Chapitre 5

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CHAPITRE CINQ

12 MARS 2017

Cinq semaines plus tard, j’y étais enfin : la station Arc-en-Ciel. Je descendis du bus et me dirigeais vers l’entreprise pour laquelle Maxime travaillait. La première partie de mon plan consistait à observer. Je devais m’imprégner de ses habitudes et apprendre à le connaître pour pouvoir le piéger sans me faire prendre. Le 21ème siècle marque de nombreuses prouesses dans le monde scientifique qui permettent de retrouver les assassins très facilement, à l’aide d’un micro indice dont personne ne se serait jamais douté. Et même si mon ambition était de sauver l’humanité, si je pouvais éviter de gâcher ma vie en prison pour son assassinat, je ne disais pas non. Alors je devais être intelligente et prendre mon temps.

Les premiers mois, je le suivais à la trace. J’appris tout ce que je pus du piratage informatique et je consacrais mon temps libre à le surveiller. Principalement par informatique : les pares-feux de son ordinateur, de son téléphone et de sa voiture étaient particulièrement faciles à pirater. Le plus difficile, c’était d’être certaine qu’on ne pourrait pas remonter à l’ordinateur de Juliette. Comme je n’étais pas suffisamment douée en informatique pour m’assurer qu’elle ne risquait rien, je m’étais acheté moi-même un ordinateur à un particulier, certaines qu’en utilisant un réseau public je pourrais monter mon coup. Et ça n’avait pas raté : j’étais presque prête à me débarrasser de lui.

Jusqu’à ce qu’il me remarque.

Tous les dimanches, j’avais pris l’habitude de me rendre dans le parc où il allait courir. J’avais fait attention à ne pas commencer tout à fait à la même heure que lui ni parcourir le même chemin (même si la traque n’était pas ma spécialité, je n’étais pas stupide pour autant). Ça me permettait de garder un œil sur lui et d’apprendre à le connaitre. La piste pour courir était suffisamment ouverte pour que, peu importait ou j’étais, je pouvais avoir un œil discret sur lui.

Sauf que ce matin-là, rien ne se passa comme d’habitude. J’étais particulièrement fatiguée car j’avais passé la soirée de la veille à investir en bourse le peu d’argent que je possédais. Bientôt, je pourrais rembourser à Juliette tout ce qu’elle m’avait avancé, et après ça, j’aurais de quoi me prendre un appartement. Heureusement pour moi, j’avais fait des études d’économies dans les années 2650 et j’étais incollable sur la bourse. Une bonne chose que cette partie de l’économie n’ait pas changé, bien qu’elle soit beaucoup plus réglementée et restreinte à mon époque. Internet était une mine d’informations.

Alors que j’empruntais mon chemin habituel, j’aperçus Maxime au loin. Mais contrairement à d’habitude, il ne courait pas seul : un jeune chien l’accompagnait. Quand nous nous croisâmes, l’animal se jeta sur moi pour obtenir des caresses, et, déséquilibrée par ses assauts, je tombais sur les fesses.

— Ariane ! appela-t-il. Au pied !

Il dégagea le chien de sur moi et je me relevais en époussetant mes habits pleins de poils.

— Je suis vraiment désolé, s’excusa-t-il. Elle ne m’obéit pas encore très bien.

— Et bien dans ce cas, il ne faut pas la laisser sans laisse. Et de toute façon, c’est illégal de promener son chien détaché. Illégal, et irresponsable.

Il sembla mal à l’aise et passa sa main dans ses cheveux bruns. C’est là que je réalisais que je parlais à Maxime, LE Maxime. Celui qui avait créé une guerre qui avait décimé la Terre entière.

— C’est que… elle n’est pas dangereuse. Vous ne vous êtes pas fait mal au moins ? demanda-t-il, inquiet.

— Non, je ne me suis pas fait mal, répondis-je d’un ton presque agressif.

Il sembla s’en vouloir et je regrettais presque ma réaction. Après tout, il n’était pas encore le monstre sanguinaire que je connaissais. Il n’était qu’un jeune homme innocent.

Jusque-là, tout ce que Yann avait prédit s’était produit, et il avait estimé que c’était la période où Maxime était encore inoffensif, alors je le croyais. Il était juste plus jeune que prévu, ce qui n’était pas forcément une mauvaise chose. Mais il pouvait changer du jour au lendemain et je n’avais aucune idée de l’élément déclencheur de sa rage envers les humains.

