Chapitre 3

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— Ce soir va être un grand soir Harry ! On va enfin être récompensé de nos efforts !

— Je sais Denis. On a perdu beaucoup de camarades cette année et tu vois, ça me tracasse un peu.

— Ne pense plus à ça. On a perdu des amis qui ont fait ce qu’on est aujourd’hui Harry et il ne faut pas les oublier. Je suis sûr qu’ils auraient voulu que tu viennes avec moi prendre ce diplôme.

— Tu as raison, dis-je en souriant difficilement.

Je me levai et m’empressai de suivre Denis qui ne m’avait pas attendu. Après être sorti du dortoir, je me retrouvai dans un long couloir éclairé par des chandelles vives qui m’aidaient à me déplacer à la lueur de la bougie. J’apparus, quelques instants plus tard, dans une grande salle magnifiquement décorée. Une petite estrade surplombait la place où les chaises étaient posées. Je m’assis à côté de Denis et de mes quatre autres camarades.

Un homme me regardait en effectuant quelques clins d’œil successifs. C’était notre mentor, celui qui nous avait tout enseigné : le capitaine Walke.

Il couvrait toujours son crâne d’un bachi bleu foncé et possédait une barbe noire taillée qui le vieillissait de quelques années. Il se tenait droit, à gauche d’un homme assez âgé qui portait des lunettes et empoignait un micro sur la plate-forme surélevée. Ce dernier s’exprima d’une voix suave :

— Je vous remercie aujourd’hui d’avoir fait partie des fidèles élèves du Gerrego. Je sais que vous étiez vingt au début de votre formation et que vous êtes six aujourd’hui. Chaque jour, nous pensons aux défunts et nous chérissons leur courage. Cependant, je ne suis pas là pour qu’on pleure leur mort toute la soirée. Vous avez fait preuve d’intrépidité et avez appris énormément durant votre formation. Je me permets donc aujourd’hui de vous remettre votre diplôme qui qualifiera vos aptitudes exemplaires. Je vais vous appeler un par un pour vous remettre votre due.

Il se racla la gorge, puis continua son discours.

— Étienne Delay ! Jacques Dumet ! Georges Brosh ! Antoine Ora ! Denis Brouse ! Harry Hitch ! Rejoignez-moi sur l’estrade !

À peine nous étions-nous mis debout que le sol trembla. Nous regardions notre capitaine qui affichait une tête décontenancée. L’homme qui venait de parler tentait de sourire, mais sa figure paraissait plus apeurée qu’autre chose.

La secousse se termina subitement dans un soufflement après quelques secondes anxieuses. Pour nous rassurer, l’homme déclara :

— Vous voyez, ce n’était rien. Un petit cadeau de la mer pour vous féliciter. Venez !

Nous continuions notre avancée. Neuf personnes étaient présentes dans la grande salle : mes camarades et moi, le capitaine, le cuistot et le vieux monsieur que nous n’avions quasiment jamais vu à bord du vaisseau durant l’année de formation. Après l’avoir rejoint, il nous avoua :

— Quel maladroit ! Je ne me suis toujours pas présenté. Je m’appelle Nicolas Olson. Je suis le créateur de cette formation. Tenez, voici votre diplôme. Approchez !

Une seconde secousse retentit, encore plus forte que la précédente. Cette fois-ci, nous tombions tous. Je fus projeté en l’air sur quelques mètres. Le capitaine Walke, qui venait de perdre son bonnet, proclama en se dirigeant vers le pont principal :

— Je vais voir ce qui se passe !

Le cuistot l’accompagna. Nous nous relevâmes avec difficulté dans un silence glaçant. Silence qui fut rompu par un cri déchirant. Nous nous approchâmes de la grande fenêtre qui donnait sur la mer pour avoir un meilleur angle de vue. Certains s’évanouirent, d’autres vomirent, et moi je restai planté là, bouche bée, devant ce spectacle digne des plus grands films d’horreur.

J’observai le capitaine découpé en deux, maintenu par des gros tentacules émergeant de la mer. Un creux se forma au cœur de l’eau, laissant entrevoir une tête ignoble en jaillir. La bête s’étendait sur plusieurs mètres ; elle atteignait au moins le tiers du bateau !

