Hikikomori — Chapitre 13

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La porte est ouverte.

Hiki pleure derrière le mur mais son regard ne dévie pas — il fixe son téléphone. Un nouveau zip de fermeture éclair le fait sursauter, suivi de bruits de pas. Les deux voleurs se sont relevés, et ils font face à l'entrée. Quelques pas et ils sont dans la maison.

« Ça marche comment le crochetage ?

— Putain mais je vais pas t'expliquer ça maintenant. On a déjà passé trop de temps ici, un passant ou un voisin va finir par nous voir. On prend chacun deux sacs, on rentre et on pille tout. On ressort dans cinq minutes. T'as pigé ?

— J'ai pigé... »

Ils avancent vers la porte.

« SOLDAAAT !!! »

Les voleurs se figent. Ils se mettent à respirer fort et leurs cœurs s'affolent. Personne n'est censé être dans la maison, d'où provient ce cri ? Ils écrasent les sacs sous leurs bras et regardent derrière eux, en direction du portail donnant sur la rue. Ils peuvent encore faire demi-tour.

« Où tu regardes ? » dit-elle.

— Je...

— Tu vas pas te défiler maintenant, hein ?!

— T'as... T'as aussi regardé la sortie.

— Ta gueule !

— Tu m'as dit qu'il y avait personne à l'intérieur, c'était quoi ça ?

— Qu'est-ce j'en sais putain. »

Hiki a toujours du mal à respirer mais il a réussi à les arrêter. Il avait enregistré le dialogue du général sur son téléphone, le message de maman lui a permis de s'en souvenir. Mais il se demande si cela va être assez pour les repousser.

La femme chope l'homme par le col. « Tu vas entrer, d'accord ? » L'homme secoue la tête. « Qu'est-ce que tu racontes ?! C'était pas ce qui était prévu ! » La femme pousse l'homme, qui tombe en arrière. Elle se retourne vers la porte.

« Tu vas pas entrer, hein ? » dit l'homme à terre. « Qu'est-ce tu vas faire s'il y a quelqu'un ? »

Elle hausse le menton et le regarde. « Tu me dégoûtes, j'aurais pas dû t'emmener. Tu m'as bassiner pour venir. Tu voulais voir si je disais ou pas des conneries. Eh bah t'es servi putain ! » Elle prend une respiration. « Les plans foirent toujours, on peut pas tout prévoir. Tu comprends ça ? »

L'homme hoche la tête mais son regard est fixé sur le portail. Le visage de la femme se contracte. « Tu veux tant partir que ça, hein ?! » Mais avant que l'homme puisse répondre, elle dégaine un couteau de sa poche.

L'homme s'adosse contre le mur et crie. Hiki sursaute, il n'a jamais entendu un homme pousser un cri aussi aigu. Va-t-elle le tuer ? À cause de lui ? Encore ?

Hiki n'arrive toujours pas à bouger, il est recroquevillé, étreignant ses genoux et des larmes coulent toujours... « Salut toi. » Arrêt cardiaque — le visage de la femme est collé au sien. Elle est penchée, seule sa tête dépasse du mur. Il la voit du coin de l'œil.

Elle arbore un large sourire hideux qui déforme son visage. Son regard est fou, noir, comme un abyme sans fond. Elle porte des cheveux ondulés, roux, à la hauteur du cou. Elle n'est pas japonaise. Mais malgré son visage de démon, Hiki la trouve séduisante. Une femme létale. « T'es toute mignonne toi, mais tu as vu mon visage. Je ne vais pas pouvoir laisser passer ça. »

Elle le prend pour une fille. Mais quel genre de voleuse n'utilise pas de cagoule ? Hiki a arrêté de trembler, il sent son corps flotter — des souvenirs lui reviennent. L'homme se relève, « A... Arrête tes conneries, tu vas pas la tuer ?

— Et qu'est-ce que tu veux que je fasse hein ?

— On peut l'attacher dans un coin, piller la maison et repartir. »

C'était l'idée naïve de Hiki.

— Elle a vu mon visage ducon. Tu sais bien ce que je fais aux gens qui voient mon visage.

— J'ai toujours cru que tu blaguais.

— Je devrais te buter toi aussi. »

Hiki se tient la tête — elle est folle... Elle ? La femme avance vers l'homme.

« Aaa... Arrête tes conneries, tu déconnes, hein, hey, je suis désolé, d'accord, pourquoi tu dis rien... » L'homme tombe à nouveau, il tend ses deux bras face à lui pour garder la femme éloignée mais il sent au fond de lui que c'est vain.

■■■


Cela fait quelques semaines qu'il sort avec cette femme, il n'a jamais eu de chance avec les femmes, et d'un coup, cette super nana l'a accosté. Elle racontait des histoires de meurtres qu'elle avait commis et d'appartements qu'elle a cambriolés mais il a tout mis sur le dos de la mythomanie. Il avait enfin une copine, il ne voulait rien gâcher. Mais une histoire en particulier l'a marqué, car c'est la seule où quelqu'un lui a échappé.

Elle lui a dit qu'en général elle tue les gars comme lui, isolé. Mais qu'elle avait maintenant besoin de vivre avec eux pour mieux les comprendre. Mais elle se grattait beaucoup la tête en le disant. Car elle mentait. Puis elle lui a expliqué qu'en réalité elle était terrifiée.