Je me radoucis néanmoins, tentant d’être crédible.

— C’est bon, je n’ai rien. Mais la prochaine fois, tenez-la en laisse, c’est plus prudent.

— Pas de problème…

Je manquais de partir sans un mot de plus mais je me ravisais. J’avais ici une chance inouïe de pouvoir créer un lien avec lui. S’il me faisait confiance, je pourrais l’emmener dans un endroit discret et me débarrasser de lui. Et on ne fait pas confiance à un inconnu. Et ensuite, il ne me resterait plus qu’à disparaitre de nouveau. Ce n’était qu’une question de temps avant que les éternels ne soient révélés au grand jour, quand ils seraient acceptés par les humains, je pourrais me procurer des papiers légalement. Patience.

— Vous pourriez vous faire pardonner, cela dit, ajoutai-je, taquine.

Il parut surpris et me demanda :

— Vraiment ?

— Vous pourriez m’inviter à boire un verre, ou à manger un morceau.

— Maintenant ? fit-il en désignant nos tenus de sports.

— Peut-être pas maintenant.

Il jeta un œil à sa montre.

— Que pensez-vous de me rejoindre ici dans deux heures ? Je vous invite à manger.

— Faisons ça ! fis-je en riant bêtement.

Je ne comprendrais probablement jamais pourquoi les hommes de cette époque aimaient les potiches. C’était Juliette qui m’avait dit que pour draguer un garçon, il fallait tout d’abord être (ou paraitre) moins intelligente que lui et avoir l’air impressionnée quand ils expliquaient quelque chose d’intelligent. Ensuite, il fallait être sûr de soi et très féminine. En soi, ce n’était pas très compliqué.

***

— Un rendez-vous galant ? s’exclama Juliette avant de sauter partout dans l’appartement.

— Calme-toi où les voisins vont débarquer, ris-je. Et ce n’est pas un rendez-vous galant.

— Qui est l’heureux élu ?

— Un jeune homme avec qui je cours le matin. Enfin, on ne court pas ensemble mais on court au même moment, au même endroit.

— C’est trop génial ! Il faut que tu sois PARFAITE ! Je m’occupe de ta tenue, toi, tu vas te laver !

Elle avait choisi (dans son armoire) une robe mi-cuisse noire, très simple mais avec un décolleté discret. Elle m’avait choisi des talons noirs, pas très haut mais plutôt chic, et m’avait prêté un sac à main. Après un coup de maquillage rapide, elle passa sa main dans mes cheveux pour leur donner une forme correcte.

— Parfait ! approuva-t-elle devant le résultat. L’objectif, c’est d’être bien, sans en faire trop. Sexy, sans faire allumeuse. Tu veux une relation sérieuse, n’est-ce pas ?

— J’imagine, répondis-je, mais elle ne m’écoutait pas vraiment.

— Tu es prête pour y aller !

— J’ai vingt minutes de bus pour aller là-bas, si je pars maintenant, j’arriverais un peu en avance.

— Pas question ! trancha-t-elle.

Je la regardais, surprise.

— Une fille n’arrive jamais en avance à un rendez-vous, enfin ! Cinq, voire dix minutes de retard, c’est exactement ce qu’il faut ! Comme ça, il n’a pas le temps de s’agacer de ton retard mais il a le temps de se demander si tu lui as posé un lapin ! Les hommes comme les femmes, on veut toujours ce qu’on ne peut pas avoir. S’il pense que tu ne vas pas venir, il va être encore plus heureux de te voir.

— Si tu le dis… répondis-je sans vraiment comprendre la logique de son histoire. Mais je trouve que c’est un peu prise de tête quand même…

— Mais non ! C’est scientifique !

Elle me fit attendre quinze minutes avant de m’autoriser à enfin m’en aller. J’arrivais finalement avec seulement quelques minutes de retard, essoufflée.

— Excuse-moi, mon bus est arrivé en retard.

— J’ai presque cru que tu m’avais posé un lapin. Que tu voulais me punir pour ce matin, avoua-t-il en riant, un peu gêné.

— J’aurais pu, c’est vrai. Ça aurait été très drôle, me moquais-je.

