Chapitre 7 : leur appui pour l’assemblage des moteurs dans les fusées.

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Maurice nous quitta dès notre retour à Vernon. Personne ne le regretta.


J’étais regonflé à bloc après la conversation – l’engueulade ? – avec Paulo. Aussitôt rentrés, on s’est tous remis au travail de plus belle. Il nous fallait comprendre les raisons de notre échec pour ne pas le reproduire . On ne pouvait pas se le permettre. Nous reprîmes donc tous les calculs, depuis la conception initiale de cette fusée. L’arrivée de Gérard T, avec son œil neuf, les questions qu’il nous avait posées, lui qui débarquait, nous permirent de détecter quelques erreurs minimes. Toutefois, ces dernières, mises bout à bout, avaient entrainé ce ratage.
Il me fallut reconnaître (mais c’était trop tard, Maurice était parti) que si nous avions tous été présents, s’il m’avait attendu, le résultat eut été le même : trois mètres, trois ridicules petits mètres…. Il avait, lui aussi, fait une petite erreur de calcul, qui, prise isolément, n’aurait eu aucune conséquence. Additionnée aux autres, c’était différent. Son initiative personnelle avait été simplement une opportunité à saisir pour me séparer d’un élément qui ne jouait pas collectif. L’ambiance au sein de l’équipe avait changé du tout au tout, la preuve, même Paulo ne ronchonnait presque plus, même contre les Allemands.
Au bout d’un mois, tous les calculs avaient été refaits, vérifiés et re-vérifiés, y compris en sollicitant les militaires du LRBA voisin. Nous n’avions plus de doute sur nos chances de succès. Nous attaquâmes donc la construction de Véronique 2, certains de notre réussite. Malgré l’enjeu, ça plaisantait, ça riait et les journées se terminaient systématiquement par le partage d’une bonne bouteille, voire plusieurs.
Tout cela n’empêchait pas le sérieux du travail et nous achevâmes la construction du second modèle mi-juillet 1950. Après avoir appelé le ministre, qui n’avait pas changé depuis l’essai raté de février, nous calâmes le lancement du pas de tir de Vernon, le mercredi 2 août 1950 à 11h. Prudent, il avait préféré venir seul, sans la presse, pour cette première potentielle réussite. Il arriva donc au matin du jour J, accompagné de quelques conseillers. Nous avions matérialisé un périmètre de sécurité assez large, ne voulant pas risquer d’accident.


À l’heure dite, le compte à rebours fut déclenché et à la fin, un grondement assourdissant retentit avec une flamme jaune énorme à la base de la fusée. Nous retenions tous notre souffle. Avec un plaisir indescriptible, nous vîmes notre Véronique s’élever au-dessus du nuage de fumée, avec une trajectoire verticale et une rotation lente sur elle-même parfaites. Elle s’éleva à environ deux kilomètres avant de retomber dans un champ proche de notre base. Une fois le vacarme diminué, c’était les applaudissements qui crépitaient ! Nous avions réussi ! Le ministre vint vers moi et me félicita chaleureusement :

  • Je n’avais aucun doute sur votre réussite, Robert !
  • Merci, Monsieur le Ministre.
  • Ça y est, nous sommes une puissance spatiale, la France est dans l’espace !
  • Nous sommes restés dans la troposphère Monsieur le Ministre, restons modestes.
  • Ta ta ta, la France est fière de vous et de toute votre équipe, Robert. Nous avons eu raison de vous faire confiance. Vous étiez l’homme de la situation !

Ensuite, il partit serrer les mains de tous les membres de l’équipe, sans oublier personne, y compris les Allemands avec lesquels il échangea quelques mots dans leur propre langue. L’ambiance était très différente de celle de février. Le champagne coula à flot ce 2 août, jusque tard dans la nuit. Heureusement que le ministre avait un chauffeur. Pour notre part, nous avons tous dormi dans nos locaux, pas un n’était en état de conduire. Véronique avait été bien arrosée.
Ce succès rattrapait largement la déception du premier tir et ses fameux trois mètres. Si celui-ci avait été mon réel premier fiasco, il m’avait appris à être plus modeste, à savoir que l’existence était faite d’une alternance relative de réussites et d’échecs et que ce n’était finalement pas grave, c’était juste la vie…
Le lendemain, conscient de l’investissement énorme de tout un chacun pour contribuer à cette réussite, je décrétai la mise en sommeil du projet pendant quinze jours, le temps que tous puissent retrouver leurs familles, leurs amis et décompresser un peu. Le prochain lancement serait devant la presse. Il fallait donc se mettre dans les meilleures conditions possibles. Jean-Paul, mon adjoint, qui revenait d’un séjour auprès de ses parents, se dévoua pour assurer la permanence.


