Hikikomori — Chapitre 16

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Papa est revenu en urgence de l'autre bout du Japon.

Lui aussi a raccroché avant que le policier ne finisse ses explications. Puis il a pris le premier vol pour Tokyo. Il est rentré tôt le matin — il faisait nuit noire — et la première chose qu'il a faite fut d'ouvrir la chambre de son fils. Il était bien là, endormi. Des bleus sur le visage, les yeux boursouflés, les cheveux coupés.

Papa a lâché un soupir comme on ne le fait qu'une fois dans une vie. Il ne savait pas ce qu'il aurait fait si la chambre avait été vide. Et à cette simple pensée, il était resté vacillant devant la porte pendant vingt bonnes minutes. Mais son fils était en vie, et seule maman pouvait avoir coupé ses cheveux. Deux réponses pour le prix d'une : les deux sont en vie.

Il a embrassé son fils sur le front pour s'assurer qu'il ne soit pas un mirage.

Il en a fait de même avec maman en la rejoignant au lit.

Mais papa n'a pas réussi à s'endormir, le moindre bruit le réveillait. Il a pensé à toutes les serrures hautes sécurités qu'il aurait dû acheter. Il a envisagé la reconnaissance faciale, digitale et ADN. Mais il a vite compris que c'était transformer sa maison en prison. Puis il a pensé à un scénario où il serait rentré chez lui, mais où plus personne n'aurait été là pour l'accueillir. Peu après il s'est mis à pleurer.

Il a pris sa femme dans les bras, et cela l'a aidé à dormir quelques heures.

■■■


Ils sont assis à table. Le policier attentif est assis face à eux. C'est lui qui les a réveillés en toquant à la porte.

Hiki a pris ça pour une blague de mauvais goût. Il a cru un instant que la voleuse était de retour. Et merde aussi quoi. Ils ont une sonnette. Pourquoi tout le monde frappe à la porte ?

Le policier se racle la gorge et tapote la table de son stylo Supercop.

« Je ne sais pas par où commencer.

— Par où vous voulez » dit le père.

— Le 5 avril 2021, un homme et une femme ont tenté de vous cambrioler. Votre fils était présent du début à la fin. Il a risqué sa vie à plusieurs reprises, mais il s'en est bien sorti. Certains de mes collègues ont dit, » il marque une pause, « que votre fils aurait pu mourir en jouant au héros. Mais dans une telle situation, c'était peut-être le meilleur choix à faire. »

Papa et maman froncent les sourcils. Ces autres policiers sont des débiles, pensent-ils fort.

Le policier attentif remarque leurs réactions, et arrive presque à entendre leurs pensées. Puis il cache son regard derrière sa casquette.

« La femme en question est une meurtrière en série. »

Papa et maman sursautent. Ces autres policiers ne sont peut-être pas si débiles que ça, se disent-ils. Maman savait que la scène avait été violente. Mais elle ne se doutait pas de qui avait essayé de rentrer chez elle. Papa qui ne savait rien a failli broyer ses lunettes en les retirant.

Le policier repositionne sa casquette.

« Mais ça, votre fils le sait déjà. »

Hiki, surpris, fixe le policier. Maman et papa dévisagent leur fils.

« Le 25 janvier 2018, votre fils a rencontré cette femme en rentrant de l'université. Sa présence en témoigne, il a survécu. Mais un père de famille n'a pas eu cette chance. Il s'est sacrifié pour permettre à votre fils de fuir. Nous avons retrouvé son cadavre... ce qu'il restait de son cadavre... au fond d'une poubelle dans la ruelle où votre fils a été attaqué. Le découvrir nous a permis de contacter la famille en question. Elle ne savait toujours pas ce qui était arrivé. »

Papa et maman n'en reviennent pas. Leur vue s'est troublée et le policier se tord comme une illusion d'optique. Les murs gélatineux font pâle comparaison à côté. Ils sont assis mais ont l'impression d'être au bord d'un long gouffre, et de ressentir le vertige quand on pointe la tête pour regarder dedans.

— Comment vous savez ça ? » dit Hiki.

