Chapitre 7

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CHAPITRE SEPT

19 AOÛT 2017

Juliette avait passé presque deux heures à me préparer pour mon rendez-vous. Je ne voyais pas l’intérêt de perdre autant de temps alors qu’il avait l’habitude de me voir toute transpirante en tenue de sport, mais elle avait insisté. Et quand Juliette veut vraiment quelque chose, la réponse « non » n’existe pas.

— Tu es magnifique ! Il ne pourra pas te résister comme ça.

— J’aimerais autant éviter qu’il me saute dessus, me moquai-je.

— Ce que tu es coincée ! N’hésite pas à passer la nuit chez lui ! Ne t’en fais pas pour moi, je saurais me passer de toi !

— Je n’ai pas l’intention de coucher avec lui pour notre deuxième rendez-vous, Juliette.

— Coincée ! me lança-t-elle.

Je lui frappais le bras. Elle couina avant de se mettre à rire en se tenant le ventre.

— En plus, vous n’avez pas une tradition qui dit que le premier baiser n’arrive qu’au troisième rendez-vous ?

— C’est pour les vieux ça ! Faut vivre avec son temps.

Je n’étais pas particulièrement « coincée » comme Juliette l’affirmais, mais je n’étais pas particulièrement à l’aise avec l’idée de coucher avec lui. Je n’étais pas vierge, loin de là (en cent quatre ans d’existence, j’avais eu le temps de me trouver plusieurs petits amis) mais il restait l’homme qui allait détruire le monde… Et même si j’arrivais à l’oublier quand j’étais avec lui, dès que ma conscience se réveillait, la culpabilité me tiraillait.

J’étais un soldat, après tout. Et j’avais parfois l’impression de trahir les miens en ne l’éliminant pas.

Vivre à une autre époque était bien plus difficile émotionnellement que je ne l’aurais imaginé. Dans cette nouvelle vie, mes amis n’étaient pas morts, tout simplement car ils n’étaient pas encore nés pour la plupart. Mais je souffrais quand même de leur perte. Si je n’avais pas rencontré Juliette, je pense que cette épreuve aurait été bien plus difficile. Même si je ne pouvais pas tout lui dire, elle comprenait ma peine.

— Ça va ? demanda-t-elle en me voyant tirer une tête de dix pieds de long devant le miroir.

— Ça va… je repensais juste à… chez moi.

Elle me prit dans ses bras et me consola comme elle le pouvait.

— Tu penses que je devrais lui avouer ?

— Je ne sais pas… si tu sens que tu peux lui faire confiance, je pense que ce serait une bonne chose. D’autant plus si tu veux quelque chose de sérieux.

— Comment ça ?

— Eh bien, si tu attends trop longtemps et qu’il le découvre plus tard… il pourrait penser que tu ne veux de lui que pour l’épouser et avoir des papiers français…

— Oh… je n’avais pas pensé à ça.

— C’est très fréquent dans les séries, tu sais. Il ne faut jamais garder de secret, car on finit toujours par découvrir la vérité ! Et ça fait plus mal de cette façon. Après, tout le monde est énervé, il n’y a plus de confiance etc.

— Les séries reflètent vraiment la réalité, ironisai-je.

— Tu vois ce que je veux dire ! Les séries amplifient tout mais l’idée est la même ! Et s’il est digne de confiance, alors il l’acceptera. Et même s’il ne l’accepte pas, il gardera probablement ton secret.

— « Probablement » ?

— Je ne le connais pas moi, ce mec ! Tu ne m’as même pas dit comment il s’appelait !

— Il s’appelle Maxime.

— J’aime bien comme prénom, Maxime. C’est assez fréquent mais pas trop.

Heureusement pour moi, elle n’avait pas fait le rapprochement avec celui dont je lui avais parlé quelques semaines plus tôt. Je l’avais bien dit, petite mémoire.

— J’espère qu’il est mignon, dit-elle avec une moue rêveuse.

— Il est pas mal, avouai-je.

C’est un détail qu’on remarque assez peu sur les méchants (et ici « méchant » était un euphémisme) mais je devais avouer qu’il « n’était pas dégueulasse à regarder », pour reprendre une des expressions de Juliette.