Une fois tout le monde parti, je téléphonai à Marie, à son travail. Elle venait juste de terminer un essai sur la fameuse pile Zoé, avec Frédéric Joliot-Curie. Après concertation avec lui, elle obtint un congé d’une semaine. Je lui proposai de la retrouver à Orly et m’empressai de prendre deux billets en première classe pour Florence. Je nous réservai une chambre d’hôtel, en bordure de la ville, pour éviter la foule de touristes.
Nous nous retrouvâmes dans l’aérogare, nos retrouvailles furent merveilleuses. Nous avions tellement de choses à nous dire, tellement de temps à rattraper. Nous n’avions pu nous retrouver que deux fois entre l’été 1948 et août 1950. Nos doigts sont restés entrecroisés durant tout le vol ainsi que dans le taxi nous menant à notre hôtel. Comme à chaque fois, nous refîmes connaissance et nos corps se redécouvrirent. Une fois nos sens apaisés, nous continuâmes de nous raconter ces longs mois de séparation. Je lui contai les deux essais de Véronique : le ratage et le succès. Je lui relatai aussi la conversation avec Paulo, la façon dont il m’avait remonté les bretelles. Elle rit beaucoup en m’imaginant, moi, engueulé par mon ami. Elle voyait la scène se dérouler devant ses yeux au fur et à mesure que je lui répétais nos propos et en eut les larmes aux yeux. Je finis aussi par rire, de la situation puis de moi. Heureusement qu’il m’avait fait redescendre sur terre, mon ami. J’avais sans doute un peu trop eu la sensation que tout m’était dû, y compris une réussite sans la moindre anicroche.
Elle me parla de Zoé, qui était la promesse d’une nouvelle énergie bon marché et abondante.
Elle me parla également de son inquiétude vis à vis de son patron. Celui-ci avait signé l’appel de Stockholm pour une énergie nucléaire uniquement civile et risquait de se faire débarquer du CEA, lui le concepteur de cette pile. Il commençait sans doute à aller un peu trop loin dans l’expression de ses convictions profondes. Refuser de concevoir la bombe atomique française, alors que l’objectif initial avait toujours été celui-ci, comment son ministre de tutelle pouvait-il l’accepter ? Malgré sa renommée mondiale, son nom prestigieux et son prix Nobel de chimie, Frédéric Joliot-Curie ne pouvait pas faire ce qu’il voulait…
Elle évoqua aussi une de ses sources d’inquiétude principale : elle n’arrivait pas à sensibiliser ses collègues sur la radioprotection. Ils ne percevaient pas les dangers de la radioactivité et elle avait l’impression de se battre contre des moulins à vent avec son rôle de rabat-joie permanent. Elle avait été auditrice libre à une réunion des spécialistes Américains, Canadiens et Anglais aux USA, à Chalk River en septembre 1949. Des préconisations internationales allaient être publiées et une Commission internationale créée, la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique). Les choses bougeaient dans le domaine de la radioprotection mais aucun de ses collègues du CEA ne s’y intéressait.

