Un repos mérité (Morvak)

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  • T’es là le vieux ?
  • Toi et la politesse Simon, ça fait deux. Édouard, êtes-vous encore là ?

  Aucune réponse… Les deux adolescents se libérèrent de leur immonde pataugeoire. Les barreaux métalliques fixés dans le béton, échelle salvatrice, les guidèrent jusqu’à la surface. Émergeant des entrailles nauséabondes de la ville, ils soulevèrent le couvercle de fonte. La bouche glissa lentement sur le goudron ; l’air frais de la nuit emplit leur poumon. Simon fut le premier à respirer à nouveau. Il tendit la main à sa camarade et l’aida à s’arracher des égouts.

  • Oh mon dieu, que c’est bon… soupira Sofia.

  Les adolescents, allongés sur le bitume encore chaud, chassaient la fange de leurs esprits. Au loin, le chant de quelques individus alcoolisés troubla leur rédemption olfactive. Sofia leva la tête et observa les alentours.

— Simon, on est où ?

— À vue de nez, je dirais qu’on est au Jardin Pierre Forsans.

— Super… Il faut qu’on retourne à la voiture et qu’on rentre. J’en peux plus de cette journée…

— La même. Longeons la plage, on finira bien par la retrouver.

  Les deux amis se mirent en marche. Les artères désertes de Biarritz leur permettaient de passer inaperçus malgré l’odeur pestilentielle qui les poursuivait. Simon, une unique chaussure aux pieds, traînait la patte et peinait à tenir le rythme. Sofia, elle, voulait à tout prix se débarrasser de ses vêtements poisseux.

  Au détour d’une ruelle, ils croisèrent deux hommes ronds comme des queues de pelles.

— Oh putaing Didier ! Tu ne te serais pas chié dessus ?

— T’es un fada ! Tu vas pas commences à me saouler avec tes cagades. Ce serait pas les deux pitchouns là bas ?

— Eh beh j’sais pas. Et pis con, j’ai vraiment la cagne d’aller leur demander.

  L’apprenti youtubeur comprenait les nuances de cette langue chantante, même s’il n’avait jamais réellement adopté l’accent. Intimidés par les deux ivrognes, ils accélérèrent le pas et atteignirent la plage en quelques minutes. Quelques noctambules et fêtards égarés déambulaient près de l’océan.

  Enfin devant la voiture, ils reprirent leur souffle, contemplant l’horizon noir. Seule la lueur de la lune éclairait le paysage ; son reflet se perdait dans l’immensité salée. Les vagues, calmes et régulières, s’échouaient timidement sur le banc de sable. Les effluves maritimes s’envolaient, portés par la brise fraîche.

  Simon regarda Sofia. Sofia regarda Simon. Un sourire illumina leurs visages, un rire brisa le silence de la nuit.

— Allez… Rentrons.

— T’as raison. Tu conduis, Sofia ? Je vais te guider jusqu’à la maison de mes grands-parents. De mémoire, ils ont une sorte de gîte à quelques pas de chez eux. On pourra se reposer…

— Et prendre une douche ! Même deux. Putain, quel enfer cette odeur… Nos fringues sont bonnes pour la poubelle.

— Ouais, mais t’as toujours ton téléphone toi.

— Et mes deux chaussures !

  Simon râla et prit place. Sofia démarra et ils s’éloignèrent de cette journée infernale. La voiture arpenta les routes sinueuses de la campagne basque pour finalement se garer devant une vieille maison. La bâtisse se dressait, immense, au milieu des arbres. Ses murs blancs striés de rouge, éclairés par les phares du véhicule, illuminèrent la nuit.

— Bienvenue chez mes grands-parents. Le gîte est plus loin, il faut y aller à pied.

  Marchant maintenant sur un chemin en terre battue, ils longeaient un petit bois. Le ululement d’une chouette les accompagna tout le long de leur randonnée nocturne improvisée. À de nombreuses reprises, ils trébuchèrent. Il était temps que cette journée se termine pour nos deux aventuriers fangeux. Au détour du sentier, il se révéla enfin.

  Émergeant parmi les arbres, il se dressait fièrement. Découpant muettement la nuit, le logement ressemblait aux maisons d’architectes que l’on peut voir dans les magazines. Simon s’approcha du porche et souleva une petite plante traînant à quelques pas de la porte. Il reposa l’innocente verdure, une clé entre les doigts.

— Trop prévisible, ricana Simon.

— Tu n’as pas peur qu’il y ait une alarme ?

— Connaissant mes grands-parents, ça m’étonnerait. Ils pensent que les systèmes de surveillance les espionnent.

