Chapitre 14

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CHAPITRE QUATORZE

30 OCTOBRE 2017

Lorsque je retournais dans ma cellule, il faisait déjà nuit dehors. La plupart de mes compagnons de cellule s’étaient endormis et avaient été réveillé en panique lorsqu’ils avaient entendu la grande porte au bout du couloir s’ouvrir. Mais les gardent n’emmenèrent personne après moi, et la nuit fut tranquille.

Le lendemain matin, ils virent aux premières lueurs de l’aube pour emmener un homme de petite taille, maigrichon et la jeune femme avec qui j’étais arrivée la veille, dont j’avais oublié le prénom. Celle-ci se débâtit jusqu’à ce qu’un des gardes la frappe à l’estomac et qu’elle tombe à genou. Il l’insulta et la tira par les cheveux pour qu’elle les suivre. Elle ne put même pas se remettre sur ses pieds…

La journée passa, et deux autres détenus furent emmenés, sans qu’on revoie les premiers pour autant. Mon ancienne compagne de cellule fut la première à revenir. Elle avait du sang séché sur la lèvre et elle marchait difficilement. L’un des hommes de la deuxième vague revint, transpirant et couvert de sang frais sur tout le torse. Il gémissait et les gardent devaient le porter pour qu’il avance, avant de le jeter lamentablement sur le sol.

Mes camarades se mirent à geindre plaintivement en voyant son état, l’un d’entre eux criant :

— Vous devriez avoir honte de vous ! Ce n’est pas humain d’agir de la sorte ! Dieu vous punira pour vos crimes !

Il fut royalement ignoré.

***

Deux jours après, je n’avais toujours pas été choisi pour y retourner. Par ailleurs, personne ne l’avait été la veille, sans que personne ne vienne nous voir. Mais le maigrichon qui de l’avant-veille n’était jamais revenu… Peut-être qu’ils s’étaient concentrés uniquement sur lui ? Je n’osais même pas imaginer l’état de quelqu’un qui avait passé trois jours avec ces monstres.

Si j’avis d’abord cru que nos tortionnaires étaient indulgents avec nous dans leurs expérimentations, je changeais vite d’avis. En effet, dès que la porte s’ouvrit, ce n’était plus l’homme pingouin avec un sens de la moralité plutôt développé malgré les circonstances. C’était un nouveau, un que nous n’avions jamais vu, mais que je connaissais très bien, parce qu’il était particulièrement connu à mon époque, et pas pour les bonnes raisons. Patrick Sanchez, l’un des plus célèbres tortionnaires du 21e siècle. Il ne s’était bien sûr pas arrêté aux éternels, il y avait eu tant d’autres populations…

Je l’avais étudié en histoire des guerres à l’université. Il était devenu presque aussi célèbre qu’Hitler et avait la réputation de pousser les éternels aux bouts de leurs capacités, de leur couper des membres, de les affamer, de tester divers armes et poisons sur eux… Même s’il était difficile de séparer le vrai de l’imaginaire, il n’avait jamais été un enfant de cœur.

Et il était notre tortionnaire.

Il pénétra dans le couloir, le dos droit et la tête haute, affichant un sourire sadique. Il parcouru la cellule du regard, les yeux fascinés par quelque chose de lugubre. L’agitation de mes camarades crue au fur et à mesure qu’il prenait le temps de trouver sa victime. L’un d’entre eux, Hector, fut propulsé violemment contre les barreaux et sa tête cogna si fort qu’un filet de sang lui coula dans les yeux.

Sanchez eut un sourire en coin en le regardant tomber au sol en tentant de s’essuyer l’œil, puis il reprit sa recherche. Il désigna du menton le croyant, qui ne cessait de menacer les gardes de la colère divine. Celui-ci se mit alors à prier dans sa barbe alors que les soldats se saisissaient de lui.

Mais le tortionnaire n’avait pas fini, il voulait une deuxième personne. Il chercha un instant, et ses yeux se posèrent sur moi, la seule personne qui ne s’agitait pas et qui n’avait pas l’air effrayé. Je soutins son regard, mon visage ne laissant pas transparaitre la moindre émotion. Ce qui était impressionnant, étant donné la peur qui me tiraillait le ventre. Les soldats avaient beau être entrainés à résister à la torture, c’était quand même douloureux.

— C’est elle qui a attaqué nos hommes ? demanda-t-il en me désignant.

— Oui, capitaine, répondit le soldat.

— Emmenez-là également.

Je ne me débattis que très peu, pour la forme. Mais je savais très bien que c’était futile. Un bon guerrier sait quand il doit garder ses forces. Ils nous emmenèrent de nouveau dans le laboratoire. Cette fois-ci, il y avait une nouvelle chaise. En bois épais, elle était couverte de sang. Je n’aimais pas ça.

— Attachez celui-ci sur la chaise longue dans le fond de la salle. Nous allons voir combien de temps il peut survivre sans manger. En ce qui concerne celle-là, mettez-la-moi sur la chaise. Je veux lui faire comprendre ce qu’il en coûte de s’en prendre aux forces de l’ordre.

La blague. Il faisait partie des forces de l’ordre juste parce qu’on l’autorisait à faire du mal. Comme ça, ce sociopathe prenait son pied légalement. À l’instant même où les éternels allaient être libérés, toute sa prétendue loyauté s’éclipserait. Il quitterait le pays et trouverai un autre gouvernement totalitaire qui pourrait utiliser ses talents particuliers. Et s’il n’en trouvait pas, il pouvait toujours exercer pour son propre compte… Une passion pareille, on ne s’en débarrasse jamais.

