Là où la fange se réchauffe (Le BLÉRO de Scribopolis)

5 minutes de lecture

Un passage... Une allée de l'Horreur, oui !

Parole de l'au-delà, vers du vent ou prélude de la folie, peu importe son origine, cette voix ne possédait visiblement pas le concept de passage.


« Encore un petit effort, vos poursuivants n'oseront pas s'aventurer si loin ici. »


— C'est dégueulasse... C'est dégueulasse... C'est dégueulasse... C'est dégueulasse...


L'avarie du disque rayé est une tare récurrente de l'esprit humain. Elle intervient, en général, quand celui-ci est confronté à un événement bien trop fort pour qu'il en réalise l'existence. Nous pouvons voir cela comme un court-circuitage des neurones, ou alors un cailloux dans l'horlogerie du mental. Patauger un kilomètre dans de l'écume fécale n'étant pas une situation confortable, il était donc tout à fait normal que Sofia répétât une telle phrase.


Simon vivait pour sa part une toute autre expérience :


— …


Un silence. Criant de concentration. Simon n'avait jamais trouvé les crêpes bretonnes délicieuses, et encore moins quand elles étaient sur le chemin de retour. Alors par cette odyssée dans la merde, une stratégie coutume des nuits arrosées devait être employée : « La Barricade ». Dents serrées, langue plaquée, mental d'acier ; le déluge acide n'aura qu'à bien se tenir. Jamais il ne passera ! Du moins... pas sa partie solide.

Devrais-je l'appeler Le Filtre ? Songea-t-il entre deux enjambées dans les grumeaux.


Ainsi, genoux éperonnant les flots bruns, nos deux amis bravaient à toute allure l'enfer des éclaboussures au risque de découvrir de nouvelles saveurs.


— C'est dégueulasse... C'est dégueulasse... C'est dégueulasse...


L'influenceur en herbe osa un regard en arrière. Le passage était embaumé dans une brume de bistre où un démon olfactif déchaînait tout son courroux... Quelle horreur ! Les joues de Simon se remplirent. Ses yeux succombèrent à la terreur ! Il se souvint. Il le sentit... La technique de la Barricade possédait une brèche !

Non.

Non non non ! Pas comme ça !

Ses doigts poisseux obstruèrent ses narines.

Puis, non sans insistance...

Le tsunami breton redescendit à sa juste place.

Simon poussa un gémissement. Soupir rassuré ou rot de malaise ? (Peut-être les deux ?) Ses yeux larmoyants contemplèrent la houle que ses jambes provoquaient. L'une de ses chaussures s'était enlevée pendant la course ; à jamais perdue dans le bouillon aux déjections. Un véritable enfer... Mais lumière parmi les ombres, une bonne nouvelle étoila ses réflexions ! Son nez s'était habitué aux parfums fétides du tunnel !



Alors peut-être ?


Peut-être que...


J'EXPLORE LE TUNNEL CURSED ! :o :o :o


Ça pourrait faire une belle vidéo.


Des idées de miniatures lui vinrent en tête, quand il tira la chasse d'eau sur ses pensées.

La mystérieuse voix d'outre tombe était de retour :


« La piste se réchauffe, on approche du but ! »


— C'est dégueulasse... C'est dégueulasse... C'est dégueula...


Paf ! Le cailloux des rouages devint poussière, les neurones s'électrifièrent, et Sofia cessa net sa traversée. Son visage, constellé d'incongrus grains de beauté, affichait une mine révoltée :


— Mais quel but ? Pourquoi on est venu ici ? Et puis c'est quoi cette voix ?


Ses yeux scrutèrent là d'où ils venaient. Aucun signe des lumières du GEPS, il n'y avait qu'eux et la merde. C'était à se demander s'ils avaient été poursuivis.


« Je... Je suis... »


Un rot interféré de bruits ineffables interrompit le revenant, et un énième plis s'ajouta à l'éventail des remugles.

La Barricade avait failli.


« Je suis si vieux... »


— Simon ! Tu l'entends aussi, hein ?


Aucune réponse. Ce dernier était bien trop occupé à revisiter la Bretagne sous un nouvel angle gustatif. Sofia réprima un haut-le-cœur en voyant de nouvelles teintes se mélanger au kaki de la vase. Elle murmura pour ne pas céder :


— Vous êtes quoi, putain ?


« Je suis vieux... Je suis Edouard. Edouard Menuisier. »


— S'il te plaît, Simon. Dis moi que tu l'entends. Je ne veux pas être folle... Je ne veux pas être folle... Je ne ve...


« Je... suis... vieux... »


— Je ne veux pas être folle... Je ne veux pas être folle...


L'estomac exsangue de galette et de bile, Simon se redressa enfin. Il était hagard, et son nez avait trempé dans la soupe aux horreur durant toute sa besogne. Il parvint quand même à bredouiller :


— Oui, je l'entends aussi. Et il est vieux... Vous êtes quoi ? Un alien ? C'est pour ça que les Men in Black nous en veulent ?


« Non. Non non... Je suis... »


De lointaines chasses d'eau souillèrent le fond sonore.


« Je suis... »


Un tuyau auxiliaire vomit à son tour ce qui le hantait.


— Vous êtes vieux ?


« JE SUIS UN FANTÔME ! »


Simon s'empara de son iPhone 12 Pro Max 512 Go Vert Nuit :


— Je le savais depuis le début ! Vous pouvez vous montrer ?


Mais... ses doigts englués frissonnèrent et le téléphone partit connaître le même destin que sa chaussure droite.

Sofia toisa avec dégoût son ami se jeter dans la fange sans une once de retenue. Las de ce triste spectacle, elle interrogea Edouard :


— Vous nous voulez quoi ? C'est à cause de la maison que l'on a visité ?


« En partie... Je... Je... Je... »


— Attendez, ce n'était pas votre maison... Mais vous la hantez quand même, non ?


« Je... Écoutez, jeune femme. Le temps presse, je ne vais bientôt plus avoir de ligne de dialogue. Nous devons avancer. (Je suis vieux...) Nous devons aller là où la vase se réchauffe ! C'est notre but. »


— Simon.


— Je l'ai perdu, merde ! Qu'est-ce que je vais faire maintenant ?


Bredouille, Simon était devenu méconnaissable. À présent se dressait devant le regard écœuré de Sofia un monstre de matières digne des plus mauvais Marvel. Le « S » de son nom aurait très bien pu se changer en « L ». Sofia soupira, et lui tendit une main qui se voulait distante :


— Donne le carnet. Et le collier aussi, je suppose qu'il est également important dans cette histoire...


« Oui oui... Ces reliques enferment un pouvoir bien trop grand pour vous, youtoubeurs du nouveau monde. Mais je suis si vieux, alors regardez les, et contemplez comment même le rien ne peut les atteindre. »


Malgré les recherches acharnées de Limon, les deux objets étaient restés immaculés.


— Attendez, mais vous êtes pas Eugène Charpentier puisque vous vous appelez Edouard Menuisier ! s'exclama-t-il en claquant du doigt (les éclaboussures vinrent taper dans l'œil de Sofia)


« Je hante la maison de Charpentier car il a tué le meilleur menuisier de toute la province. Et devinez qui c'était.. »


— Vous ?


« Exactement... »


— Tout s'explique...


L'air pensif, Limon porta sa main à son menton, rajoutant au passage quelques couches de l'indésirable substance. Sofia s'éloigna encore quelques pas de « son ami ».


« Je suis vieux. Suivez moi, maintenant. En allant là où la fange se réchauffe, je vais vous conter comment il a procédé pour commettre l'impardonnable. Que le flache baque commence. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire Scribopolis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0