Combattant

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Le temps se réchauffait nettement depuis quelques jours. Ils traversaient une forêt ombragée où fleurissaient de nombreuses plantes sous la ramure de tilleuls et d’érables, auxquels se mêlaient quelques cyprès. Ils avaient mis pied à terre et menaient leurs chevaux par la bride.

« C’est agréable de se dégourdir un peu les jambes de temps en temps. commenta-t-elle.

- Tu fatigues vite. se moqua-t-il.

- Je ne voyage pas depuis ma plus tendre enfance, répondit-elle, je n’ai pas ton endurance.

- Ma plus tendre enfance, n’exagérons rien. Je ne suis parti qu’après presque deux décennies de réclusion.

- Le terme est un peu dramatique, non ? s’amusa-t-elle. Telles que tu me les as décrites, tes premières années me paraissent plutôt agréables.

- J’ai été choyé, je ne le nie pas, mais je me suis ennuyé aussi.

- Il est vrai que pour toi l’ennui est le pire de tous les maux. Pourtant tu avais de quoi t’occuper.

- Disons qu’à l’époque je ne comprenais pas l’intérêt d’emmagasiner des connaissances. Et puis suivre un enseignement complet parce qu’une femme dont j’ai oublié jusqu’au nom l’avait décidé… »

Il laissa sa phrase en suspens. Elle s’attendait presque à ce qu’il soupire, mais il eut juste l’air ennuyé, comme s’il revivait quelque cours de latin ou de catéchisme. Elle sourit. Lorsqu’il arborait cette expression, il ressemblait à un enfant.

« Heureusement que le frère Laurent était là, n’est-ce pas ?

- Il m’a sauvé de la monotonie de cette vie cloîtrée, plaisanta-t-il, et je lui en suis très reconnaissant.

- Tu ne m’avais pas dit qu’il connaissait… elle hésita, qu’il était proche de ta mère ?

- Ils étaient amis, confirma-t-il, et c’est avant tout à lui qu’elle m’avait confié. Il a été ce qui se rapproche le plus d’un père pour moi. C’est lui qui m’a permis de voyager, également.

- Ah bon ? s’étonna-t-elle. Tu ne m’avais jamais raconté ça.

- Je considérais que cela devait rester comme un secret. Mais en ce moment, je suis plus enclin aux confidences.

- Je vais en profiter, alors. sourit-elle. Tu veux bien m’expliquer quel rôle il a joué dans ton départ ?

- À l’origine, je devais rejoindre ma… mère une fois mon éducation achevée. Elle voulait me revoir, et avait apparemment trouvé un moyen de m’intégrer à sa famille. Mais je n’avais aucune envie de faire sa connaissance, d’autant que je devinais que je ne serais pas forcément le bienvenu. Entre être regardé toute ma vie comme le ‘‘fils naturel’’ d’une noble, et devenir un vagabond sans nom de famille, j’ai choisi la liberté. Et puis je voulais découvrir le monde par moi-même, surtout après avoir passé le début de mon existence entre les mêmes murs. Frère Laurent était censé être l’ambassadeur de cette femme auprès de moi, mais malgré son opposition au début il a fini par me comprendre. Alors que ses supérieurs lui avaient demandé de me conduire chez sa famille, il m’a laissé partir. »

Astrée demeura silencieuse quelques instants, puis lui demanda :

« Azzur, c’est ton nom de baptême ?

- Oui, et la seule chose que je garde de cette noble. Elle l’a choisi en souvenir de son amant. Cependant j’ai choisi d’ignorer à qui je dois mon prénom. »

Après cela, tous deux cheminèrent sans échanger un mot. Elle se sentait touchée par la confiance dont il l’honorait. Elle admirait aussi la formidable insouciance dont il faisait parfois montre. Si elle avait été à sa place, elle n’aurait peut-être pas su s’en sortir aussi bien. Elle en vint à se questionner sur son avenir. Que ferait-il après leur séparation ? Retournerait-il immédiatement en Orient ? Voudrait-il rester un peu avec elle ? Elle leva les yeux vers les arbres, comme si la réponse à ses interrogations se trouvait entre leurs branches. Lorsqu’elle reporta son regard sur le chemin, elle remarqua cinq silhouette immobiles non loin de là.

« Azzur, qui sont ces gens ? »

Il les détailla avec attention et son regard prit un éclat d’acier. Ils s’arrêtèrent. À peine quelques coudées les séparaient des inconnus. Le jeune homme esquissa un sourire sans joie.