Elle ouvrit sa gueule, me montrant ainsi des centaines de dents pointues. Les deux parties du corps de Walke se retrouvèrent dans le ventre de cette chose tentaculaire qui me fixait de ses deux petits yeux noirs luisants. Un des tentacules de cette monstruosité se posa sur la vitre qui, après un léger craquement, céda sous son poids.

Je détalai de ce carnage. Étienne et Jacques étaient les premiers à y passer. Ils se tétanisèrent de peur par ce monstre marin qui détruisait la salle grâce à ses horribles bras ventousés. La folie rongeait l’esprit des survivants. Monsieur Olson voulu s’échapper, mais un troisième tentacule surgit de l’eau et l’attrapa.

En une fraction de secondes, il fut avalé en même temps qu’Étienne et Jacques. Je voyais le corps fin d’Antoine sauter hors du bateau par la vitre cassée. Paix à son âme. La frénésie devançait la raison. Un quatrième et dernier tentacule surgit des eaux troubles et s’évertua à m’emporter. Je haletai à en cracher mes poumons tellement l’adrénaline était forte. Il ne restait plus que moi, Georges et Denis.

Ils me rejoignirent en trombe, épuisés.

— Comment va-t-on faire pour le neutraliser ? demanda Denis qui commençait à pâlir.

— Je pense qu’on ne pourra pas le vaincre ! s’écria Georges, nous devrions prendre les chaloupes !

Je déviai ma tête vers Georges. Nous étions tous les trois à bout de souffle. Le cauchemar devait s’arrêter.

— Les chaloupes, si elles ne sont pas encore détruites, ne vont pas être assez rapides pour vaincre ce monstre. Il faudrait le blesser suffisamment pour qu’il regagne sa tanière !

Une tempête soudaine cracha sur nous, complétée par des zébrures jaunes pétantes illuminant le ciel grisâtre. Le monstre immobilisa son regard meurtrier sur moi.

— Je sais ! m’écriai-je, nous pouvons peut-être essayer d’atteindre ses yeux ?

— Comment ? me demanda Denis qui ne cessait de repousser ses longs cheveux bruns mouillés vers l’arrière.

— Il faut quelque chose de pointu !

J’analysai la situation. Mais où était Georges ? Pendant un instant je crus que la bête l’avait emporté, mais il décampa d’une cabine, armé d’un long sabre.

— Où as-tu trouvé ça ? demandai-je.

— Une fois, j’ai vu le capitaine le ranger dans son bureau.

— OK super, maintenant il faut qu’il se rapproche de nous parce que là, le bateau part en lambeau. Si nous ne faisons rien, nous sombrerons avec lui !

— Adieu les gars.

— Quoi, mais qu’est-ce…

Je n’eus pas le temps de terminer ma phrase. Denis s’élança vers le gaillard d’arrière en s’écriant :

— Viens te battre sale bête !

Georges et moi ne pouvions faire aucun geste. Nous étions paralysés. Denis esquiva tous les tentacules. Tous, sauf un qui l’attrapa par la jambe. Comme un déclic, je dérobai le sabre que Georges tenait en main et me précipitai dans la direction de mon ami.

C’était trop tard pour Denis. Il venait d’être avalé par cet effroyable animal. Il avait été mon seul véritable ami. Il vivait maintenant au milieu d’un sombre endroit solitaire, perdu à jamais dans un tourbillon de courage. Je devais au moins sauver Georges et moi. C’était ce qu’il aurait voulu comme disait-il toujours.

Alors je lançai avec précision l’arme dans l’œil du monstre. Il se tordit de douleur et, pendant l’espace d’un court moment, je crus qu’il allait nous attaquer à nouveau. À la place, il disparut doucement dans l’océan sépulcral en effectuant plusieurs couinements sinistres.

Le calme revint à bord du Gerrego et l’averse se dissipa, laissant seulement mes larmes rouler sur ma joue. Le malheur s’abattit sur moi.

— Denis, non…

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