Chapitre 9

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L’homme mesurait un bon mètre quatre-vingts qui ressortait grâce à des épaules larges et des muscles saillants. Ses cheveux poivre et sel vieillissaient son visage marqué par des rides et cicatrices abondantes. D’un côté, le talon de son fusil était plaqué contre un teeshirt sali accompagné de trous opulents, et de l’autre, le canon me visait, prêt à relâcher ses balles mortelles. La lampe torche était maintenue en dessous de son fusil par une sorte de bague en bois assurant la fixité de cette source de lumière aveuglante.

L’homme m’examina d’un regard acerbe. Il prit enfin la parole avec un rictus malfaisant sur le visage.

— Qui es-tu ? Et que fais-tu sur mon île ?

Je savais très bien qu’il ne valait mieux pas l’énerver en répondant sur le même ton agressif qu’il venait de prendre. Je mis enfin mes mains en l’air et lui expliquai :

— Excusez-moi monsieur, mais notre école, ou plutôt le bateau de mon capitaine a coulé aujourd’hui. Il s’est fait assiéger par des Luminas… Seulement moi et quatre autres de mes camarades ont pu survivre à cette attaque…

Il parut étonné de mon récit. Pour vérifier mes dires, il me demanda :

— Donc si j’ai bien compris, pour fuir les Luminas, vous vous êtes réfugiés sur cette île ?

— Oui, grâce aux chaloupes du navire, ou plutôt, à la chaloupe.

Il baissa son arme doucement en émettant des propos inaudibles. Il reprit soudainement :

— Mais comment avez-vous fait pour survivre à une attaque de la sorte ? Chaque homme qui rencontre une de ces créatures ne revient jamais !

— Nous l’avons fait, dis-je en me rapprochant. Nous même sommes très étonnés de notre exploit. Mais en arrivant sur cette île, nous avons rencontré ce fichu loup, et pour sauver mes amis, je l’ai attiré loin d’eux… J’ai perdu leurs traces.

Tandis que je m’attristais de la disparition de mes amis, le vieil homme, lui, paraissait déjà plus agréable et détendu, ce qui ne m’empêchait pas de rester méfiant. Il se rapprocha, lui aussi, dans ma direction.

— Comment t’appelles-tu jeune homme ?

— Moi, c’est Adam.

Sa tête se braqua et il parut abasourdi par mon prénom. Il récupéra aussitôt ses esprits et me dit :

— Moi, c’est Frank. Viens avec moi, je vais t’amener dans ma maison et t’expliquer certaines choses. Notamment qu’est-ce que ce gros loup faisait là, et pourquoi était-il si féroce. Nous irons chercher tes copains ensuite. Est-ce que ça te va ?

Je ne comprenais pas son attitude envers moi, peut-être que mon prénom lui avait rappelé sa jeunesse. Je ne voyais pas trop ce qu’il voulait m’expliquer. J’avais déjà vu un Luminas, alors un gros loup assoiffé de sang paraissait gentil à côté d’un poulpe géant mangeur d’homme et destructeur de bateau. Néanmoins, je le suivais, lui et son plan. J’espérais simplement qu’il puisse aider mes compagnons et moi à sortir de cet enfer diabolique.

Une question germa subitement dans mon esprit alors que nous marchions entre les arbres faiblement éclairés par la lampe torche de Frank.

— Monsieur, euh pardon… Frank. N’avez-vous jamais eu envie de quitter cette île ?

Tandis que nous avançâmes dans ces bois impénétrables, je regardai la boue incruster mes chaussures de matelot. Le froid agressait mon corps fragile. Mes mains étaient râpeuses et gelées. Seuls les bruissements des feuilles et des buissons incontrôlés nous tenaient compagnie.

— Demande-moi plutôt pourquoi je n’ai pas pu. Qui aurait envie de rester vivre vingt ans sur cette île maudite peuplée d’animaux fantastiques aux caractéristiques inconnues ?

— Vingt ans ! m’exclamai-je.

Il dodelina de la tête en me regardant d’un air plus complaisant que tout à l’heure.

Nous nous enfonçâmes de plus en plus dans la sombre forêt noire. Un hurlement me fit sursauter.

— Ce n’est qu’un loup, reprit-il avec un faible sourire et des yeux aux contours cernés. Quand je suis arrivé ici, je n’avais rien. J’étais perdu et blessé. J’ai dû me construire un abri à la seule force de mes mains et me défendre contre les bêtes sanguinaires qui habitaient les lieux. Heureusement que beaucoup de nourriture comestible pousse dans les environs parce que je pense que sans ça, je serai sans doute déjà mort.

— Comment vous êtes-vous retrouvé ici ? demandai-je avec intérêt.

Arrivé devant une petite cabane en bois cubique, je jetai un regard à Frank qui m’invita à rentrer à l’intérieur d’un mouvement de tête. Il ferma la porte et coinça une planche de bois contre cette dernière, maintenue grâce à des crochets, qui s’ouvrait de l’extérieur.

Tous les meubles étaient fabriqués en bois. Des placards ainsi que des réserves de nourritures dans des paniers étaient posés çà et là. Une table et des chaises sculptées finissaient d’agencer la petite bâtisse de bois. Une vielle radio qui ne devait plus fonctionner reposait au centre de la petite table, ce qui amenait un brin de technologie dans l’atmosphère.

Le froid disparut et mes mains commencèrent à reprendre des couleurs. Une odeur de bois brûlé planait dans l’air, légère et envoûtante. J’aperçus la cheminée de fortune qui faisait crépiter les petites bûches d’une une faible flamme. Elle pouvait s’éteindre d’une minute à l’autre. Un cube de métal encerclait, grâce à trois grandes plaques, la petite cheminée pour éviter que le feu ne se propage à l’intérieur de la cabane.

— Vois-tu, j’étais marin avant d’échouer sur cette île. Pour être honnête, j’ai travaillé dans l’équipage du célèbre Faucon.

— Vous avez connu mon père alors ! le coupai-je.

— Laisse-moi finir s’il te plaît, dit-il sans tenir compte de ce que je venais de proclamer. Un jour, je suis sorti pour vérifier les alentours car un bruit spécial venant de l’extérieur avait attiré mon attention. En quelques secondes, le bruit, comparable à un fort grondement, s’était davantage rapproché et le sous-marin avait eu le temps de filer. Je me suis retrouvé seul au milieu de l’océan. J’ai aperçu une forme au loin et il ne m’a pas fallu plus d’une seconde pour comprendre qu’il s’agissait d’un Luminas. Une île se trouvait non loin de là et j’ai réussi à l’atteindre avant que le monstre ne m’attrape.

Je fis la moue, puis essayai de me reconnecter. Pourquoi cet homme me racontait-il une histoire similaire à celle de mon père ?

— Je ne comprends pas Frank. Pourquoi le Faucon vous aurait-il abandonné ? Et pourquoi racontez-vous l’histoire de mon père ?

Mon cœur s’emballa sans que je ne sache trop pourquoi. Mes mains devinrent moites.

— Le Faucon travaillait pour le laboratoire qui avait créé les Luminas, je l’avais comprit. Lorsqu’ils ont eu l’occasion de me jeter dehors, ils n’ont pas hésité. En ce qui concerne l’histoire de ton père, je ne me la suis pas appropriée…

Je n’arrivais plus à avaler et l’air devenait difficilement respirable. J’avais chaud et je transpirais. Je m’assis sur la petite chaise en bois à côté de moi, pour prévenir le choque de la réponse qui allait survenir.

— Adam, c’est moi ton père.

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