« Je me doutais qu’on finirait par en croiser. C’était presque trop beau qu’on ait réussi à arriver jusqu’en Île-de-France sans problèmes. »

Astrée comprit aussi la situation. L’individu de centre possédait une épée, les hommes à sa droite et à sa gauche, des carabines, et les deux derniers, des lances. La jeune femme vérifia si elle avait toujours le couteau donné par Azzur. Il se trouvait bien accroché à sa ceinture. Cela ne la rassura pas vraiment, mais elle se sentit moins démunie. L’homme à l’épée, vraisemblablement le chef, prit la parole :

« Si vous voulez passer, voyageurs, vous allez devoir nous verser un péage. »

Azzur réprima un soupir amusé. La formule avait l’avantage d’être plus originale que ‘‘la bourse ou la vie’’. Cependant il n’avait pas l’intention de se délester d’une seule pièce. Il envisagea un instant de remonter à cheval pour passer avec Astrée, mais un détail pratique l’arrêta. Sa compagne était vêtue d’une robe, ce qui s’avèrerait compliqué pour se remettre vite en selle et partir. Et de toute façon, ils risquaient de servir de cible aux tireurs. Restait donc une option : le combat. Il tenta de dégainer discrètement son couteau à lancer. Mais l’un des carabiniers s’en aperçut et tira. Azzur eut le réflexe salutaire de sauter de côté. La balle lui érafla seulement la joue.

Heureusement qu’il vise mal. Moi en revanche, je ne vais pas rater l’autre.

Et il lança sa lame vers le deuxième tireur. Il l’atteignit à la tête. Sa carabine encore chargée toucha le sol avec fracas. Les temps que l’autre réarme, il serait déjà mort. Et c’est en effet ce qui arriva car une dague l’envoya rejoindre son confrère. Il ne fallut pas longtemps aux autres pour se ressaisir. Les lanciers engagèrent le combat avec lui. Il esquiva un coup venant de la droite, dégaina son fleuret et para à gauche. Il devait reconnaître que le style de ses deux adversaires était assez intéressant. Il avait toujours admiré ceux qui maniaient des armes d’hast. Il se demandait comment ils parvenaient si habilement à affronter des combattants au corps à corps aussi bien qu’à distance. Tout en échangeant coups et blocages, il parvint à se rapprocher de la carabine chargée. Il repoussa l’un des lanciers avec force, coupa la hampe de l’autre avant de le tuer, puis se saisit de l’arme à feu et abattit celui qui restait. La détonation résonna un bref instant. Le quatrième cadavre s’effondra.

À présent, pensa le voyageur, réglons son compte au chef.

Il se tourna vers l’épéiste, et s’aperçut que celui-ci ne l’avait pas attendu pour se battre. Astrée était en fâcheuse posture, désarmée et reculant sous la menace de sa lame. Avant que le brigand n’ait le temps de la blesser, Azzur sortit un dard de métal et le lança dans le bras de l’ennemi. Celui-ci jura, lâcha son arme et se retourna. Il dégaina un glaive, jaugea son nouvel adversaire, et s’élança pour l’affronter. Un clair son métallique signala le début du duel. Les deux combattants étaient dotés d’un solide niveau, mais le bandit ne possédait pas l’expérience que procurent les voyages. Le jeune homme s’amusait à mêler à son style des enchaînements appris en Orient, surprenant son opposant et s’octroyant un solide avantage. Il s’évertuait à déstabiliser le criminel, se vengeant de l’inquiétude qu’il lui avait causée en menaçant Astrée. Il finit par employer une feinte vicieuse en lâchant son fleuret. Son adversaire eut un instant d’incertitude. Le voyageur dégaina son poignard et le plaqua au sol. Il plaça sa lame sur la gorge de l’homme et s’apprêta à l’achever. L’autre tenta de se libérer. N’y parvenant pas, il adressa au vainqueur un juron que l’on pourrait retranscrire par ‘‘fils illégitime’’. Azzur eut un drôle de sourire.

« Oui, et je le vis très bien. » déclara-t-il.

Et il l’égorgea. Il se releva ensuite comme si de rien n’était et sortit un mouchoir en dentelle pour nettoyer sa lame. Puis il rejoignit Astrée.

« Tu es blessée ? s’enquit-il.

- Non, juste un peu secouée. »

Il remarqua qu’elle était pâle.

« Pardonne-moi, reprit-il, j’aurais dû te protéger.

- Tu étais déjà occupé, l’excusa-t-elle, et j’ai réussi à tenir un peu grâce à ce que tu m’as appris. »

Elle fut saisie d’un vertige et perdit l’équilibre. Il la rattrapa et elle agrippa un instant son bras.

« Désolée, murmura-t-elle, je n’ai pas l’habitude des cadavres.

- Il faut que tu t’asseyes un peu. » conseilla-t-il.

Il la soutint et la guida jusqu’à un arbre contre lequel elle s’adossa.

« Ferme les yeux, ajouta-t-il, comme ça tu ne les verras pas. Je vais rassembler nos armes et nous partirons. »

Elle fit ce qu’il lui avait dit. Il s’éloigna et fit le tour des corps pour récupérer ses lames. Il prit son couteau à côté du premier, retira sa dague du cœur du second, ramassa son fleuret et le dard près du chef. En dernier lieu, il retrouva l’arme d’Astrée dans l’herbe. Il la lui rendit, l’aida à se relever, et ils retournèrent là où ils avaient laissé leurs chevaux. Les deux animaux s’étaient un peu éloignés et broutaient paisiblement, ignorant l’odeur de sang qui montait.

« On peut dire qu’ils gèrent mieux les chocs que moi. plaisanta Astrée.

- Courage, répondit Azzur, les premiers morts sont difficiles, mais ils ne seront bientôt plus qu’un mauvais souvenir. »

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