Une lycéenne dans la fac

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La moitié de l’année scolaire passa sans grande nouvelle de la lycéenne dont les apparitions devenaient plus fréquentes à la bibliothèque de la faculté de sciences qu’en cours.

Les professeurs s’étant rendus compte de son ennui en classe, associé à ses notes évidemment excellentes, ses parents connaissant sa destination chaque matin, il ne sembla utile à personne de relever la transgression. Léa préférait recueillir les informations voulues dans les livres, sources plus sûres qu’internet, et se plonger dans une ambiance de travail publique dont elle s’était privée en évitant le lycée. Ses relations avec ses camarades s’amenuisaient cependant au même rythme que leurs centres d’intérêt communs.

D’autres personnes se rapprochaient d’elle, tels certains enseignants de l’université ayant remarqué cette fille, trop jeune pour être leur élève, se pencher sur des ouvrages complexes. Quel sujet étudiait-elle? Ses réponses nébuleuses encourageaient les curieux à la récidive.

« J’ai entendu parler des nombres premiers. C’est amusant! », répliquait-elle, un livre sur ce thème ouvert à côté d’elle. Le plus obstiné d’entre eux s’assit face à elle pour la cuisiner.

- Que fais-tu ici? Tu ne devrais pas être en classe?

- Je prépare un exposé pour le cours de maths.

- Il existe des livres plus simples que celui-ci.

- Oui, je les ai déjà lus.

- Ils devraient pourtant suffire pour ton exposé. As-tu besoin d’aide? Quel est l’énoncé?

- « Démontrez l’hypothèse de Riemann.»

Un gloussement nerveux parut sortir par tous les orifices de la tête de l’enseignant, comme la fumée d’une télévision du siècle précédent venant d’imploser. Face à cette réaction, des yeux souriants trahirent la satisfaction de Léa.

- Tu peux arrêter tout de suite tes recherches : ton professeur t’a fait une blague. Aucun livre ne t’apportera la solution. Cet énoncé existe depuis le XIXe siècle, et personne n’a jamais su y répondre.

- Merci, je le lui dirai. À qui puis-je m’adresser ici pour avoir un maximum de renseignements sur les nombres premiers?

- Je suis le mieux placé. C’est pour ça que j’ai particulièrement été interpellé en te voyant avec ce livre. Si tu veux vraiment arriver en cours avec quelque chose, je peux t’expliquer l’essentiel à connaitre sur les nombres premiers. Comment t’appelles-tu?

- Vous ne me croiriez pas, assura la fille au nom ayant noirci des dizaines d’articles de journaux.

- Bon, ce n’est pas grave. Qu’as-tu déjà appris sur le sujet?

Léa dut se résoudre à dévoiler l’information essentielle pour parvenir à une conversation constructive.

- Léa Tellier.

- Non, allez! Tu dois avoir un vrai nom.

- Je vous avais dit que vous ne me croiriez pas.

Un silence, un regard.

- En effet, il est logique de te trouver dans des lieux comme celui-ci, mais ton domaine de prédilection n’est-il pas la musique?

- Mes parents l’ont souhaité, mais mon cerveau me donne aussi la capacité de décider par moi-même. N’étant pas leur pantin, j’ai préféré opter pour une discipline qui leur est inconnue. Ils exècrent les chiffres, et pour ma part, j’adore les manipuler. Les chiffres, je veux dire. Mais vous ne vous êtes pas présenté, Monsieur Lombard.

- Désolé! Vincent Lombard. Si tu veux assister à certains de mes cours, tu es la bienvenue. J’y aborde parfois le sujet des nombres premiers qui t’occupe aujourd’hui, plus rarement l’hypothèse de Riemann afin d’informer mes étudiants de son existence, sans vouloir les embourber dans un problème insoluble. J’imagine que le reste du programme pourrait aussi te plaire. Je te le ferai passer, si tu veux. Mais… Comment connais-tu mon nom?

- Votre chemise est neuve, supposa Léa en pointant du doigt le col de son interlocuteur.

Une étiquette à son nom en pendait, témoignant de sa commande récente d’une chemise au logo de l’université.

Ainsi put-elle découvrir en Lombard un homme distrait, mais également talentueux dans sa spécialité comme en pédagogie puisqu’ils restèrent en contact dans le cadre des cours qu’il donnait. Ses questions fusant dans l’amphithéâtre, bien que pertinentes, ennuyaient les étudiants et ralentissaient le programme du professeur, qui lui donna rendez-vous à la bibliothèque pour des séances d’approfondissement. Au-delà des mathématiques, la lycéenne s’invitait dans les salles de cours des différentes matières étudiées dans ce campus scientifique. Les enseignants, amusés ou admiratifs, en référèrent au directeur afin d’appuyer l’inscription de l’adolescente à la candidature au baccalauréat, puis l’intégrer officiellement à un cursus universitaire. L’école n’émit aucune objection à cette suggestion qui signifiait l’abandon du monde de la musique et d’une gloire indirecte pour les parents. Ce revers porté aux nerfs de ce soucieux Monsieur survint au grand dam de Madame.

L’année scolaire approchant du dernier trimestre, Léa sauta une classe, comme à son habitude depuis deux ans, pour ingurgiter le programme de terminale. La formalité des épreuves accomplie, la petite nouvelle âgée de quinze ans fut chaleureusement accueillie dans les amphithéâtres, à condition de rester discrète pendant le déroulement des cours. Ses questions n’étaient acceptées qu’à la sortie des autres étudiants, et recevaient des réponses en privé ou lors de la séance suivante, selon le niveau de sa promotion et le bénéfice apporté au bon déroulement de l’enseignement.

On put rapidement deviner ses thèmes favoris. Outre celui pour lequel elle échangeait avec Vincent Lombard, la génétique semblait faire partie de son quotidien à l’aide des conseils de la biologiste Emmanuelle Baudry ; le Docteur Jacques Carballo, neurologue de la faculté de médecine, lui rendait fréquemment visite ; enfin, des bouquins concernant les nanosciences trainaient souvent sur son bureau, faute d’instructeur à proximité. Les spécialistes défilaient dans la bibliothèque pour discuter un quart d’heure, une heure, ou échanger seulement quelques mots. Plusieurs carnets de notes sortaient tour à tour de son sac et se laissaient griffonner avant d’y replonger.

Les usagers de la bibliothèque notant que son activité diversifiée s’articulait en réalité autour d’un projet unique, l’étudiante surdouée devint plus rare en ce lieu. Elle prit ainsi davantage de précautions en empruntant les ouvrages utiles pour travailler chez elle et en rendant visite aux chercheurs dans leurs bureaux.

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