Il y a trois ans, elle en a eu marre des gars comme lui — ce genre de meurtres ne m'apportait plus aucune satisfaction disait-elle. Même si ce sont les moins risqués. Les gars sont faciles à séduire car ils n'ont jamais eu de copine — une manière détournée de dire puceaux. Et comme ils n'ont aussi aucun proche, il faut plusieurs semaines pour découvrir qu'ils sont morts. Ça le faisait rire, parce qu'il savait que c'était vrai. « Mais les blagues les plus drôles ont toujours un fond de vérité, » disait-il en se fendant la poire.

Alors elle a visé une université. Mais elle est allée trop vite. D'habitude elle prend du temps pour observer — comme l'année qu'elle a passée à épier la maison — mais après une semaine elle a choisi sa cible et son terrain de chasse. Un jeune qui sur le chemin du retour passait par de petites routes bordées de bars.

Elle a tapoté l'épaule du jeune.

« J'ai fait tomber mon téléphone sous le distributeur là-bas. Dis. Tu ne pourrais pas m'aider ? »

Elle avait pris une voix douce, le genre à faire jouir les puceaux au téléphone rose.

Le distributeur en question était en panne, donc pas de lumière, et positionné dans une ruelle entre deux bars — l'endroit parfait. C'est ce qu'elle pensait. Mais le jeune était réticent.

Il a regardé le distributeur au loin et son visage s'est décomposé.

Elle ne s'y attendait pas. Les hommes qu'elle a l'habitude de séduire n'ont pas besoin de plus. Elle leur adresse la parole, ils viennent — c'est aussi simple que ça. Alors elle a pris un ton de voix différent, plus demandeur, plus jeune-femme-maladroite-qui-a-besoin-d'aide et elle s'est dandinée un peu comme le font les filles gênées. Se rabaisser ainsi l'a dégoûté, mais elle était impatiente.

Le jeune s'est détendu, ses épaules sont redescendues et il a arrêté de serrer les lanières de son sac. C'est juste une femme maladroite. De quoi j'ai peur ? a-t-il dû se dire. Puisqu'il a proposé d'aller jeter un œil.

Bingo.

Elle n'a plus qu'à attendre qu'il se penche sous le distributeur pour lui couper la gorge. Ranger son corps dans le sac mortuaire caché derrière le distributeur, jeter le sac dans l'une des poubelles abandonnées au fond de la ruelle et éponger le sang. La police trouvera son cadavre dans les jours qui suivent. Mais si elle s'y prend bien, les détectives n'auront d'autre rien à se mettre sous la dent.

Le jeune s'est penché sous le distributeur. Elle a dégainé son couteau. Ils sont hors de vue, et à cette heure, il n'y a que des ivrognes. Elle s'y est prise un peu vite mais l'environnement n'est pas si mal... Quelqu'un a posé une main sur son épaule. « Hik ! Maaa... jeune dame ! Il faut... Hehe... Hik ! Il faut faire attention avec un objet comme ça... Hik ! C'est dangereux ! »

Le jeune s'est retourné et a vu le couteau. Cette fois son visage ne s'est pas décomposé. Il s'est tordu dans une représentation parfaite de la terreur et de la trahison.

La femme a sursauté, mais d'un revers du bras, elle a planté l'ivrogne dans le cou. Son sang a jailli sur le côté, loin d'elle. C'est ce qu'elle voulait. Elle n'aurait pas pu repartir si elle était tachée. Elle n'a pas pris de change cette fois.

Elle s'est retournée vers le jeune. Qui a hurlé et utilisé son sac comme bouclier. Le jeune a tenté de se relever sans y arriver à trois reprises, se dégueulassant au passage. Son cœur à elle battait fort. L'excitation était de retour, le plan a mal tourné mais elle a adoré. Elle a adoré ce monsieur qui se vidait de son sang et elle a adoré le regard du jeune face à elle.

Elle a voulu avancer vers le jeune mais quelque chose a retenu son pied. L'ivrogne n'était pas mort. Au contraire, le coup l'a réveillé et son instinct de parent lui a imploré de sauver le jeune avec le peu de temps qu'il lui reste à vivre.

« TU VAS CREVER TOI ?!!! »

Elle s'est énervée, et a fracassé le crâne de l'homme avec son talon. Mais l'homme n'a rien lâché.

Le jeune a saisi l'occasion et est passé à côté de la femme en courant, étranglant toujours son sac comme un bouclier. Il est tombé à la sortie de la ruelle, mais s'est aussitôt relevé et est reparti en courant.

Elle s'est tournée pour achever l'ivrogne mais il était déjà mort. Et pourtant sa poigne n'a jamais fléchi. Elle s'est libérée, a rangé le cadavre dans le sac mortuaire et l'a jeté dans la poubelle comme elle avait prévu de le faire pour le jeune.

« MERDE, MERDE, MEERRDE !!!! »

L'excitation s'est transformée en terreur. Il a vu son visage et il sait qu'elle a fini par achever cet homme. Aussi minutieuse qu'elle soit, si la police s'intéresse à elle, elle est morte. C'est pour ça qu'elle commettait des meurtres « invisibles » comme elle les appelait.

Après ça, elle a passé les trois dernières années à changer de noms et à vivre chez le genre d'hommes qu'elle avait l'habitude de tuer. Elle savait qu'elle serait à l'abri chez eux.

Elle vivait de ses cambriolages. Mais elle ne savait pas que le jeune en question avait passé trois ans enfermé dans la chambre de la maison qu'elle cambriole aujourd'hui. Hiki ne se souvenait plus de l'évènement, mais maintenant sa mémoire est lucide.

Hiki serre les poings.

C'est ELLE.

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