Chapitre 19 : Un rayon de soleil dans le tumulte du monde.

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Dès le 7 janvier, les paras du général Massu débarquèrent à Alger dans le but de la sécuriser. Ils mirent la ville et la casbah sous administration de guerre. Un couvre-feu fut instauré. Pourtant, malgré tous les paras présents, les attentats ne cessèrent pas. On tira même au bazooka sur le général Salan à Alger. Trois attentats, revendiqués par les indépendantistes eurent lieu dans des cafés algérois, faisant cinq morts et trente-quatre blessés. Alors que s’ouvrait le débat sur l’Algérie à l’ONU, le FLN décida une grève générale de huit jours. Celle-ci fut rapidement brisée par l’armée. De nouveau, il y eut des attentats du FLN, dans des stades cette fois-ci - onze morts et cinquante blessés - puis l’armée française réussit à mettre la main sur le coordonnateur des actions terroristes à Alger. Il y eut une certaine accalmie durant quelques semaines.



Lors de nos conversations téléphoniques, Marie m’apprit une nouvelle à côté de laquelle j’étais complètement passé, pris par l’actualité algérienne toute proche : les Russes avaient commencé la construction, en juin 1955, d’un site de lancement de fusées, dans le Kazakhstan, à Baïkonour. Il se racontait dans les milieux scientifiques métropolitains que l’URSS serait le premier pays à lancer un satellite. Ils allaient coiffer au poteau les orgueilleux américains. L’objectif initial de cette base perdue dans l’immense URSS, mais sur le trajet ferroviaire Moscou-Tachkent, avait été la mise au point des missiles balistiques dans le but de les équiper de têtes nucléaires. Puis, progressivement, les activités spatiales s’y étaient développées. Ils avaient dû avoir un programme spatial type Véronique. Mais les informations de ce style passaient mal vers l’Ouest… Qui sait si leur fusée ne s’appelait pas Veronik ou plutôt Natacha ? Je me demandais également, si côté Russe, ils avaient des informations sur cette fameuse étoile vue dans le « Triangle d’été ». À l’occasion, il faudrait que j’essaye de me renseigner…



L’actualité de notre environnement géographique ne facilitait pas la concentration sur notre propre programme. Si nous n’entendions pas directement les éclats de la guerre d’Algérie elle-même, nous en percevions les effets par une certaine tension permanente des soldats assurant la sécurité de notre base. Malgré tout; l’Année Géophysique Internationale approchait à grand pas et nous avions toujours des soucis d’injecteurs sur notre Véronique AGI. Au bout de quelques secondes, ceux-ci se bouchaient irrémédiablement sans qu’on arrive à identifier la cause. Il fallait faire un point exhaustif sur les obstacles qu'il nous restait à lever :

  • Bon les gars, je vous rappelle que l’Année Géophysique c’est entre juillet 57 et décembre 58. dis-je pour lancer la réunion.
  • Ça fait long comme année, ça, non ? ne put s’empêcher de relever Paulo.
  • Paulo…
  • Désolé, répondit l’intéressé, avec un grand sourire.
  • Alors, comme on l’avait décidé, on doit lâcher du sodium dans la haute atmosphère…fis-je, pour essayer de reprendre le contrôle de cette réunion.
  • Pour ça, il faut qu’on l’atteigne.
  • En effet, c’est la raison de cette réunion. Qu’est-ce qui coince pour qu’on y arrive ?
  • Le carburant pour avoir plus de poussée.
  • Ça, c’est réglé, fit Georges, on est passé à essence de térébenthine/acide nitrique, sur les conseils de Dieter, on devrait obtenir 20% de poussée supplémentaire au décollage.
  • Ja, exact, approuva Dieter.
  • Quoi d’autre ? demandais-je.
  • La taille de la fusée ?
  • Ça aussi c’est réglé, on a construit trois modèles de plus de sept mètres avec plus de place pour le carburant et une place pour les paillettes de sodium, répondit Gérard
  • Bon alors ?
  • Reste le problème des injecteurs… on n’arrive pas à faire durer la combustion assez longtemps, expliqua Gérard.
  • Quelles sont les compétences qu’il vous manque pour arriver à traiter ce problème ?
  • Là, c’est un mécanicien, un spécialiste des moteurs à injection et si possible qu’il ait des bases de chimie.
  • Bon, je vais voir ce que je peux faire. N’oubliez pas, il faut qu’on soit prêts avant fin décembre 1958. Il nous reste à peine plus de dix-huit mois.
  • Heureusement que cette année est longue…
  • Paulo !