Je ne m’en rendis pas compte, mais mon sourire niais n’échappa pas à mon amie.

— T’es trop mignonne quand tu penses à lui !

— Arrête ça, répondis-je, gênée.

— Tu devrais voir ta tête !

Et elle explosa de rire.

— Peu importe… je devrais me dépêcher ou je vais être en retard !

— Tu ne t’en tireras pas aussi facilement ! Tu n’as rendez-vous que dans vingt minutes. Et il va t’appeler quand il sera là.

Je soupirais, vaincu. Elle pouvait se moquer de moi autant qu’elle le voulait. Même si elle exagérait grandement : mon intérêt pour lui était lié à sa destinée, malgré le fait qu’il soit bien plus agréable à vivre que je ne l’aurais imaginé.

Mon téléphone sonna à dix-neuf heures cinquante-huit.

— Tu es en avance, dis-je avant qu’il n’ait eu le temps de dire quoique ce soit.

Il eut un rire étouffé avant de se défendre. J’attrapais mes affaires et sortit de l’appartement.

— Pardonnez-moi, mademoiselle, mais il vaut mieux arriver en avance qu’en retard, non ?

— Ça dépend, j’aurais pu ne pas être prête.

— Je suis sûre que même à moitié prête, tu es magnifique.

Je me stoppais au milieu des marches et passais ma langue sur mes lèvres. Ok, c’était mignon, mais quand même ! Il me dit ça alors qu’on se connait à peine !

Vu que je ne répondais pas, il ajouta :

— C’était probablement une mauvaise idée de dire ça.

— Probablement.

— J’aurais dû attendre que tu sois en face de moi, je suis sûr que tu as rougis.

Je n’en revenais pas, quel culot ! J’utilisais toute ma volonté pour ne pas rire et rétorquais :

— Je ne rougis jamais.

— C’est ce qu’on verra.

Il avait pris une voix rauque pleine de sous-entendus.

— Pervers.

— Quoi ? Mais je n’ai rien dit !

— Finalement, tu vas y aller tout seul à ce rendez-vous.

— Même pas en rêve, ne m’oblige pas à venir dans l’immeuble et frapper à toutes les portes.

— Tu n’oserais pas.

— Retourne à l’intérieur et tu le sauras.

— J’étais très tentée de le faire et de voir s’il oserait, mais je ne voulais pas attirer d’ennuis à Juliette.

— Une prochaine fois, peut-être.

— Petite joueuse.

Il me cherchait. Mais je ne me laissai pas entraîner dans son jeu et lui raccrochais au nez. Lorsque je franchis la porte de l’immeuble, il était descendu de la voiture et se dirigeait vers moi. En m’apercevant, il parut surpris.

— Ne me dis pas que tu pensais vraiment que j’allais retourner à l’intérieur.

— D’accord, je ne te le dis pas.

Il m’accompagna à la voiture et abandonna l’idée de m’ouvrir la portière quand il vit mon regard de tueur. J’avais vu un film où le héros faisait la même chose à sa fiancée et j’avais trouvé ça particulièrement sexiste. Comme si nous n’étions pas capables d’ouvrir une porte toute seule. Et de toute façon, la plupart des attentions galantes du 21ème siècle me semblaient sexistes.

Il m’emmena dans un restaurant plutôt chic, mais pas le genre de restaurant de riche non plus. On nous plaça à une table près de la fenêtre qui donnait sur un petit jardin adorable.

Il commanda du champagne pour l’apéritif et je me moquais de lui en lui demandant s’il comptait me demander en mariage, ce à quoi il répondit en levant les yeux au ciel.

Le dîner se passa mieux que je ne l’avais espéré. Nous parlions de tout et de rien, et j’appris beaucoup de choses sur sa personnalité. Bien évidemment, j’avais été très discrète sur mon enfance et sur ma vie avant de le connaitre.

Maxime paya pour le dîner et je lui fis promettre que si j’acceptais de lui accorder un troisième rendez-vous, ce serait moi qui paierai. Ce à quoi il avait rétorqué :

— Encore faudrait-il que moi, j’ai envie d’avoir un troisième rendez-vous !

