Le labo de Léa

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À la suite de cette apparition publique, Léa, comme à son habitude, abandonna la spécialité associée. La découverte lui rapporta l’équivalent d’un million de dollars, la récompense promise par l’institut de mathématiques Clay un siècle auparavant. Bien que son but ne fût pas celui-là, cette somme lui permit de financer le projet suivant.

Elle se concentra en toute discrétion sur les matières précédemment étudiées en parallèle de l’algèbre. L’enjeu était cette fois-ci d’ordre personnel, et venait à l’encontre des industries génératrices. Dès lors, elle approfondit la génétique en collaboration avec son enseignante en biologie Emmanuelle Baudry, jugée suffisamment douée pour lui prêter main forte. Jacques Carballo, en raison de ses éloges envers les générateurs, ne lui inspirait pas suffisamment confiance. Elle s’attribua donc les recherches en neurologie. Quant aux nanosciences, elle dût contacter Cyril Lynch, expert qui n’hésita pas à venir s’installer dans la région pour s’associer à la petite scientifique de renom.

Les deux nouveaux adjoints avaient été mis dans la confidence à propos de ses intentions. Cette HumaniX aspirait à survivre aux vingt-six ans annoncés et atteindre une longévité conforme à l’espérance de vie des humains naturels. Ses congénères bénéficieraient en outre du même dénouement.

Les sociétés génératrices possédaient certainement les connaissances suffisantes pour aboutir à ces résultats, mais les gardaient secrètes pour profiter de cette obsolescence programmée, et renouveler à grande fréquence leurs ventes de petits HumaniX.

Léa ne pouvait donc compter que sur elle-même et ses deux complices pour reproduire et tirer parti des technologies utilisées par ces grandes puissances. En estimant l’apparition d’une déficience cognitive à partir de vingt ans, il lui restait plus de trois ans pour y échapper. Étant donné le temps passé sur son activité précédente, d’ambition équivalente, elle gardait l’espoir de toucher au but dans le délai imparti. Monsieur Godard, le directeur de l’université, sans connaissance exacte du projet mais avec la conviction d’obtenir de nouveaux résultats élogieux au sein de son établissement, laissa à disposition du trio une salle qu’ils pouvaient aménager à leur guise en laboratoire de recherches.

La pièce fut tout d’abord verrouillée, puis meublée de trois grandes paillasses et de placards remplis des instruments et des produits nécessaires aux expériences envisagées. Des appareils électroniques de mesures communiquaient sans fil avec les ordinateurs puissants de chacun.

- Avez-vous vu mon ordinateur?

- Sous la tasse de café que tu viens de poser.

L’emplacement de ces unités centrales importait peu, pourvu qu’elles ne sortent pas de la pièce. Les écrans souples, fixés à de petits drones aimantés au plafond magnétique, circulaient en suivant les déplacements de leurs utilisateurs.

Léa, en bon chef de service, incita ses collègues à décorer leur nouvel espace de travail selon leurs goûts. Un environnement stimulant s’imposait pour que les trois associés atteignent leur niveau maximal de performances. Emmanuelle réclama des touches de rouge vif pour casser l’insipide blancheur d’ensemble. Elle repeignit certains carreaux du carrelage mural et posa un tapis coloré devant son poste de travail. Cyril se passionnait pour le street-art, les dessins de rues. D’accord. Mais sans inscription ni forme agressive au regard. Des petits personnages comiques apparurent en pochoirs sur le carénage gris des machines et sous les plaques de verre des paillasses. L’ambiance restait vraiment trop minérale pour Léa. En ajoutant quelques plantes vertes, elle donna à ce lieu quelques notions d’écosystème dans lequel on pouvait concevoir de se cantonner durant des heures.

Parmi les difficultés à venir, l’une résidait de l’autre côté de la porte. Comment éloigner les curieux et éviter que les rumeurs ne se conforment à la réalité? Personne ne devait se douter des intentions tenues dans ce laboratoire. La remarquable thèse présentée par l’HumaniX talentueuse n’avait été en réalité qu’un stratagème servant à masquer ses travaux réels.

(Par conséquent, la démonstration de l’hypothèse de Riemann, tant convoitée depuis deux siècles et demi, ne fut qu’une récréation pour la personne qui la découvrit.)

Il lui fallait à présent user de duperies de la sorte pour que les industries génératrices n’aient connaissance de ses objectifs. ADéNéo, en particulier, ne devait pas imaginer un instant que l’une de ses créatures tentait de déjouer sa stratégie. Cette démarche commençait par la neutralisation des badauds, derrière cette porte. Léa donna une clé à son professeur de mathématiques et désormais ami Vincent Lombard, l’invitant à lui rendre visite dès que le cœur lui en disait. La confusion pourrait ainsi régner à l’extérieur à propos de la discipline exercée dans cette pièce. Un peu de biologie, une touche d’arithmétique, un soupçon de nano-quelque chose… Il suffisait d’ajouter un écriteau farfelu sur la porte pour terminer de brouiller les pistes. Cela coûta aux quatre compères un café et une bonne partie de plaisanteries.

- « Département d'outre mesures » ou « Assemblée des lois exponentielles », suggérait le mathématicien.

- « Ministère des choses en cours », proposait Emmanuelle.

- « CTADPB »?

- Non Léa, nous ne sommes pas un syndicat.

- « Cabinet des démarches effectives ». Non, cela éveillera encore plus les curiosités. Ou bien… « Laboratoire »!

- Bravo Cyril! Merci.

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