Des fois, il était quand même pénible… sous prétexte de détendre l’atmosphère au sein de l’équipe, il me tendait un peu, moi.

  • Et question sécurité, on ne risque rien ici ? s’inquiéta Paulette, une des chimistes.
  • Pas que je sache et j’ai compris que notre garnison allait être renforcée.
  • Oui, parce que vu ce qui se passe dans les villes, faudrait pas que ça vienne jusqu’ici…
  • Ne vous inquiétez pas, je n’ai pas plus envie que vous que la guerre en cours nous rattrape et nous atteigne. Je vous tiens au courant dès que j’ai des nouvelles sur le renforcement de notre sécurité. Pour Véronique, je compte sur vous.
  • CHEF, OUI CHEF !

Décidemment, je ne m’y ferais jamais…



Je contactai le cabinet du ministre, qui avait changé encore une fois. Visiblement les dossiers suivaient bien d’un ministre à l’autre puisque je fus mis en contact avec un conseiller qui était au fait du dossier Véronique.

  • Bonjour Robert, alors comment ça se passe à Hammaguir ?
  • Pas mal…
  • Que puis-je faire pour vous ?
  • Deux choses, la première concerne la sécurité de la base…
  • Il y a des problèmes de sécurité ?
  • Non, ce n’est pas ça, mais tout le monde s’est ému quand la moitié de la garnison est partie à Hassi Messaoud, pour sécuriser le champ de pétrole découvert.
  • Ne vous inquiétez pas, il va encore y avoir des renforts en Algérie, on devrait bien pouvoir vous trouver un régiment pour Hammaguir. Je vendrai ça à Salan comme une phase de repos de ses soldats.
  • Merci.
  • Et votre second problème ?
  • Celui-ci, il est technique. Nous avons un problème que nous n’arrivons pas à régler sur les injecteurs de Véronique. Il nous faudrait un spécialiste des moteurs à injection. S’il a également des bases de chimie, ça nous arrangerait bien. Ceux du LRBA semblent occupés sur un autre projet…

Il réfléchit quelques instants et puis me proposa une perle rare :

  • Si je vous trouve un spécialiste des réacteurs, dans la Société des avions Marcel Dassault ?
  • Ce serait vraiment parfait ! Tenez-moi au courant. Ils vont être enchantés chez moi –Hammaguir était dorénavant mon nouveau foyer…. Et Véronique aussi.

Il n’avait pas saisi la perche que je lui avais tendue sur la dispersion de nos « forces » entre Véronique et cette autre fusée développée à Vernon. Je n'avais sans doute pas été assez explicite...

Aussitôt raccroché avec l’hôtel de Brienne, je fis part à Gérard et Dieter des bonnes nouvelles : À la fois l’effectif militaire qui allait augmenter mais aussi le spécialiste des réacteurs venant de Dassault. J’allais aussi prévenir le capitaine qui commandait l’effectif de sécurisation de notre périmètre. Savoir qu’il allait être remplacé bientôt l’enchanta. Il n’avait qu’une envie : aller en découdre dans les Aurès avec le FLN. Pas certain que ce soit aussi l’envie de ses soldats…



Début mars, cela nous tomba dessus, j’eus un coup de fil totalement inattendu :

  • Allo, Robert ?
  • Oui, à qui ai-je l’honneur ?
  • Général de Gaulle…
  • Mes respects mon Général !

Je ne sais pas pourquoi, je me suis levé et mis au garde-à-vous dans mon bureau.

  • Repos, Robert, repos

Mince, comment savait-il que…

  • Je fais souvent cet effet là…

Comme s’il m’avait entendu penser….