Il ne me proposa même pas de venir « boire un dernier verre chez lui », une expression à la mode pour dire « faire une partie de jambe en l’air ». Pourquoi les gens de cette époque étaient aussi… amateurs de sous-entendus ? Si vous avez envie de coucher avec quelqu’un, eh bien, dites-lui ! Ce n’est pas si compliqué.

Lorsqu’il s’arrêta devant l’immeuble, nous étions au beau milieu d’une conversation. Nous restâmes bien une vingtaine de minutes avant de nous mettre d’accord sur le fait que nous ne serions jamais d’accord sur le sujet de notre débat.

Le silence revint finalement et je décidais que c’était le bon moment pour lui avouer :

— Maxime… Il y a quelque chose que j’aimerais te dire.

— Oh… Généralement, c’est le moment où tu m’avoues un truc horrible sur toi et difficile à accepter.

— Ne te moque pas de moi, je suis sérieuse !

— Je t’en supplie… dis-moi que tu n’étais pas un homme avant…

Je ris à pleins poumons. Je ne l’attendais pas celle-là.

— Non, j’ai toujours été une femme.

Il soupira de soulagement.

— Bon, je peux tout entendre alors.

— Tu te souviens, quand tu m’as demandé si je comptais trouver un vrai travail ?

— Bien sûr, tu m’as répondu que tu ne pouvais pas.

— C’est exact. En fait, je suis une immigrée. Illégale, ajoutai-je. Je n’ai aucun papier d’identité.

Il ne parut pas surpris et me fit un petit sourire. Suspicieuse, je plissais les yeux.

— Tu le savais ?

— Je n’en étais pas certain, mais je m’en doutais.

— Comment ?

— J’ai réfléchis. Tout d’abord, tu n’as pas toujours les mêmes expressions que nous, ni les mêmes coutumes… Tu n’es inscrite sur aucun réseau social et tu n’utilises ton Smartphone que pour envoyer des messages et téléphoner. Ensuite, si on ajoute ça au fait que tu ne puisses pas trouver de vrai travail… il ne m’a pas fallu très longtemps pour comprendre.

Bon, s’il y avait bien une chose qui n’avait pas changé entre le Maxime qui se trouvait en face de moi et le Maxime de mon époque, c’était son intelligence. Ce n’était pas la première fois que je m’en rendais compte.

— Ça n’a pas d’importance pour moi.

— Tu n’as pas peur que je veuille me marier avec toi juste pour avoir des papiers ?

— On peut s’arranger.

Je fronçais les sourcils, surprise. Il afficha un air machiavélique :

— En échange de notre mariage, je veux un contrat stipulant que tu seras mon esclave sexuelle durant toute la durée du dit mariage.

Je le fusillais du regard à mon tour.

— Tu peux toujours rêver ! Je me trouverais un nouveau pigeon.

— Tu n’en auras pas d’aussi parfait que moi, avança-t-il avec un air espiègle.

— Parce que tu te trouves parfait ?

— Je ne me trouve pas parfait, je suis parfait.

Devant mon air dubitatif, il s’expliqua :

— Premièrement : je suis canon.

— C’est une question de goût, répliquai-je.

— Je suis intelligent.

— Comparé à un enfant, en effet.

— Je gagne bien ma vie pour quelqu’un de vingt-neuf ans.

— Pas assez pour que je puisse dépenser sans compter.

— J’ai une famille géniale.

— S’ils sont tous comme toi, j’en doute.

— J’ai beaucoup de qualités.

— Telle que la modestie, par exemple, ironisai-je.

— Et j’ai d’excellents gênes : il n’y a aucune maladie génétique dans ma famille et on est tous très résistant.

— L’homme idéal, me moquai-je.

Il me sourit, me défiant de prouver qu’il n’était pas parfait.

— Premièrement : tu es prétentieux.

— Ce n’était que la pure vérité, s’amusa-t-il.

— Deuxièmement, tu n’as aucune notion de vie privée. Tu te souviens de quand tu as cherché où j’habitais alors que je refusais de te le dire ?