Plus tard, nous louâmes des bicyclettes à côté de la gare de Florence. C’étaient deux magnifiques vélos italiens rouge foncés de la marque Atala. Il semble que nous en étions les premiers locataires tant les pneus brillaient encore. Ils étaient pourvus d’un panier en osier au-dessus de la roue avant, d’un porte-bagage et d’une magnifique selle en cuir bicolore. Nous les avons bien chargés avant de partir nous promener. Nous avons ainsi parcouru près de 300 kilomètres en une semaine, dans les petites routes de la Toscane, dormant chez l’habitant, dans des granges, sous la tente que nous avions amenée de Paris dans nos bagages et quelques rares fois dans des petits hôtels bon marché. La vérité m’oblige à admettre que plusieurs fois, nous avons aussi pris des autocars, mettant nos vélos sur la galerie de celui-ci. Notre périple nous fit passer par Vinci - ville natale de Leonardo da Vinci -, Sienne, Greve - capitale du Chianti -, la ville de Lucques, Arezzo et sa cathédrale, les carrières de marbre de Carrare, la tour penchée de Pise et les tours médiévales de San Gimignano. La ville de Sienne, d’une taille plus raisonnable que Florence, nous avait enchantés. Nous nous perdîmes plusieurs fois dans les petites ruelles étroites du centre ancien. Enfin, nous perdre était un bien grand mot : une fois arrivés aux remparts construits entièrement en briques rouges, il nous suffisait de les suivre dans un sens ou dans l’autre, pour tomber assez rapidement sur une des portes de la ville.
Après une quinzaine idyllique, il fallut bien rentrer et nous séparer à nouveau. Marie partit vers le sud de Paris et le fort de Chatillon où se trouvait la pile Zoé et moi, je regagnai la Normandie et Vernon, où m’attendait le projet Véronique.


À peine arrivé sur place, Jean-Paul vint m’avertir que la mairie de Vernon s’était plainte au ministère, à la suite de notre tir. Un paysan, beau-frère du maire, n’avait pas du tout apprécié la chute d’une Véronique de six mètres de long, dans son champ. J’appelai le ministère aussitôt. Le ministre était bien ennuyé, le maire de Vernon était député et aurait pu faire basculer la majorité parlementaire et faire chuter le gouvernement (donc le ministre).
Le ministre m’évoqua un retour à Suippes que je déclinai. J’aurai eu l’impression d’un retour en arrière et Suippes était pour moi le lieu de l’échec, alors non, définitivement non. Il me proposa ensuite un terrain militaire au Cardonnet, pas très loin de Montpellier. Là, sans avoir vraiment le choix, j’obtempérai tout en lui faisant remarquer ironiquement que changer de base à chaque tir allait finir par coûter cher en frais de déménagement.

  • L’argent n’est pas un problème, me répondit-il.

Il n’avait visiblement pas le sens de l’humour, enfin pas le même que le mien en tout cas…

  • Bien, dans ce cas, nous commençons à tout ramasser.
  • Il faudrait que vous y soyez la semaine prochaine, ça devient urgent avec le député-maire de Vernon.
  • Nous allons mettre les bouchées doubles, Monsieur le Ministre, l’assurai-je. De toute façon, pour le faire patienter, vous pouvez déjà lui annoncer qu’il n’y aura pas de nouveau tir à partir de Vernon.
  • Je vais faire ça, en effet. Merci mon petit Robert
  • Je vous en prie, monsieur le Ministre.

Tant que ce n’était pas un problème, l’argent. Après tout, c’était lui le commanditaire et le financier du projet Véronique. Mais ce « mon petit Robert » commençait à devenir agaçant…
Aussitôt raccroché le téléphone, je prévins mon équipe. Ils se mirent à tout ranger en caisses et cantines. Tous étaient heureux de quitter la Normandie pour le Sud, sauf Jean-Paul qui s’éloignait de sa famille. S’il avait su que peu de temps après, nous allions partir encore plus au Sud…


Werner et ses compatriotes m’avaient dit qu’ils resteraient là, dans les locaux du LRBA. Ils avaient réussi à s’intégrer à côté de Vernon et ne voulaient pas d’un nouveau déracinement aussi rapidement. Il fallut que j’use de tout mon entregent pour convaincre le ministre. Werner et les siens me furent éternellement reconnaissants. Ils continueraient à travailler sur les moteurs et nous enverraient régulièrement l’avancement de leurs travaux. Et puis un moteur de fusée Véronique, ça entre facilement dans un avion de transport. Ils viendraient ponctuellement nous rejoindre pour les lancements si besoin. Nous pourrions toujours compter sur leur appui pour l’assemblage des moteurs dans les fusées.

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