  • Que puis-je pour vous, mon Général ?
  • Dans quelques jours, je ferai un voyage privé à Hassi Messaoud. Je veux me rendre compte de visu du potentiel de cette découverte qui pourrait garantir à la France son approvisionnement en pétrole pour des décennies. Je me suis dit que je pourrais en profiter pour passer vous voir. Qu’en pensez-vous ?
  • …… grmblebble… Avec plaisir mon Général
  • Disons le 14 mars, vous prévenez le ministère ? Je ne veux pas leur faire un petit dans le dos.
  • Oui, mon Général
  • À bientôt Robert
  • Mes respects mon Général

Il avait déjà raccroché…



Tout chamboulé de cette visite qui devait survenir quelques jours plus tard, je réunis l’équipe, en particulier mes appuis les plus proches, Gérard mon second, Georges, Dieter et Paulo. Quand je leur annonçai la nouvelle, la fébrilité les prit. Il fallait que tout soit tiré au cordeau dans les bureaux et sur la base. J’appelai également le ministère pour les avertir de la visite du Général. À cette occasion, il m’apprit qu’un ingénieur, spécialisé dans les réacteurs d’avion, comme moi un ancien de l’ICPI, était en route et devait arriver sous peu.

J’eus Marie au téléphone la veille et lui annonçai cette visite extraordinaire ainsi que la venue d’une recrue qui allait nous permettre de réussir à lever les obstacles que nous avions devant nous. De son côté, elle m’apprit qu’il y avait de plus en plus de chances que le site d’essai de Gerboise bleue soit dans le désert algérien. Où exactement, elle n’en savait rien, et en plus, tout était couvert par le secret de la Défense nationale, top secret. Vu le contexte de guerre avec le FLN, la décision nous avait surpris… Mais c’est vrai qu’en banlieue parisienne, ça aurait été étonnant. Au fin fond de la Creuse, de la Lozère ou de l’Ardèche peut-être ? Non, pas dans l’Ardèche, bien sûr ! Finalement le Sahara était sans doute la meilleure solution. Encore fallait-il garantir la sécurité vis-à-vis des fellagas.

Durant les quelques jours nous séparant de la visite du Général, nous vîmes les troupes sécurisant la base défiler, faire des exercices, astiquer les boutons de leurs uniformes. Ils allaient vraiment être comme à la parade. Le capitaine commandant notre garnison avait prévu de parler au Général pour accélérer sa date de départ vers les zones de combat.

Il arriva le 14, fait exceptionnel, sous une pluie battante. Il était vraiment impressionnant, même en civil. Il faisait largement plus d’une tête de plus que moi et j’eus mal au cou en fin de journée lorsqu’il nous quitta. Il ne fit qu’une visite éclair de nos installations. Toutefois, il prit le temps de saluer chacun des membres de l’équipe de Véronique et termina son bref passage par quelques mots adressés à tous :

  • Mesdames, messieurs, je veux que vous sachiez que vous travaillez pour le rayonnement de la France. Ce que vous faites ici est capital pour nous. Nous ne pouvons pas laisser aux deux grands, la totalité du ciel et de l’espace. La France doit y être aussi. De là-haut, notre beau pays rayonnera plus fort ! Je compte sur vous tous pour que cette Année Géophysique Internationale permette de montrer tout le savoir-faire des ingénieurs français. Merci à tous et vive la France !

Sous les applaudissements, il tourna les talons et repartit dans son avion, toujours sous la pluie. Il ne pleut ici que dix jours par an et il avait fallu que ce soit ce jour-là... Le capitaine n’avait pas réussi à lui parler en privé et devrait donc rester jusqu’à ce qu’on le relève. Il n’irait pas se battre tout de suite…

Quand je racontai à Marie cet épisode pluvieux, juste sur le Général, elle éclata de rire pendant de longues minutes. Elle se montra également toute émue et ravie quand je lui annonçai la seconde naissance chez Paulo et Josiane, un deuxième fils, qu’ils avaient appelé Alain. Cette agrandissement de la famille de mon ami nous semblait un rayon de soleil dans le tumulte du monde.

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