Les soldats obéirent sans discuter. Une fois que je fus installée, Patrick Sanchez vérifia que j’étais bien attachée et mit une bonne minute à choisir quel couteau utiliser. Il en saisit quelques-uns, les observa, puis les reposa, visiblement pas convaincu. S’il pensait que ça me faisait peur, il avait tort.

Il se décida finalement à prendre celui avec un manche en bois, plus grand que sa main, bien tranchant et propre comme un sous neuf. S’il se contentait de me taillader la peau, je devrais pouvoir garder la raison. Je me forçais à exagérer ma réponse à la douleur, pour simuler la réaction d’une personne normale. S’il n’avait pas l’impression de me faire assez mal, il irait encore plus fort.

Je focalisais mon attention sur le soldat qui notait toutes mes réactions, tapant énergiquement sur son ordinateur. Penser à autre chose me permettait de diminuer ma douleur, mais je devais rester concentrée.

Si j’avais vraiment voulu ne pas ressentir la douleur, j’aurais pu pénétrer dans un monde que j’avais créé de toute pièce dans mon esprit. C’était une technique enseignée dans l’armée plus ou moins basée sur l’hypnose, ou en tout cas l’autohypnose. Mais je tenais à garder mon corps intact pour le moment où la nouvelle présidente passerait au pouvoir et que je serais libérée. Et feindre la douleur lui donnait suffisamment de frisson dans le pantalon pour qu’il n’essaie pas (encore) d’aller plus loin.

Lorsqu’il fit glisser lentement sa lame sur ma peau, la tailladant profondément jusqu’à l’os j’extériorisais ma douleur en criant. J’avoue, je n’avais presque pas besoin d’exagéré pour celle-là…

Après un moment qui me parut interminable, il reposa finalement son couteau. Je poussais un soupir faussement soulagé, lui faisant penser que je croyais que c’était fini. Il eut alors un énorme sourire en sortant une machine à électrodes. Je manquais de rire (un rire amer, plutôt ironique). J’avais l’impression de me retrouver dans un de ces vieux films que Juliette adorait. C’était généralement le moment où le héros disait quelque chose de mémorable et d’incroyablement courageux, et où, le méchant, vexé, s’acharnait sur lui. Mais j’étais plus intelligente, alors je me tus.

Mon tortionnaire ne sembla pas satisfait de l’impact de l’électricité sur mon corps et changeât rapidement de méthode. Il sortit une pince coupante et là, j’eus véritablement peur. Parce que je ne pouvais pas me remettre de ça.

— Inutile d’utiliser ça, dis-je stupidement. Je peux déjà vous dire que nos membres ne repoussent pas. Notre capacité de guérison ne va pas aussi loin !

Je m’agitais sur ma chaise tandis qu’un nouveau sourire sadique apparaissait sur son visage.

— Ça y est, j’arrive à te faire peur…

L’homme se saisit de ma main attachée et je tentais de m’extraire, en vain. Je manquais de m’arracher moi-même le poignet lorsqu’il approcha sa pince de mon index.

Puis, arrivant comme un héros sur son cheval blanc, l’homme pingouin des premiers jours apparut sur le seuil de la porte, et interrompit la séance.

— Ne faîtes pas ça !

— Vous n’avez pas l’autorité pour me commander, Delacroix.

— Une nouvelle loi vient de sortir, interdisant tout test forcé sur les éternels, expliqua-t-il en sortant un morceau de papier et en le tendant à Patrick Sanchez.

L’homme s’essuya les mains sur son tablier et se saisit de la feuille, qu’il parcouru du regard.

— Putain de gonzesse, marmonna-t-il en jetant le papier par terre.

Le soulagement m’envahit et je soupirai intérieurement. Elle était enfin passée…

— Vous parlez de notre nouvelle présidente, capitaine. Je vous conseille de surveiller votre langage.

— Ce qu’elle ne voit pas ne peut pas lui faire de mal, dit-il en se saisissant de nouveau de sa pince coupante.

— Déposez ça tout de suite, ordonna Delacroix en posant sa main sur son holster, près à dégainer.

— Je ne peux être traîné en justice pour quelque chose que je ne savais pas, menaça-t-il. Vous ne m’avez rien dit.

Il regarda les hommes autour de lui et l’un d’eux se saisit du papier, qui semblait être un texte de loi, et le brula avec un briquet.

Personne ici ne témoignera contre moi.

— Moi, je témoignerai.

— Ne me dîtes pas que vous êtes du côté de ces monstres, s’écria Sanchez. Ressaisissez-vous Delacroix !

— Je suis du côté de la loi, répondit-il, dégainant son arme, sans toutefois le pointer sur lui. Et c’est « capitaine » Delacroix.

Sanchez balança la pince par terre et quitta la pièce rageusement. Delacroix rengaina son arme et ordonna aux soldats de nous détacher.

— Vous avez besoin d’aller voir un médecin ? me demanda Delacroix. Vous n’avez pas l’air d’une personne qu’on vient de torturer. Enfin, si on oublie le sang sur vos vêtements.

— C’est la vérité, capitaine ? ignorais-je. Hélène Martin a enfin été élue présidente ?

— Comment savez-vous que c’est elle qui a fait passer la loi ? s’étonna-t-il.

Oups…

— Elle avait déjà pas mal d’influence avant que je ne cesse de regarder les infos et j’ai toujours su qu’elle deviendrait présidente. Elle en avait toutes les qualités.

— Je savais que vous étiez une personne intelligente, sourit-il.

— Vous me donneriez un job ? Maintenant que je suis libre, j’ai besoin d’argent.

Il rit et m’ouvrit la porte pour que je sorte.

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