J’essayais de toutes mes forces de ne pas voir en lui le monstre que je connaissais et qui avait tué tous mes amis. L’homme que j’avais en face de moi n’avait encore rien fait. Mais s’il finissait par le faire, ce serait à moi de le stopper. Peut-être que devenir son amie suffirait à avorter l’élément déclencheur de sa colère ? L’effet papillon… Je divaguais.

J’étais d’abord partie pour le tuer, c’est vrai. Mais je me rendis compte ce jour-là qu’il avait tout autant le droit que moi de vivre sa vie. Il n’avait rien de différent d’un autre, pas de prédisposition à la haine particulière. En fait, c’était une vraie crème. Je décidais alors de le surveiller jusqu’à ce qu’il bascule du mauvais côté, si toutefois ça arrivait.

Le monstre que j’avais connu était dangereux car il avait un réseau d’éternels énormes et des ressources inconsidérable. Il avait également eu des siècles pour cultiver sa haine et acquérir de l’expérience et des connaissances. Celui qui se trouvait en face de moi à sourire bêtement n’avait rien de tout ça.

***

Étonnement, je passais un bon moment à ses côtés. Il était très drôle, même si un peu maladroit. À la fin de notre déjeuner, il insista pour régler l’addition, un acte qui me prit de cours. Mais je laissais passer. C’était peut-être normal.

Il me proposa d’aller acheter un dessert en ville :

— Je connais la meilleure crêperie du pays !

— Du pays, carrément ?

— Ouais, bien sûr ! Enfin je n’ai pas fait toutes les crêperies du pays, mais je suis sûr que c’est la meilleure.

— J’espère pour toi, parce que si ce n’est pas le cas, je t’étouffe avec ta crêpe.

Il rit et m’emmena dans un petit restaurant adorable où il commanda pour nous deux. « Fais-moi confiance », m’avait-il dit.

— Alors ? demanda-t-il, la bouche pleine de sa propre crêpe.

— Ce n’est pas mauvais, répondis-je en m’empêchant de dévorer la mienne.

— « Pas mauvais » ? Tu te moques de moi !

Il tira mon assiette de sous mon nez pour l’attirer vers lui et me voler un morceau pour la gouter. D’un coup de fourchette, je bloquais la sienne avant qu’il n’ait pu terminer son hérésie.

— On ne touche pas à ma nourriture, dis-je d’un ton sombre.

— Si ce n’est « pas mauvais », tu peux quand même partager.

Le silence et le regard que je lui envoyais le firent changer d’avis et il releva la pression sur mon assiette en riant bruyamment. Un couple de vieux se tourna vers nous avec un regard courroucé.

— Fais moins de bruit on dérange les autres clients, accusai-je.

— Excusez-moi, dit-il au couple, qui se retourna en maugréant.

Après avoir terminé les trois quarts de ma crêpe, j’abandonnais.

— Je n’en peux plus ! Si j’avale une nouvelle bouchée, je vais exploser.

— Petite joueuse, dit-il en se saisissant de mon assiette pour la finir.

Cette fois-ci, j’insistais pour l’inviter. Il refusa plusieurs fois mais je l’empêchais de payer. Il finit par céder lorsque je lui dis que s’il refusait, je lui ferais manger ses testicules.

— Tu es une femme cruelle.

— Et violente, ajoutai-je.

— Et violente, répéta-t-il, boudant.

— Je ne suis pas d’accord avec le principe que tu doives tout payer.

— C’est pourtant toujours comme ça ! Au début en tout cas.

— Tu as déjà payé le restaurant de ce midi, je pouvais bien payer le dessert !

— Mais, tu n’as pas de travail, tu ne dois pas avoir beaucoup d’argent…

— Je n’ai pas de travail officiel mais j’ai un peu d’argent et je le place en bourse. Et je travaille comme vendeuse de temps en temps.

— Et ça te rapporte, la bourse ? demanda-t-il, surpris.

— La plupart du temps, oui.

Comment lui dire que je savais quelles entreprises seraient encore présentent dans le monde au 27ème siècle ?

— Mais… tu n’as pas l’intention de trouver… un travail normal ? Ce serait plus simple si tu veux quitter ta colocation, faire un prêt…

— Je ne peux pas, avouai-je.

