Hikikomori — Chapitre 14

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Hiki serre les poings et les dents à se les briser. La colère lui brûle le corps. « Pas deux fois... » Sa gorge est serrée mais des sons arrivent à en sortir. Il ne veut pas voir deux fois quelqu'un mourir à cause de lui.

Il se lève et se jette sur le dos de la femme. Il enroule son bras gauche autour de son cou, sa main droite serre le poignet tenant le couteau et ses jambes sont verrouillées autour de son ventre.

La femme est surprise, et la veine qui gonfle sur son front témoigne aussi de sa colère. « T'es pas une fille toi. » L'homme à terre sourit, cela provoque un nouveau rictus sur le visage de la femme. Hiki utilise toute sa force pour la restreindre mais il est faible. Ou plutôt, elle est forte. Hiki ressent de larges muscles dorsaux d'un dos qui a dû être nourri aux tractions. Elle est fine, mais Hiki en est sûr, sous ses vêtements qui épousent à merveille ses formes, il y a suffisamment de force pour soulever le cadavre d'un ivrogne d'un seul bras.

Elle utilise sa main libre pour frapper Hiki. Elle rigole. Toujours de son horrible sourire qui creuse son visage et révèle le démon qu'elle est. Mais elle n'arrive pas à voir sa cible, il y a trop de cheveux.

L'homme fait un pas vers la sortie mais les cris de Hiki l'arrêtent. Il se retourne et observe le combat. Hiki s'est jeté sur sa copine pour le sauver. Ça me concerne pas, se dit-il, mais son cœur lui remonte dans la gorge — il sait qu'il ment.

Son regard croise celui de Hiki. Une lumière verte émeraude luit au fond de sa rétine. Une lumière chaleureuse, mais elle ressemble aussi au dernier effort d'un homme prêt à mourir — l'ivrogne devait avoir le même. L'homme sait que s'il s'en va, que cette lumière va s'éteindre.

Son cœur saute un battement.

Il court vers sa copine en hurlant.

L'homme lui attrape les deux bras, mais celle-ci le frappe du front — son nez se tord dans un angle droit. Il hurle. Mais il ne lâche rien — l'ivrogne n'avait rien lâché non plus. Elle hurle aussi maintenant.

« « Les... LES MAINS EN L'AIR !!! » »

Les trois s'arrêtent de crier. Deux policiers pointent leur revolver New Nambu M60 vers eux. La fréquence des patrouilles a été décuplée à cause des cambriolages récents, et ce quartier ne fait pas exception. Les policiers se trouvaient dans la rue d'à côté quand les hurlements ont éclaté.

La femme cache le couteau comme un magicien avec une carte. Hiki la trouve stupidement habile. « AIDEZ-MOI MONSIEUR L'AGENT, CET HOMME VEUT BLESSER MA FILLE ! » Un mensonge éhonté. Mais l'improvisation fonctionne, les policiers tournent leur revolver vers l'homme. Ils ne comprennent rien à la situation, ils ne savent pas qui attaque qui. L'homme lâche les bras de la femme. Elle sourit.

Un des deux policiers (le plus attentif) remarque le sourire. Il repointe son arme vers la femme.

« Pourquoi tu vises la femme ?

— Elle a souri. »

— Elle a souri, tu dis ?

— Elle a quelque chose dans la main droite. »

Elle ne les entend pas. Ils parlent à voix basse mais elle sait que c'est un problème. Une arme est pointée vers elle et ce putain de policier comme elle le pense la regarde avec bien trop de méfiance : elle et sa main tenant le couteau. Elle fait un pas vers la maison. Elle compte s'enfermer à l'intérieur. Elle arrivera bien à trouver une échappatoire. Elle peut prendre Hiki en otage. « NE BOUGE PAS ! » Mais le policier l'arrête dans son élan. L'autre policier (le plus stupide) vise toujours l'homme.

« Regarde bien. L'homme a le nez brisé et la fille... » dit le policier attentif.

— Tu penses que l'homme n'a rien fait ?

— Je pense que c'est la femme le problème.

