Neuf mois plus tard, on annonça ainsi dans les journaux du 4 juin la naissance d'un jeune prodige. Non sa révélation, mais bien sa mise au monde. Léa Tellier était le nom prononcé simultanément en tout lieu, les termes les plus recherchés sur internet, l’application la plus téléchargée sur les premières versions de lentilles de contact connectées.

« Léa »? Un génie féminin? On n’allait tout de même pas prêter la gloire à une femme! Cela revenait à mettre le doigt dans un engrenage. Stupeur des uns, raillerie des autres ; fierté des unes, incrédulité des autres. Des expressions fleurirent aussitôt, telles que « la nouvelle Marie Curie », ou « la compositrice ». Ce mot apparaissait suffisamment rarement au féminin pour être associé au bébé dans tous les esprits.

En attendant de pouvoir émouvoir les foules par sa propre expression, la petite Tellier s’ingéniait à justifier l’utilité de quelques couches par une méthode qui lui était propre, tel que se plaisait à souligner son père. Ce besoin naturel, comme celui de manger ou dormir, était en effet réglé selon le rythme de ses parents.

La frénésie retomba durant quelques années, malgré les interviews dont se délectaient Papa et Maman.

« Nous ne la méritions pas. Pas de cette manière. Le résultat aurait été le même sans PIA », se vantait-il, belle situation professionnelle à l’appui, mais piston en arrière-plan.

«  Une digne héritière de ses illustres aïeux », précisait-elle, évoquant un grand-père « médecin à mémoire d’éléphant », et l’autre « vieil avocat sans défense ». Émérite et au soutien inutile de qui que ce soit, entendait-elle.

Leur humour aux expressions recyclées attira un temps les journalistes mais finit par lasser les foules. Léa avait attiré toutes les lumières vers elle, mais que devenaient les neuf autres bébés? Par cette question, les médias retinrent l’attention sur le sujet, en attendant que la petite star commence à exprimer son talent.

Certains des couples sélectionnés restaient discrets pour préserver l’intimité de leur enfant. Les autres tentaient, comme les Tellier mais avec un succès moindre, de se démarquer pour leur propre triomphe. Chacun avait choisi pour son petit champion un domaine de prédilection plus ou moins inspiré. La musique était donc le bout de cortex musclé de Léa, tandis que l’expression orale, le coup de pied dans un ballon, la gestion d’un grand groupe ou l’habileté en présence de capteurs corporels de jeux vidéo prédestinaient d’autres bébés à la popularité.