chargés d’encore plus de pouvoirs. Qu’est-ce que cela signifie ? Chaque être humain a-t-il été touché par ces changements ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi nous plutôt que d’autres ?

    — Kami, je ne crois pas que nous ayons assez d’éléments pour comprendre ce que tout cela signifie. Mais j’ai, en mon for intérieur, la certitude que nous ne sommes pas seuls à avoir changé. Je sens, de façon totalement inexplicable, que d’autres personnes comme nous se regroupent quelque part sur Terre. Que nous devons les rejoindre. Que notre place est à leurs côtés.

    L’homme passa la main sur sa cicatrice. C’était une habitude chez lui.

    — Oui. Je le sens aussi. Comme un lien tendu, qui nous appelle. Une nécessité de se regrouper.

    — Le don de télépathie est peut-être l’outil à la cohésion de ce groupe de personnes. L’assurance que, quoiqu’il arrive, quelque soit les origines de ces gens, nous serons capables de communiquer.

    Elle avait pensé instinctivement. Comme si cette information était une évidence ancrée en elle. Et cela résonnait en moi, écho d’un savoir inexplicable. Je ne savais rien des conséquences de cette Levée du Voile, mais me réjouissais de notre nouvelle capacité. La télépathie me permettait de m’exprimer facilement, sans chercher mes mots comme je le faisais en parlant français.

    — C’est une explication plausible, si toutefois il y a une réelle explication à tout cela. Il avait l’air troublé. J’étais certain qu’il avait le même sentiment que moi. Les théories de Syrine résonnaient en lui. Il sembla chercher un moment au fond de son esprit, comme s’il rappelait à lui des souvenirs profondément enfouis. Syrine, Tiass, nous devons retrouver ces gens. Où qu’ils soient.

    — Commençons par retrouver Antha. Puis, si possible, rentrons en France auprès des nôtres. De là, notre chemin nous apparaitra peut-être avec plus de force.

    Antha. Notre amie polonaise. Elle avait été enlevée juste avant la Levée du Voile. Nous l’avions vue quelques instants avant la détonation. Un Descendant d’Eren était avec elle.

    Je n’étais pas intervenu pendant cet échange. J’avais écouté, religieusement, mes deux mentors.  J’avais toujours su que nos pas nous mèneraient, tôt ou tard, vers la France. Leurs amis, leurs familles, tous ceux à qui Kami et Syrine tenaient, se trouvaient là-bas. Moi, je ne savais pas ce que cette distance pouvait signifier.

    Je n’avais pas eu de foyer si ce n’est ce cirque itinérant dans lequel j’étais exhibé comme un monstre, un enfant-bête. Jusque là, je n’avais pas vraiment eu de famille. Je ne connaissais personne. A vrai dire, je n’étais que depuis peu de temps un véritable être humain. Les seules personnes n’ayant jamais compté se trouvaient à mes côtés. Et je les suivrai jusqu’au bout du monde.

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