— L'homme avec elle nous a tout dit. Toutes les histoires de meurtres qu'elle avait commis, dont celle vous concernant.

— Non pas ça. Comment vous savez que c'était moi ? »

Maman et papa ne comprennent rien la discussion. Leur esprit est sonné. Mike Tyson a dû passer pour les frapper aux mentons.

« Le 26 janvier 2018, vous n'êtes pas venu en cours, vous avez arrêté de venir en cours, vous avez arrêté de sortir tout court. Je m'en doutais à votre physique en vous regardant hier, mais j'ai pu le confirmer par la suite. Il n'a pas fallu plus que la date, c'est-à-dire il y a environ trois ans, et le nom de l'université pour vous retrouver. »

« Efficace la police de nos jours.

— Faut bien. » Et merci Internet, pense-t-il.

Un éclair traverse l'esprit des parents. La connexion s'est faite : leur fils a passé trois ans dans sa chambre. Ils ne s'étaient pas rendu compte de la durée. Ça leur paraît long, trop long, mais c'est bien ça. Ils sont frustrés d'avoir pris autant de temps pour le réaliser. Mais ils connaissent enfin la cause.

Maman met une main sur sa bouche. Elle repense à toutes les fois où elle lui a crié dessus.

Papa ne se doutait de rien. Son visage dresse un sourire inversé, amer. Que foutait-il à l'autre bout du monde ?

Hiki pose ses mains sur leurs épaules. Mais papa et maman n'arrivent pas à le regarder. Le policier cache à nouveau son regard derrière sa casquette. Hiki enlève ses mains.

« Désolé. J'aurais dû en parler. »

Papa et maman se retournent vers lui. Ils n'en reviennent pas. En particulier papa qui a failli se rompre le cou dans le mouvement. Est-il en train de s'excuser ? Papa et maman serrent les poings et se mordent les joues de l'intérieur.

« Enfin... J'aurais dû en parler mais... je ne m'en souvenais plus jusqu'à hier. Peut-être que la première année ça traînait quelque part dans ma tête mais... »

« « Désolé » » disent-ils.

Mais ils regardent à l'opposé de leur fils. Leur poitrine les brûle. Une grosse boule pointue d'émotions remonte leur trachée. Le policier attentif se racle à nouveau la gorge.

« L'homme va passer vingt-trois jours en garde à vue, mais il n'aura pas d'autre sanction. La femme en revanche... C'est la peine de mort assurée. »

Maman et papa sursautent.

« Elle a commis plus de meurtres que certains vivent d'années dans une vie. Et si on y ajoute les cambriolages, les manipulations... Elle sera exécutée dès que possible. »

Hiki est rassurée, l'homme s'en sort bien. Il ne sait pas quoi penser de l'exécution. Mais cela ne lui semble pas bizarre. Il se rappelle l'avoir lu dans le regard de la femme : J'ai peur. Oui se dit-il. On a tous peur de mourir.

■■■


Quelques minutes se sont écoulées au cours desquelles le policier a gribouillé quelques notes et posé des questions de formalité avant de se lever pour partir. Hiki l'a raccompagné jusqu'à la porte, qu'il a ouverte, avant de dire au revoir au policier.

Les parents ont regardé toute la scène avec joie. Ils réalisent que la voix effacée de leur fils a disparu, tout comme ses cheveux de fille. C'est un homme qui se tient face à eux, un peu maigre, mais un homme malgré tout.

Hiki regarde le ciel, qui est aussi bleu azur aujourd'hui. Ce matin, il a mis fin à l'opération pied dehors. Il n'a pas fini toutes les missions mais il sent qu'il n'en a plus besoin. S'il le veut, il peut sortir. Rien n'est plus effrayant que ce qui est arrivé hier.

Néanmoins son cœur bat encore un peu. Il a encore besoin de temps pour reprendre possession du monde extérieur. Il sourit.

Papa et maman le regardent sourire et la boule pointue disparaît. Les larmes commencent à monter. Ils se lèvent de leur chaise et font quelques pas hésitants vers lui. Hiki se tient droit. Puis il se retourne vers ses parents.

« Je suis de retour. »

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