Hikikomori — Chapitre 10

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Hiki, assis sur son éternel coussin, lit la mission.

« Rencontre maman. »

Il relit la phrase... trois fois. Puis il s'imagine ouvrir la porte et voir le visage surpris de maman. Son ventre se serre, maman est à la maison aujourd'hui, il n'a aucun moyen de fuir. Mais il se demande pourquoi il voudrait fuir. Son instinct. La honte. Il a peur de sa réaction. Que ce ne soit pas de la surprise mais de l'horreur. Et il a peur de ne pas pouvoir l'encaisser.

Mais il sait que changer demande de faire face à ses pires terreurs. De plonger dans l'inconfort. D'y aller comme il est et de faire de son mieux. Parfois la chose la plus courageuse à faire est juste... de se lancer.

Il va dans les toilettes à côté de son futon. Il se refait une beauté. Rien d'exceptionnel. Il s'assure qu'il n'a pas de poil qui dépasse du nez — c'est moyen pour une fille. Être présentable est important mais c'est aussi un moyen de retarder l'inévitable.

Mais il ne sera jamais prêt à cent pour cent. Il doit juste... se lancer.

Il attrape son téléphone pour envoyer un message à maman, mais il s'arrête. Il fixe son téléphone. Doit-il la prévenir comme ça ? Elle est dans la maison à l'étage inférieur, il peut utiliser sa voix pour l'appeler. Il balance son téléphone, sort de sa chambre puis se place au bord de l'escalier.

« Maman ! » sa voix déraille un peu.

« Oui ?! » elle sursaute. Quand papa n'est pas là, elle a pris l'habitude de se croire seule. Elle lisait un article sur sa tablette. La police cherche encore un père de famille disparu il y a trois ans... Le chef de police a doublé la fréquence des patrouilles à Tokyo à cause d'une récente suite de cambriolages... peut-on lire en entête.

Elle était prise dans sa lecture mais son fils l'appel, et son fils est plus important. Elle pose sa tablette et rejoint le bas des escaliers.

« On... Tu... Je... » Hiki n'arrive pas à parler.

— C'est l'heure de se voir, n'est-ce pas ?

— C'est l'heure... »

Il rentre dans sa chambre sans en dire plus, mais elle a compris. Elle a passé la nuit à penser au message. « Bientôt » était trop flou pour elle, maman voulait savoir quand et son vœu vient d'être exaucé. Mais elle est prise entre deux émotions : soulagée et stressée. Elle serre son pantalon des deux mains, prend une respiration puis entame la première marche.

Les marches sont longues, beaucoup trop hautes. Les murs prennent le même aspect gélatineux que son fils a vu en traversant le couloir pour la première fois. Son cœur frappe sa poitrine. Si papa était là... se dit-elle. Mais aujourd'hui elle est seule, et elle se rend compte que son fils n'est pas le seul à être terrifié.

Hiki tourne en rond dans sa chambre. Il se ronge les ongles. Maman prend un temps fou pour venir, il ne comprend pas. Veut-elle jouer avec ses nerfs ? Ne veut-elle pas le voir ? La nervosité se transforme en colère. Il fronce les sourcils, expire fort, saisit la poignée puis ouvre la porte.

« BON TU VI... »

Elle lui fait face.

Hiki est livide, la blancheur d'un cul. Et son cerveau a posé un congé sabbatique.

Néanmoins, sa main bouge toute seule et il commence à fermer la porte. Maman fait un long pas et bloque la porte du pied. Ils sont proches. Presque collés. Aucun des deux n'arrive à détourner le regard. La gêne commence à monter.

Les lèvres de Hiki sont cousues, son esprit est blanc et il n'arrive plus à penser. Maman bloque la porte. Il se sent coincé dans l'encadrement, à la croisée des deux mondes.

Maman lève enfin les yeux. Elle regarde ses cheveux. Elle se met à rire, peut-être un peu trop, elle est pliée en deux. Elle n'est pas du genre à rire autant mais il trouve ça mieux au silence.

« On va devoir couper ça, n'est-ce pas ? C'est une mission aussi ? »

Hiki hoche la tête, il n'est pas capable de plus.

Maman l'embrasse sur le front puis elle tourne les talons. « C'est assez pour aujourd'hui, n'est-ce pas ? » Pour elle aussi ça fait beaucoup. Et son fils est une statue. « Petit à petit. C'est comme ça que tu as avancé, n'est-ce pas ? » Elle agrippe son pantalon. « On va se revoir demain de toute façon, hein ? »

Puis sans attendre la réponse de son fils, elle s'en va. Hiki la regarde traverser le couloir hypnotisé par la queue de cheval qui se balance. Maman descend les escaliers et sort de son champ de vision. Son cerveau revient de son RTT.

Hiki ne sait que faire du bisou sur le front. Il a senti du plaisir et du dégoût : ses émotions sont aussi entre deux mondes. « Ce doit être comme ça... que l'on se sent... quand on voyage... » Ses jambes fléchissent, il tombe à genoux. Fixer maman dans les yeux l'a vidé de son énergie. Il a vu son propre reflet dans son regard. Mais il n'est pas sûr de ce qu'il a vu.

Il s'assoit mais sa main est toujours sur la poignée. Elle a fusionné avec le métal.

Il tourne la tête et regarde l'ordi.

Il arrache sa main de la poignée à l'aide de son bras libre puis il rampe jusqu'au bureau. Ça lui semble plus dur qu'à l'époque où il y avait des ordures. Puis dans un ultime effort, il lève son bras, caresse le pavé tactile et colore la case en vert.

Une petite musique se lance, comme pour fêter la réussite d'une grande mission dans un jeu. