4. Envoûtement
L’archet tremblant entre les doigts, le violoniste rentre sur scène. Le public applaudit. Il n’a pas encore joué une note, mais on l’ovationne déjà. Question de principe. Lui, cette réaction naturelle ne fait qu’agrandir la boule au creux de son ventre.
Il est jeune. L’adolescence pointe tout juste sur son visage. Un virtuose dès la plus jeune enfance.
Un immense orchestre se tient derrière lui. Il n’ose même plus jeter un œil à tous ses accompagnants. Le chef lui adresse un clin d’œil, un sourire confiant. Que celui-ci soit persuadé qu’il va y arriver achève de lui vriller les intestins.
Il place son instrument sous son menton. Geste cents fois réalisé. Ça le rassure. Un peu de familiarité.
Ses paupières se ferment. Sa respiration s’arrête.
La première note de l’orchestre fuse. Elle l’englobe, l’enferme dans un autre monde. Les notes vibrent, chacune à leur tour, dans une certaine fragilité. Chaque instrument forme une barrière entre lui et le public.
Son archet se place à quelques millimètres des cordes. Il maintient la respiration du monde.
Tout le monde autour de lui s’arrête soudainement de jouer.
L’air accueillit le premier son. Seul de toute la pièce, il prend la place qu’on lui donne, s’exprime avec force. Chacun n’a d’oreilles que pour lui.
Tout s’enchaîne. Les notes dégringolent comme une chute d’eau glacée, virevoltent avec sensibilité, s’envolent avec passion.
Aucun visage n’est tourné ailleurs que vers ce violon, ce visage aux yeux fermés. Plus rien d’autre que cette musique ne semble exister.
Sa jeunesse est émouvante, sa puissance renversante, ses sentiments magnifiques.
Le billet de concert ne promettait rien de tout ça. Non juste un concerto, joué pour la centième fois.
Peut-être les notes les auront-ils oubliées, le public, tant elles étaient nombreuses. Mais après tout elles n’étaient qu’accessoires.
Ce dont leurs cœurs se souviendront, c’est ce sourire. Indescriptible.
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