— Ah ! je vois… répondit Sofia, levant les yeux au ciel.

  La porte de leur nouvelle demeure s’ouvrit dans un silence mortuaire. Simon pressa le premier interrupteur qu'il croisa et la maison entière s’illumina. Le bois et la pierre se mariaient habilement au cuivre et à l’osier des décorations. Un escalier longeait les pièces à vivre et donnait sur une mezzanine grandiose. Le lieu, en plus d’être superbement aménagé, disposait du plus grand confort : douche végétale à l’italienne, lit King Size, cuisine moderne, murs vitrés… Les adolescents perdaient leurs mots pièce après pièce…

— Wow… Je ne m’attendais pas à ça… murmura Sofia.

— Je… Moi non plus. Je me rappelle d’une vieille grange retapée à la va-vite, avec quelques planches par-ci par-là…

— En effet, ça doit bien changer. Bon... C’est pas que je t’aime pas, mais je vais à la douche.

  Sofia s’élança vers la salle de bain, grimpant les marches deux à deux. Simon la regarda disparaitre et soupira. Sois un bon ami, pensa-t-il. Après quelques recherches infructueuses, il s’empara d’un papier et un stylo et rédigea une note à l’intention de ses grands-parents ; message qu’il s’empressa de coller sur la porte du gîte.

— Simon, j’ai terminé ! cria Sofia du haut de la mezzanine.

— J’arrive, merci. Tu mettras des affaires dans le sac poubelle à l’entrée de la chambre, on les sortira pour la nuit. Je refuse que cette puanteur me suive.

— Oui m’sieur !

  Lorsqu’il pénétra dans la mansarde, il y trouva son amie enroulée dans une serviette, les mains sur les hanches, devant un immense placard.

— Dis-moi… Elles sont où tes fringues Simon ?

— Euh… Laisse-moi voir… Tiens, essaye ce carton.

  La jeune femme ouvrit la boite de papier et farfouilla quelques instants parmi la pile de vêtements. Elle se pencha davantage, son drap de bain remonta ses cuisses.

— Simon, tu pues.

— Ahem… Oui, j’y vais, répondit-il en détournant les yeux. Tu peux me sortir un pyjama s’te plait ?

— Pas d'problème ! Va te laver Flossy.

  Enfin sous la douche, il laissa l’eau chaude purifier son corps des quelques restes fangeux. Le savon coula à flots, éliminant peu à peu la pestilence de sa peau. Il profita encore quelques instants de la douceur de ce moment, se perdant dans la contemplation du mur végétal. Quittant la salle de bain, il vit son amie allongée sur le lit, imitant les étoiles de mer. Elle portait un jogging et un teeshirt trois fois trop grand pour elle. Il la trouvait presque sexy dans cette tenue.

— Cet endroit, c’est le Paradis… soupira Sofia.

— J’avoue. Après, on a eu de la chance que le logement ne soit pas loué. On aurait dû camper à la belle étoile dans le cas contraire.

  Simon enfila son pyjama et se laissa tomber de fatigue sur le matelas.

— Je suis crevé…

  Pour seule réponse, il obtint un léger ronflement. Sa camarade dormait déjà. Alors, avec une infinie précaution, il installa Sofia sous les couvertures et se glissa à son tour dans ce cocon de coton. La lumière maintenant éteinte, il profita du silence entrecoupé par une bucheronne sciant du bois. Il ria doucement et sombra, le sourire aux lèvres.

  Le lendemain matin, les rayons du soleil se faufilèrent à travers les lames du volet et vinrent caresser sa joue. Simon quitta les mondes de Morphée et s’éveilla. Il trouva Sofia blottie contre lui, légèrement appuyée sur son bras. Il profita quelques instants de cette beauté endormie, mais sa gorge sèche lui hurlait de s’hydrater.

  Il se libéra de son étreinte, mais son membre anesthésié ne répondait plus à sa volonté. Le laissant mollement pendre près de lui, il marcha jusqu’à la cuisine. Il y découvrit un sac de croissants et de chocolatines accompagné d'un papier rose. L’ouvrant d’une main, il y reconnut l’écriture de sa grand-mère.

Coucou mon petit canard !

Je suis heureuse de t’avoir à la maison. Ce n’est pas grave pour ton téléphone, ces gadgets sont fragiles de toute manière. Je ne pensais pas que tu ramènerais ta copine, je ne voulais pas vous déranger. Et ne t’en fais pas pour tes vêtements, les techniques de grand-mères sont particulièrement efficaces. Profitez bien du petit déjeuner, je t’embrasse mon poussin.

Mamie.

  Simon sourit et mordit à pleines dents dans un croissant.

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