— Ce n’est qu’une façon comme une autre de montrer mon attention. Comme les animaux avec leurs danses nuptiales.

Je donnais tout ce que j’avais pour ne pas éclater de rire.

— Troisièmement, tu veux toujours avoir le dernier mot.

— Tu peux parler.

— Et quatrièmement, être trop parfait, ça n’a rien de sexy : c’est irritant pour ceux qui sont bien loin de l’être.

— Tu n’es pas si mal non plus, répliqua-t-il d’un regard séducteur.

— Je n’ai pas de famille, je n’ai pas de papiers, je n’ai pas de travail et j’ai un passé catastrophique. Mais c’est vrai : je suis plutôt mignonne et j’ai beaucoup d’humour.

— Et t’as colocataire est une voyeuse, dit-il en regardant par-dessus mon épaule.

Je me retournais et voyais Juliette dans les escaliers, essayant de nous observer discrètement.

— Elle veut savoir à quoi tu ressembles.

— Tu ne lui as pas montré de photo de moi ?

— J’aurais trop honte, raillai-je.

Il me pinça les hanches pour me punir et je lui frappais le bras en retour.

— Je pense que je vais y aller.

— Avant qu’elle ne décide de venir frapper à la fenêtre pour me rencontrer…

— Ne rigole pas, elle en serait capable !

Il rit et je me penchais vers lui pour lui dire au revoir. Je déposais un baiser sur sa joue, près de ses lèvres, et sortit de la voiture.

— Tu ne l’as même pas embrassé ! me reprocha Juliette à la seconde où j’étais à portée de voix.

— Peut-être que si tu ne nous espionnais pas j’aurais été un peu moins timide, argumentai-je.

— Tu n’es pas timide, ne te fous pas de moi. Et puis d’abord, qu’est-ce que tu fous ici ? Je t’avais dit de dormir chez lui.

— Tu me fous dehors maintenant ? Je n’ai pas envie de précipiter les choses !

— Ce que tu peux être coincée !

Quand j’avais commencé à le fréquenter, je n’avais pas vraiment imaginé que les choses prendraient cette tournure. Je voulais tout d’abord me rapprocher de lui amicalement et gagner sa confiance mais je n’avais pas prévu qu’il me plairait autant.

— Je ne suis pas coincée, c’est toi qui est trop facile ! me moquai-je.

— Tu me traite de fille facile, s’indigna-t-elle.

— Tu as attendu combien de temps avant de coucher avec Roman ?

— Ça ne compte pas ! J’étais amoureuse de lui depuis des mois quand on a commencé à sortir ensemble !

— Combien de temps ? répétai-je.

— Trois jours… mais je ne suis pas une fille facile !

J’éclatai de rire.

— On se connaissait depuis dix ans en plus ! Ce n’est pas comparable.

— Si tu le dis…

Elle croisa les bras sur sa poitrine et bouda.

— Tu es trop méchante.

Mais au moins, elle ne me prenait plus la tête.

Cela dit, il fallait que je réfléchisse sérieusement à ce que j’attendais de ma relation avec lui.

Dans un sens, je ne pouvais me détacher totalement d’Eléa et du monstre qui a détruit son monde, et je me disais que le faire tomber amoureux de moi était la meilleure façon de l’empêcher de sombrer. Bien mieux que d’être son amie.

Mais d’un autre côté, je ne pouvais pas non plus ignorer les sentiments d’Emma pour le Maxime de cette époque. J’étais déjà tombée amoureuse plusieurs fois en cent quatre-vingts ans et mon immortalité m’avait poussée à rompre plusieurs fois. Difficile d’imaginer vieillir aux côtés d’une personne qui ne vieillit pas.

Mais en y réfléchissant davantage, je me rendais compte que Maxime représentait ce dont j’avais besoin et envie. Je pouvais m’autoriser à être avec lui et à être heureuse, car cela ne contrecarrait pas ma mission. Au contraire, ça pouvait même augmenter mes chances de réussite.

Seulement, si jamais j’échouais et qu’il devenait l’homme que j’avais connu, je devrais le tuer. Et ça me briserait le cœur si je m’autorisais à tomber amoureuse.

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