Chapitre 11

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― Tu as l’air bien pensif Maxime ?

― Hein ? Tu disais Eva ?

― Ah effectivement tu étais parti très loin dit-elle en riant. A quoi pensais-tu ?

― Heuuu… À rien, je crois. Je ne m’en souviens plus.

― Tu ne t’en souviens plus, dit-elle dubitative.

Et elle avait raison, je n’avais pas envie de rentrer dans le détail de mes états d’âme. Il m’avait laissé une sensation étrange de déception, ce grand frère que j’avais vu pour la première fois. Je me souviens encore de son regard complice, à mon égard, quand Marion avait par erreur dit qu’il devait préparer un Bourguignon au lieu d’un pot-au-feu. Il s’était clairement permis d’insinuer qu’elle n’était pas vraiment intelligente, par un geste de la main au niveau de la tempe. Et c’est Marion qui s’était excusée, pour cette simple faute d’inattention. Je l’avais trouvé si différente, de cette femme sûre d’elle, que je côtoyais au quotidien, allant jusqu’à s’excuser de nouveau quand son mari avait laissé échapper un rot.

Pourtant, c’est lui qui avait femme et enfants. Elle l’aimait, alors qu’il était un goujat, instable professionnellement. C’est lui encore qui avait eu l’amour d’un père que je n’avais jamais eu le droit de voir. Le mien, ce père d’adoption, n’avait eu cesse, de me réprimander, éternellement insatisfait de mes résultats scolaires et de mes choix de vie. Il m’avait sûrement imaginé médecin ou avocat, avais-je souvent pensé.

Mais nous avions un point commun, avec mon frère. L’amour de la cuisine. Pourtant, ce midi, j’allais faire des nuggets. Avec du poulet acheté chez le boucher, des œufs frais, de la farine et des épices. Mais des nuggets quand même ! C’était peut-être un bon compromis, pour faire découvrir à ma nièce les plaisirs de la cuisine maison.

― J’ai prévu des haricots verts, avec le poulet, dis-je pour changer de sujet.

― Ninon, veux-tu m’aider à les équeuter ?

― C’est quoi z’équeuter ?

― Équeuter, ma chérie, corrigeais-je. Regarde, on va enlever les bouts de chaque côté. Tu pinces avec tes doigts et tu plies d’un coup sec.

― C’est dur ! dit-elle en essayant à son tour.

― T’inquiète, on le fait à deux et chacun à son rythme. Tu veux alors ?

― Oui, oui, je veux, conclut-elle en grippant sur sa chaise haute.

C’était mignon de voir ses petits doigts potelés s’appliquer, alors qu’elle tirait légèrement la langue.

― Au fait, ce soir, je ne mange pas à la maison, annonçai-je à Eva. Je pense sortir un peu, j’ai besoin de me changer les idées.

― Avec qui ?

― Tout seul, je ne connais pas grand monde ici, tu sais.

― C’est un peu bizarre, avoua-t-elle.

― Je l’ai souvent fait à Paris, c’est un bon moyen de faire des rencontres.

― Féminines je suppose ? Pas besoin que je t’accompagne ?

Je répondais par un simple clin d’œil en y ajoutant un doigt devant ma bouche, pour ne pas rentrer dans les détails devant Ninon.

Après le repas, je m’installais dans ma chambre pour faire ma routine sportive. Pompes, abdo, gainage, squat et pour finir, étirement. J’accompagnais le tout par un bon bain, avec de la mousse et de la musique. Le téléphone en main, je cherchais un appartement sur les sites immobiliers, mais sans grand succès. Ou plutôt sans grande envie. Partager la vie de ma sœur et de sa fille me plaisait pour l’instant. J’avais cette envie de transmettre à Ninon des saveurs nouvelles, des moments partager dans la cuisine à préparer de bons petits plats.

Et de nouveau, je pensais à Victor, ce frère qui avait la chance de pouvoir partager avec ses enfants ces moments privilégiés. Je sentais une colère monter en moi, envers cet homme bourru. Comme si je le jugeais indigne de cette vie qui lui était offerte. Que faisait-il au quotidien pour la mériter. Ses cheveux étaient peu soignés, voir un peu sales. Son pantalon de survêtement était déformé de l’avoir trop mis et on y devinait plusieurs tâches. Sans parler de son tee-shirt informe qui lui aussi avait plusieurs traces. Jamais je n’aurais osé sortir, même au marché, dans un tel accoutrement. Jamais je n'aurais sorti les poubelles dans un tel accoutrement. Pourtant, Marion avait mis ce jour-là, une robe simple mais élégante et des bottines à talon qui lui donnait un petit d’air d’étudiante.

Ils sont si mal assortis, pensai-je.

L’après-midi était vite passée et j’étais, en ce début de soirée, attablé dans un bar que j’avais choisi en farfouillant dans les commentaires dénichés sur Internet. Je m’étais mis en mode chasseur, avec une tenue classe mais suffisamment décontractée. J’observais la salle, en sirotant mon verre, assis à une place stratégique, visible depuis l’entrée, où je pouvais croiser, le premier, le regard d’une jolie femme. C’était sûrement un peu prétentieux, de ma part, de penser que je pouvais séduire presque toutes les femmes, mais l’expérience me l’avait souvent démontrée. J’avais enchaîné un peu vite mes deux premiers verres quand la sono joua cet air de Francis Cabrel, « le noceur » je crois.

Mais lui, il s'était inventé

Un jeu supplémentaire

Surtout, surtout

Ne jamais rentrer seul

Je souris en écoutant ces paroles, qui me piquaient au vif. Étais-je effectivement ce personnage légèrement détestable et sûrement méprisé du plus grand nombre. En tout cas pour cette belle rousse, qui venait d’entrer, il semblait que son sourire disait le contraire. Et il faut avouer que j’avais toujours eu un faible pour les longues chevelures bouclées. Comme une liberté et une douceur mêlée.

― On se connaît, non ? demanda une voix derrière moi.

En me retournant, je vis un visage légèrement familier, que je mis quelques secondes à reconnaître.

― Vous êtes l’institutrice de ma nièce, je crois.

― Oui c’est ça, confirma-t-elle un peu gênée.

― En fait vous ne m’aviez pas vraiment reconnu ? dis-je en souriant à pleines dents.

― Pas vraiment effectivement.

― Je vous offre un verre… ? demandai-je en laissant traîner le son de ma voix.

― Agathe et oui merci, répondit-elle en comprenant immédiatement le sous-entendu.

― Enchanté Agathe, moi, c’est Maxime.

Comme par instinct, je commençais mon numéro de charme, mais semble-t-il, il n’était pas vraiment d’une grande utilité, car comme l’avait remarqué Marion, elle était déjà tombée sous le charme. J’étais donc confiant sur le reste de la soirée, même si la belle rousse de tout à l’heure m’aurait vraiment bien plu. De nouveau, le souvenir des paroles de la chanson raisonna dans ma tête. Mais je préférais faire taire ma conscience, pour oublier cette journée compliquée.

― Je t’offre un deuxième verre ?

― D’accord, mais il ne faudra pas m’en vouloir si je deviens affectueuse, répondit-elle en souriant.

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