XIX

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-Qu’est-ce que vous dites pour votre défense ?

-J’ai cru qu’elle voulait…

-J’ai jamais dit oui. Lui dis-je entre les dents, me retenant pour ne pas lui en mettre une. Je savais que si je le frappais, je risquais de ne plus m’arrêter.

-Une question reste en suspens, Mselle m’a dit qu’elle n’a jamais été noté absente lors de vos cours de philosophie, comment ça se fait?

-Je, je ne souhaite pas répondre. dit l'intéressé.

-Il va falloir.

-Je ne la mettais pas absente sur pronote, en ne cochant pas sa case, elle était marquée présente. C’est tout.

-Ok. Bon, inutile de vous dire que votre affaire va être jugée. Encore des choses à rajouter?

-Non merci. Dis-je, sûr de moi.

-Si, moi. Dit mon père. Juste pour vous dire, vous avez failli tuer ma fille, je vais vous le faire payer à travers ce procès, je peux vous l’assurer.

Mon père se leva pour marquer la fin de cette confrontation, et nous fîmes pareil. On lui remit les menottes. Il me regarda de haut en bas, il alternait le regard entre mon ventre et mes yeux. Puis on le ramena dans sa cellule. Ça y est, c’est fait. Nous sortons du commissariat, mon père me prend dans les bras. Il est 17h45. Nous rentrons en bus à la maison. Un autre poids, plus gros, vient de s’évaporer. Il est 16h quand je m’affale dans mon lit. Ça y est, il va être puni.

Je me rends directement à la cuisine et me serre un verre d’eau. Automatiquement, encore une fois, ma main se pose sur mon ventre. Ça fait ça à chaque fois que je me sens libérée. Un peu comme pour me rappeler que je ne le suis pas. Mon père est dans le canapé dans le salon. Il pense. Je m’assois et pose ma tête au creux de son épaule.

-Tu te sens mieux? me demande-t-il.

-Je sais pas papa. Je sais pas. Mais merci d’être là. Je réalise avec tout ça que j’ai vraiment un papa en or. Dis-je en déposant un baiser sur sa joue. Il sourit comme pour cacher une tristesse intérieure. Il sait que j'essayais de sauver les apparences. Je lui souris mais il doit savoir que c’est encore difficile. Il en a pleinement conscience. Je quitte le salon et monte dans ma chambre. Je viens de me rappeler le rendez-vous de Vincent, il est 18h05. Ça va, j’ai encore le temps. Je me regarde dans le miroir. Cette grosseur se fait de plus en plus marquante. On le voit à travers le gilet gris que je porte. D’une main hésitante, je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça, je me saisis de mon téléphone et me prends en photo. C’est comme si c’était une étape, pour me prouver que c’est toujours aussi vrai, que je ne rêve toujours pas. Il va faire frais ce soir, je mets ma veste en cuire sur le dos et me repasse un petit coup de brosse dans les cheveux. Je stress. J’entend la sonnette retentir, c’est lui. Je descends les escaliers en constatant que mon père n’est plus dans le salon. J’entend les gens en terrasse rigoler et parler. Il doit donc être à la pizzeria. Je laisse un mot sur la table de la cuisine: “Sortie prendre l’air. Tkt je reviens vite. <3” et ouvre la porte de chez moi.

-Salut! Me dit Vincent.

-Salut. Dis-je, un petit peu moins joyeuse que lui. Je souris quand même par politesse.

-Tu viens? Me demande-t-il, souriant. Je vérifie une dernière fois que mon père n’est pas là et hoche la tête avant de fermer la porte derrière moi. L’air frais me picote le nez. Je fourre mes mains dans les poches de ma veste. Je cache un peu, par ce biais, mon ventre. Vincent à un sac en bandoulière. Bizarre mais ok. Je le suis, on marche un petit bout de temps en silence.

-Tu penses revenir en cours? Me demande-t-il en cassant ce silence. Je réfléchis quelques secondes.

-Je ne sais pas. J’aimerais bien mais…

-Mais quoi?

-Tu sais bien…

-A cause de celui qui t'as fait ça, tu ne peux plus aller en cours?! Nan franchement, c’est pas sérieux! Pourquoi devrais- tu payer pour ce que tu n’as pas fait? Dis-moi?!

-...

-En vérité, c’est pas ça qui t’en empêche. Me dit-il. Je baisse le regard tout en marchant.

-T’as raison. C’est pas ça, enfin, c’est en partie mais y' a pas que ça.

-Y a les autres. J’comprends.

-J’ai peur de ce qu’ils vont dire, de ce qu’ils vont penser. Ils vont me juger, je le sais…

-T’as qu’à expliquer ce qui t’es arrivé et je peux t’assurer qu’ils ne te feront rien. Notre classe est franchement cool par rapport aux autres. Ils comprendront.

-Mouai. Dis tu m’emmène où depuis tout à l’heure? Dis-je en évitant un peu le sujet.

-Chut. Il soulève un vieux drap gris d’une sorte de cabane dans un endroit qui ressemble à un espace désaffecté. Il ouvre la porte cadenas avec une de ses clés et nous fait entrer. Il allume sa lampe torche. J’hésite, je suis sur le seuil de la porte. Je suis seule avec un homme, j’ai peur que tout recommence. Il voit que je ne suis pas à l’aise et me tend la main.

