Hikikomori — Chapitre 12

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Hiki est assis à son bureau, il lit la mission.

« Demande à maman de te couper les cheveux. »

Il a revu papa, il a revu maman et les deux ont trouvé que ses cheveux étaient trop longs. Lui aussi en a marre. Rabattre ses cheveux derrière ses oreilles comme une pétasse l'exaspère.

Cette mission est la bienvenue. Mais maman ne rentre pas avant ce soir. Il va devoir s'occuper en attendant.

Il installe une bâche et une chaise dans sa chambre. Non, il ne prépare pas une salle de torture mais un mini-studio de coiffure. Il dépose des ciseaux, la tondeuse et une serviette sur son bureau. Il déteste les cheveux qui tombent dans le T-shirt.

Mais ça ne lui prend pas longtemps. Alors il descend à la cuisine se faire un steak. Se déplacer dans la maison est devenu facile —  il a repris possession des lieux — même si c'est plus simple quand il n'y a personne. Le sixième steak est le bon, il s'assoit, mais avant de pouvoir prendre une bouchée, quelqu'un frappe à la porte. Hiki frappe la table. Une mèche de cheveux lui tombe sur le nez. Il lui souffle dessus pour la remettre en place.

« C'est pas vrai... »

Il court allumer la hotte dans le plus grand silence, il avait encore oublié. Si c'est le facteur, il ne veut pas qu'il puisse sentir comme la dernière fois. Il fixe la porte et attend que la personne s'annonce. Qu'importe qui ça peut être, il repassera. La personne refrappe — fort. Hiki sursaute. Le gars devrait avoir compris qu'il n'y a personne. Pourquoi insiste-t-il ?

Hiki se plaque au mur le plus proche de la porte. S'il se retourne et laisse dépasser sa tête, il la voit à quelques pas. Il se trouve assez près pour entendre ce qui se passe derrière la porte tout en étant parfaitement hors de vue.

« Tu vois ? Pas besoin de stresser autant, arrête de faire ta chochotte. Je t'avais dit qu'il n'y avait personne à cette heure-ci. »

La voix d'une femme. Le genre à te la mettre à l'envers.

« Mais tu es sûr que personne ne va rentrer pendant qu'on est à l'intérieur ? »

La voix d'un homme. Le genre à se la faire mettre à l'envers.

« T'inquiète. Ça fait longtemps que je surveille cette maison. Le père n'est jamais là, il laisse toujours sa femme seule. Je me demande ce qu'il fait d'ailleurs. Mais bref, lorsque la femme est partie, la maison est vide. Ça va faire un an que j'observe cette maison et je n'ai vu qu'eux.

— Ils ont pas d'enfant à cet âge ?

— Qu'est-ce que j'en sais ? Il est peut-être en internat, mort ou pire. Imagine. Il n'est pas sorti de sa chambre depuis un an.

— C'est possible ça ?

— Qu'est-ce que j'en sais putain. Il y a une chambre à l'étage que je n'ai jamais pu voir. Le rideau n'a jamais été ouvert en un an. Le père est peut-être photographe ? Il a besoin d'une chambre noire pour développer ses photos, style old school, tu vois ?

— Délire.

Délire ? Ne redis plus jamais ça.

— Désolé. »

Hiki tremble.

— Bon on s'y met, t'as mis où le matos ?

— Juste ici, comme tu m'as dit.

— T'es au moins utile pour ça, putain. »

Les battements de son cœur le rendent sourd. Il est assis, adossé au mur et il tient ses genoux. Il n'a vu ce genre de scènes que dans les films. Il n'arrive pas à croire que c'est réel. Oui. Ce doit être un rêve. Il va se réveiller à tout instant ébloui par la lumière du soleil. Mais le zip d'une fermeture éclair le ramène au réel dans un sursaut.

Il étrangle ses genoux. Que va-t-il lui arriver ? Il s'imagine que les deux voleurs pourraient ne pas le voir — passer à côté de lui, piller sa maison puis repartir de la même manière — mais il sait que c'est naïf.

« Putain on voit rien aujourd'hui. Sors la lampe et éclaire la serrure. J'arrive à rien. »

La serrure s'agite dans un bruit métallique.

Ils vont rentrer.

Hiki hyperventile. Ses orteils se contractent et son champ de vision se réduit. Il voit noir sur les bords. Il entend l'écho de sa respiration et le bruit de la porte qui se fait crocheter. Il a peur de s'évanouir.

Qui sont ces deux personnes ?

Ils vont rentrer.

Pourquoi cette maison ?

Ils vont rentrer.

Pourquoi aujourd'hui ?

Ils vont rentrer.

Pourquoi moi ?

Ils vont rentrer.

Il laisse sortir des cris étouffés, il a du mal à respirer. Chaque inspiration semble dépourvue d'oxygène. Il se sent écrasé. Il n'entend plus rien, tout bruit a disparu sauf un sifflement continu.

CRICK

Et ce bruit-là. Sa respiration s'accélère, ses doigts commencent à traverser les fibres de son jean, son cœur va percer sa poitrine.

CRICK

« Putain éclaire mieux.

— Je fais comme je peux.

— Putain c'est quoi cette porte. Ça me prend deux secondes d'habitude.

— On peut pas juste la défoncer ?

— Non ducon. Tu crois que je me ferai chier à faire ça sinon ?

— Désolé, je voulais pas douter de toi.

— C'est ça, ta gueule. »

CRICK

Son esprit est blanc, mais il entend les deux voleurs parler. Leurs paroles sont claires alors que tout le reste baigne dans ce long sifflement continu. Tout son corps le fait souffrir. Son chignon se défait, ses cheveux lui masquent le visage, la porte s'ouvre.

Sa gorge se bloque, Hiki n'arrive plus à respirer, son instinct de survie l'interdit de faire le moindre mouvement. Mais il est juste en face de la porte, caché derrière le mur. Il ne faut pas plus de cinq pas pour se mettre à son niveau. Ses poumons le lancent, il a besoin d'air. Son téléphone vibre. Il le prend de ses mains tremblantes. Il a du mal à lire la notification, ses cheveux cachent l'écran. C'est maman.

« Je ** sens biz**re d'un c**p. Tout ** bien à la m**son ? » dit-elle.

Sa vision ressemble à un tunnel et son téléphone est tout au bout. Ce sont les seuls mots qu'il a réussi à décrypter. Mais il devine que maman est inquiète. L'instinct maternel est redoutable.

Hiki fixe son téléphone.

Le temps semble infini.

Il pourrait mourir ici et maman ne le saura qu'à son retour. De lourdes larmes coulent de ses yeux. Il imagine maman s'effondrer sur le palier criant d'horreur face à son corps sans vie. Il serre son téléphone, il se recroqueville encore plus, il veut disparaître. Il suffirait qu'il fasse du bruit, qu'il montre sa présence. Les deux voleurs ne sont pas encore dans la maison. Le crime n'est pas encore commis, ils peuvent toujours faire demi-tour. Mais ils ont besoin d'une raison.

Il fixe son téléphone. Il ne sait pas pourquoi mais il ne peut pas détourner son regard.

C'est ça.

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