Hiki bloque toujours le poignet tenant le couteau. Ses yeux sont fixés dessus — la lueur émeraude n'a pas disparu — il n'a pas prêté un regard aux policiers. Le policier attentif remarque son regard.

« Elle voit quoi selon toi la fille ?

— Elle voit quoi, tu dis ?

— Ouais elle voit quoi ? Pourquoi elle fixe la main de la femme comme ça ? Son regard est trop intense.

— Tu t'imaginerais pas des trucs toi ?

— Arrête de viser l'homme.

— Quoi ?

— Arrête de viser l'homme je te dis. »

Elle n'aime pas ce policier. Celui qui vise son copain ne la gêne pas mais l'autre est trop attentif.

« PETITE ! » crie le policier attentif.

Hiki ne réagit pas. Pourquoi réagirait-il ? C'est un gars.

« ELLE EST TERRORISÉE MONSIEUR L'AG... » « JE T'AI RIEN DEMANDÉ TOI ! » Elle serre les dents. La situation lui échappe. Mais elle ne peut pas y faire grand-chose. Le policier attentif est prêt à tirer et la sale gosse sur son dos l'empêche de bouger comme elle le veut.

Hiki rapproche sa main du couteau. Son seul objectif est de désarmer la femme. Son esprit est vide. Il n'a toujours pas remarqué les policiers. Et son visage commence à gonfler. Malgré ses cheveux les coups de la femme ont fait mouche.

Le policier observe Hiki. Il est sûr que la femme est dangereuse, mais il n'a encore aucune preuve et son collègue a deux de QI.

« TOI SUR LE DOS ! » il retente sa chance.

Hiki entend une voix qui l'appelle au loin. Il tourne la tête et regarde le policier attentif. Qui sursaute. La lueur émeraude est devenue orange, sombre : un regard qui brave la mort. « OUI TOI SUR LE DOS. IL SE PASSE QUOI ICI ? » Hiki avale sa salive. Mais les cris, la rage, la peur ont crispé son cou. Déglutir lui donne l'impression d'avaler du métal en fusion.

Il ouvre la bouche mais aucun son ne sort. Il déglutit une seconde fois.

« El... elle... »

Il respire, et la lueur dans son regard s'éclaircit.

« Elle a un couteau ! »

Le visage de la femme se fronce. Son sourire avait disparu depuis longtemps. Mais à présent sa lèvre supérieure s'est relevée et ses paupières tremblent : de la rage pure. Elle se tourne face à la porte d'entrée, prête à débouler à l'intérieur. Elle se sert de Hiki comme bouclier dorsal — ils ne pourront pas tirer. Le policier stupide vise la femme. « NE TIRE PAS ! » Mais son collègue l'arrête.

Hiki défait ses accroches et se laisse tomber en arrière. Il protège sa tête de la chute. Allongé par terre son regard croise celui de la femme. L'abyme est toujours aussi profond mais cette fois Hiki arrive à y lire quelque chose : j'ai peur.

La ligne de tir est bonne.

Les deux policiers voient le couteau.

Ils tirent.

La femme reçoit une balle dans la main et une autre dans l'épaule. Elle est désarmée, les blessures sont non-létales, elle s'écroule sur le palier de la maison — c'est du bon travail pense le policier attentif.

L'homme tombe en arrière, il n'arrive pas à détourner son regard de sa copine. Ces deux flics l'ont abattu sans hésiter, vont-ils l'abattre aussi ? Le policier attentif court vers la femme, il la menotte et pose un pied sur son dos. « C'est pas un peu excessif ? » lui dit son collègue. « Tu penses ? C'est le genre de personne qui se relève plus fort après s'être pris une balle. Je ne veux pas laisser ça arriver. »

Hiki respire fort. Il a vu les balles voler au-dessus de lui, même s'il n'a pas entendu les coups de feu. Mais il s'en fiche. Maintenant le ciel est dégagé et il le voit. La lueur dans son regard prend une teinte bleu azur.

« Je... Je suis dehors. »

Mais avant de pouvoir en dire plus, il tombe dans les pommes. Le stress est retombé et son corps a dépassé ses limites depuis bien longtemps. La journée fut longue, il a le droit de se reposer.

Le policier attentif a vu le changement de couleur.

Il sourit.

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