Il parut surpris, puis suspicieux. Je me demandai si c’était une bonne idée de lui dire que j’étais immigrée, comme pour Juliette. Peut-être que cela m’attirerait sa sympathie. Ou peut-être qu’il me dénoncerait sans sourciller.

— Tu ne peux pas ? insista-t-il.

— Je ne peux pas, répétai-je.

Il eut un petit sourire vaincu en comprenant qu’il n’en saurait pas davantage.

— Je découvrirai ton secret, dit-il avec humour.

— J’aimerais bien voir ça, ris-je.

Il réfléchit quelques secondes puis ajouta :

— Tu es protégée par le programme de protection des témoins.

— Non, répondis-je, amusée.

— Tu… es recherchée par la police.

— Non plus.

— Ton ex est un psychopathe et il cherche à te tuer parce que tu l’as quitté.

Je ris de bon cœur.

— C’est peut-être moi la psychopathe qui suis à la recherche de ma nouvelle victime.

— Je ne pense pas, tu m’as dit que la police ne te recherchait pas.

— Ils ne savent peut-être pas qui est derrière tout ça !

— Ça n’expliquerait pas pourquoi tu ne peux pas trouver de travail…

Nous passâmes le reste de l’après-midi à discuter sur le banc du parc où nous avions l’habitude de courir. J’étais surprise d’aussi bien m’entendre avec lui. C’était comme si lui et l’homme que je connaissais n’était pas du tout la même personne. Et il ne me fallut pas longtemps avant de totalement dissocier le Maxime que j’avais en face de moi et le Maxime qui avait détruit l’humanité. À la fin de cette journée, j’étais persuadée que je pouvais le sauver. Que je pouvais l’empêcher de sombrer.

Tout ce qu’il me fallait, c’était d’annihiler l’élément déclencheur, mais malheureusement, personne n’avait jamais réussi à découvrir la vérité. L’hypothèse la plus fréquente était qu’un membre de sa famille avait été assassiné par un humain. Mais aucun fait ne relatait l’évènement. Je m’étais discrètement renseignée sur sa famille, et ses parents allaient très bien, de même que son petit frère, bien qu’aucun document historique sur eux n’avait existé. N’existerai jamais ? Bref…

Maxime me raccompagna à l’arrêt de bus, sans cesser de proposer de me ramener directement chez Juliette.

— Il est hors de question que je monte dans la voiture d’un inconnu !

Il prit un air boudeur.

— Je ne suis pas vraiment un inconnu ! On court ensemble tous les week-ends depuis des semaines !

— On ne court pas exactement ensemble, et on ne se parle que depuis quelques heures.

— Justement ! Tu sais déjà tout ce qu’il y a à savoir sur moi !

— Je ne sais pas si tu es un psychopathe. On ne le découvre pas en une journée.

— Pff…

Il bouda plusieurs secondes avant de me demander :

— Au fait, tu ne m’as pas dit ton âge.

— Toi non plus.

Un sourire naquit au coin de ses lèvres.

— J’ai vingt-neuf ans.

— Ce que tu es vieux !

— Non mais ça va oui ! Tu n’as pas quinze ans à ce que je sache !

— J’ai vingt-cinq ans.

— Et tu me traites de vieux !

— Parfaitement.

— Tsss.

J’éclatais de rire. Puis une idée me vint à l’esprit :

— C’est marrant mais tu ne fais pas vingt-neuf ans.

Il eut l’air surpris pendant plusieurs secondes et haussa les épaules en détournant le regard, comme s’il cachait quelque chose. Était-il au courant qu’il n’était pas tout à fait humain ? Ce n’était pas surprenant de voir quelqu’un faire quelques années de moins, mais ce geste me sembla particulièrement suspect.

Personnellement, je m’étais rendu compte que j’étais une éternelle avant mes vingt-cinq ans, lorsque j’avais été attaquée par un loup. Son maître, comme la plupart des maîtres loups, ne l’avait pas attaché lors de sa promenade. Et il se trouvait que j’aimais beaucoup le bacon au petit déjeuner. L’animal m’avait presque arraché la main, mais j’avais guéri en seulement quelques semaines.

— On me le dit souvent, répondit-il finalement avec un faux sourire.

Mais c’est plus facile de deviner qu’on est un éternel quand le monde entier a connaissance de leur existence.

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