-T'inquiètes, je vais pas t' faire de mal. Hésitante, je pose ma main dans la sienne et me laisse emporté dans cette obscurité éclatante. Il allume une lampe torche, une des quatres façades du mur est éclairée. Il en allume une autre et me la passe. Il éclaire une autre façade. Un gigantesque graffiti orne ce mur. On y voit une femme, les cheveux longs, bruns, allongée sur un brancard couvert de fleur. Elle a une perfusion au bras mais elle est vide. Les draps qui la recouvrent sont rouges. On ne voit presque pas la vraie couleur des draps blancs. Cette sombre couleur tranche avec le bleu qui envahit le mur. Un bleu aquiatique semble faire chavirer la femme endormie. Elle est pâle, très pâle. Je ne décrirais pas toute cette œuvre mais, en un mot, elle est magnifique. Vincent se retourne.

-Voilà, c’est mon petit chez moi! Je suis encore dans l’émerveillement de cette œuvre, je ne l’entends pas tout de suite. L'œuvre m’englobe. T’aimes bien?

-C’est magnifique! C’est, c’est ta mère? Je lui demande avec un ton hésitant. Peut-être est-ce un sujet sensible.

-Ouai. Après qu’elle soit partie, je me suis mis à esquisser ça. Et puis je me suis mis au tag et puis voilà le résultat!

-T’es super doué!

-Mouai, ça va j’aime bien. T’es la première personne à qui je montre ça… tu peux le garder pour toi? Me demande-t-il timidement.

-Oui bien sûr.

-Comme ça, on a tous les deux un secret! On est quit. me dit-il avec le sourire en me tendant la main. J’hésite mais laisse tomber ma garde. Je la lui serre comme si on venait de passer un pacte avec une bonne poignée de main, comme à l’ancienne. Il m’invite à m’asseoir sur une marche en contrebas de la pièce. Je regarde le sol, quelques bombes de peinture jonchent le sol. Vincent revient avec deux canettes de coca-cola tirées d’un petit réfrigérateur disposé un peu plus loin. Tiens, me dit-il en m’en tendant un. Je lui souris légèrement et accepte. La pièce est éclairés par quelque bougie et guirlande lumineuse.

-Donc tout ça c’est ton échappatoire? Je lui demande. Question bête après coups!

-On peut dire ça comme ça. On a tous les deux souffert et on a tous les deux trouvé un échappatoire pour tenter de se reconstruire. Bon, t’as pris un sale chemin mais ça peut se comprendre!

-J’ai pas l’impression que beaucoup de gens comprennent… Je remarque un lit dans cette petite salle. Tu dors ici? Non, oublie, c’est pas une question à poser.

-Nan t’inquiètes, ça va, y' a pas de soucis. Ouai, ça m’arrive de dormir ici quand mon père a trop bu.

-Je suis désolé.

-T’inquiètes je t'ai dit, tranquille. Et toi?

-Moi? moi. Je sais pas. Je ne gère plus rien dans ma vie… C’est trop difficile. Je ne sais toujours pas quoi faire.

-J’imagine que rester ici toute seule avec moi ça doit te stresser un peu non?

-Étonnamment, pas tant que ça. Je crois que je peux te faire confiance.

-Cool alors. Je t’aime bien toi! T’es sympa en fait. Je me disais avant tout ça, que tu étais complètement différente mais en fait on est pareil. C’est cool.

-Cool, ouai surement…

-Nan enfin, c’est pas ce que je voulais dire! Ne le prends pas mal hein?

-T’inquiète, déstresse! A la notre! Dis-je en triquant. Il me sourit, je souris. C’est sympa mais depuis qu’on s’est assis, et un peu avant, je vois son regard se porter sur mon ventre. Je sais qu’il cherche. Là encore, il le regarde discrètement. Tu veux le voir? Lui dis-je. Cette phrase n’a aucun sens dans ma bouche mais bon.

-C’est vrai? Je peux? On aurait dit un gamin. J’ouvre mon gilet et remonte mon t-shirt. Il semble être fasciné. Il le regarde, je le regarde regarder. Il est comme émerveillé, je ne comprends pas pourquoi.

-Rigole pas hein mais le premier métier que j’ai voulu faire c’était pédiatre. Drôle hein?! Ça m'a toujours fasciné! Me dit-il. Je fais le lien, c’est plus logique. Une image me vient immédiatement en tête. Je revois l’homme qui m’a fait ça rentrer dans la pièce pour la confrontation. D’un coup je me replie et ferme mon gilet. J’ai l’impression de revivre ces instants. Lui qui me dévisage et tente de trouver ce qui l’accable.

-Ça va? Me dit-il, surpris. Je reviens à la réalité. Le temps d’une seconde, j’ai fais un voyage dans le passé.

-Hein euh oui, excuse-moi. Dis-je en me levant. Désolé, ‘faut que j’y aille. Mon père va s’inquiéter et, enfin.

-Désolé, j’ai oublié, je suis con. Excuse-moi.

-Non franchement, t'inquiètes pas pour moi. Faut juste que j’y aille. En sortant de ce cabanon, il fait nuit noire. Je suis comme figé. Il fait nuit, il est tard et je vais devoir rentrer chez moi sans trop savoir où je suis ni où je vais, et surtout, surtout, seule. J’ai de quoi avoir peur. Je me retourne vers Vincent, il ferme la porte avec un cadenas.

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