Hikikomori — Chapitre 15

5 minutes de lecture

Maman était au travail assise à son bureau.

Son téléphone a sonné, elle l'a calé entre son oreille et son épaule et continua d'enfoncer les touches de son clavier. Ses mains se sont arrêtées lorsqu'elle entendit le policier attentif se présenter.

Une fois les explications terminées elle s'est levée et a quitté son boulot en courant. Elle a hurlé à son boss qu'elle avait une bonne raison et qu'elle lui expliquerait plus tard. Elle a conduit comme une furie. Dans une main le volant, dans l'autre son téléphone. Elle a essayé de joindre son fils avec frénésie sans aucune réponse de sa part. Son esprit s'imaginait le pire. À vrai dire, le policier n'avait pas fini ses explications. Elle est partie avant qu'il puisse dire, qu'en dehors de quelques bleus, que son fils va bien.

■■■


Maman arrive dans la rue de sa maison.

Trois voitures de police et une ambulance sont garées devant chez elle. Des policiers font signe aux curieux de passer leur route. Deux personnes menottées passent le portail. Une femme ensanglantée et un homme au nez brisé dans un angle droit. Le cœur de maman s'accélère. Elle se demande ce qu'il s'est passé chez elle. Qu'est-il arrivé à son fils ? Elle court vers le portail mais un policier l'arrête en s'interposant. « LAISSEZ-MOI PASSER C'EST CHEZ MOI ! » Le policier recule d'un pas, la voix de maman lui a coupé le souffle.

Maman en profite pour passer. Elle voit son fils allongé sur une civière à même le sol. Il est mort, est la première pensée qui traverse son esprit. Il est enroulé dans une couverture et deux infirmiers soignent ses blessures avec des poches de froid. On ne soigne pas les bleus d'un mort, se dit-elle ensuite, sans être plus rassurée pour autant.

Elle s'apprête à le rejoindre, mais un policier pose une main sur son épaule. C'est le policier attentif.

« Vous êtes arrivée vite.

— Il...

— Il va bien. Il est tombé dans les pommes c'est tout. » Le policier remarque que maman dévisage les infirmiers qui s'occupent de son fils. « Ah... oui. Il a pris quelques coups mais rien de méchant. Ce n'est pas pour ça qu'il est inconscient. »

Un des infirmiers se lève et s'approche de maman.

« Avec mon collègue on a déposé votre... Excusez-moi, je suis mal poli. Bonjour madame.

— Bonjour.

— On a déposé votre fils sur une civière pour qu'il ne soit pas à même le sol, mais au vu de ses blessures, la décision vous revient si on l'emmène ou non à l'hôpital.

— C'est grave ?

— Non, pas du tout. Quelques hématomes, bien sûr. L'autre cinglée n'y est pas allée de main morte. Mais on a mis du froid dessus, et votre fils a déjà repris des couleurs. À vrai dire, votre fils n'est pas inconscient. Il est endormi. »

Maman soupire et son visage se détend.

« Il va rester à la maison s'il vous plaît. »

« On peut le porter dans sa chambre si vous voulez. »

« Non. Je vais le porter merci. »

Les deux infirmiers s'en vont. Le policier attentif se rapproche de maman. « On va rentrer au poste avec mes collègues et s'occuper des deux cambrioleurs. Je reviens demain pour parler avec votre fils, faire la paperasse et tout mettre au propre. Reposez-vous bien, vous avez l'air aussi fatiguée que lui. À demain. »

— À demain. »

Maman s'agenouille et hisse Hiki sur son dos. Elle rigole un peu, « il est léger. » Mais il est en vie et c'est le plus important. Les ongles de son fils sont ensanglantés et ses yeux gonflés. Elle sait qu'il a dû pleurer, mais surtout, qu'il s'est battu. Elle ressent une certaine fierté monter en elle. Malgré son état, son fils peut se battre, et il a gagné.

« A...attends... »

Elle s'arrête. Elle tourne sa tête pour regarder son fils. Elle fait de son mieux pour ignorer les cheveux. Le visage de son fils a changé. Puis elle réalise qu'ils sont dehors. Son fils sourit, elle se met à pleurer.

« Je... suis dehors.

— Oui. »

Hiki fixe le ciel. Maman fixe le reflet du ciel dans son regard.

« C'est un beau bleu » dit-il.

— Oui. »

Elle rentre dans la maison, monte les escaliers puis ouvre la chambre de son fils. Elle voit la bâche, la chaise, les ciseaux, la tondeuse et la serviette. Elle se demande quel genre de scène horrible aurait pu se produire ici. Puis elle comprend. C'était aujourd'hui qu'elle devait lui couper les cheveux. La serviette c'est pour empêcher les cheveux de tomber dans son T-shirt. Il déteste ça. De nouvelles larmes montent et brouillent sa vue. Elle se tourne vers le futon mais Hiki l'arrête.

« Tu... veux que le général soit de retour ou quoi ?

— Le qui ? »

— Le gars qui crie soldaaat » dit-il de sa petite voix. « J'ai... une mission à accomplir. Et toi...

— Des cheveux à couper, n'est-ce pas ? »

Elle sourit. Il sourit aussi.

Hiki a du mal à garder les yeux ouverts et à se faire entendre mais il va mener son opération jusqu'au bout. Il est en avance de sept jours sur la mission finale mais il compte avoir sa coupe de cheveux. La vie est venue pimenter un peu ses plans, mais il ne va pas s'arrêter pour autant. Ce n'est pas la première fois que ça ne se passe pas comme prévu.

Tous les plans foirent, on peut pas tout prévoir se dit-il. Ça l'amuse de reprendre la voleuse.

Maman l'assoit sur la chaise. Elle part dans la cuisine chercher un tablier puis elle revient. Hiki n'a même pas vu qu'elle était partie.

Ciseaux en main, tablier, queue de cheval. Maman semble avoir vingt de moins, et elle faisait déjà moins que son âge. Elle ressemble à une coiffeuse en début de carrière.

Puis elle se met au travail. Elle coupe les cheveux avec joie. Son fils se cache derrière cette touffe de cheveux. Mais elle va le retrouver.

Hiki s'endort en écoutant le bruit des ciseaux. Ça l'a toujours apaisé même s'il sait que ce n'est pas à crier sur tous les toits. « J'adore le bruit des ciseaux » ne sonne pas bien.

Il rêve du ciel bleu puis son rêve s'assombrit. Il voit la voleuse, le distributeur puis l'ivrogne qui se fait planter. Il se voit dans la maison en train d'écouter la porte se faire crocheter. Puis l'homme lutter contre la femme, lui tenir les deux bras avant de se faire plier le nez dans un angle droit. Le bruit du choc fut horrible. Il voudrait que l'homme ne soit pas accusé au même titre que la femme. Ils se sont sauvés l'un l'autre.

Il repense aux trois années entre les deux évènements... mais il se réveille avant de pouvoir retracer cette période. Sa maman tient devant lui un miroir.

Il est de retour, c'est bien lui.

Il sourit.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Evelyn Park ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0