Travaux et rumeurs

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Naguère chef d’orchestre, Léa se convertit en chef de projet.

Chaque membre de l’équipe connaissait désormais sa mission. Emmanuelle Baudry était chargée d’analyser l’ADN de sa jeune collègue et de le comparer à celui d’un humain naturel. Elle devait identifier et séquencer les gènes responsables la régression et de la mort prématurée des HumaniX.

Cyril Lynch, aux commandes des nanosciences, avait pour mission la reproduction des nanorobots utilisés par les entreprises génératrices pour manipuler les fragments d’ADN.

N’imaginons pas, comme dans un roman de science-fiction, des appareils électroniques microscopiques découpant des bandes à l’aide de lames bien affûtées. Il devait plutôt élaborer des molécules complexes qui provoqueraient des réactions chimiques précises au contact d’un gène. Le principe des « ciseaux génétiques » était déjà connu depuis le début du XXIe siècle. Par conséquent, Lynch parviendrait à remplacer les gènes indésirables, détectés par Emmanuelle, par leurs équivalents prélevés chez un humain naturel.

La neurologue prévoyait de trouver par quel moyen son générateur, ADéNéo, était parvenu à augmenter son quotient intellectuel. La dégénérescence précoce, commune à tous les HumaniX, était certainement issue du même mécanisme.

Les trois ordinateurs étaient dotés des logiciels utilisés également par les générateurs et captaient les données des appareils de mesures vendus par les mêmes fournisseurs. Les expériences se déroulaient alors sans handicap face aux concurrents. Le travail ne nécessitait que peu de connaissances en informatique, les machines ayant été livrées « prêtes à jouer ». Il suffisait de leur fournir des instructions vocales, dans le cas où elles n’auraient pas déjà anticipé le besoin de l’utilisateur. Par sécurité, elles ne disposaient d’aucune connexion au monde extérieur. Aucun vol de données ou virus destructeur, ces plaies toujours béantes depuis les débuts d’Internet, ne pouvait survenir.

Dans le couloir, les rumeurs fusaient à propos de cette salle de cours transformée en laboratoire. De l'extérieur, on pouvait remarquer les films translucides nouvellement collés aux fenêtres du premier étage. Que pouvait bien protéger cette serrure renforcée? Dès que l'un des quatre propriétaires des clés ouvrait la porte, tous les regards risquaient une intrusion. Un paravent disposé derrière l’ouverture décourageait ces tentatives en leur présentant des formules mathématiques incohérentes. Les chercheurs, n’échappant à aucune interrogation lors de chaque apparition publique, offraient des réponses vagues et parfois sans rapport avec le monde scientifique. On les entendait parfois digresser vers la politique ou le football avant de les voir filer en prétendant être en retard.

Dedans, progrès et découvertes se succédaient. Dehors, le mystère s’épaississait.

Si la plupart des personnes fréquentant la faculté n’accordait pas de grande importance à cela, au moins une avait toutes les raisons d’entretenir sa susceptibilité. Le Docteur Carballo éprouvait le désagréable sentiment d’avoir été mis à l’écart malgré la relation professionnelle tant qu’amicale entretenue antérieurement avec Léa, au même titre que ses confrères. L’apprentie neurologue, consciente de cette équivoque, s’essaya à la diplomatie, une aptitude qui ne se manifestait pas toujours chez elle. Elle lui consacra quelques discussions à la cafétéria, mais comment éviter éternellement le sujet délicat? Fallait-il aborder le sujet de la confiance? Certainement pas! Devait-elle le persuader de son désintérêt soudain pour son domaine? Elle avait déjà tenu ce genre de propos en public, à deux reprises. Optant pour cette solution, elle prit de nouveaux rendez-vous avec lui aux heures de pause.

Le succès de cette opération n’était pas flagrant, puisque l’homme eut du mal à approuver le fait qu’il ne soit jamais convié dans le laboratoire. Tant pis. Ils établirent une amitié distante, chacun possédant ses propres préoccupations.

Le directeur, détenant un minimum d’informations, s’efforçait de fournir aux curieux des réponses évasives, à l’instar de ses protégés. N’étant pas expert en la matière, il ne savait pas trop expliquer, il fallait voir, il allait se renseigner. Mais ces gens-là étaient sérieux, il leur faisait confiance!

Le projet suivit ainsi son cours sans grande vague pendant deux ans, sous l’aile de Monsieur Godard. L’équipe parvint à reproduire les nanorobots convoités, à identifier un gène destructeur et maîtriser les techniques de variation des capacités intellectuelles. Mais au grand étonnement de Léa, le procédé d’ADéNéo pour la dotation de l’intelligence souhaitée à la naissance n’avait rien à voir avec ceux de l’altération du cerveau et de la mort prématurée. Si l’origine des trois se situait bien au niveau génétique, deux hormones participaient à l’initiation des deux phénomènes de fin de vie. Les dégradations se déroulaient par la suite de manière autonome et irréversible. Plusieurs années restaient pour neutraliser l’hormone mortelle, mais il devenait indispensable d’agir sans tarder sur le génome de l’HumaniX pour sauver son cerveau de la première substance dévastatrice.

Tout le monde devait reprendre depuis le début.

Deux gènes différents intervenant en réalité vers vingt ans, puis vingt-six, Emmanuelle allait identifier un fragment d’ADN supplémentaire. Cyril concevrait ensuite le nanorobot qui le découperait, Léa viendrait en renfort sur les postes de ses deux associés.

Toutes les compétences étaient mobilisées pour gagner la partie, une victoire pour Léa en tant que cobaye, mais aussi celle des prochains enfants naissant par PIA.

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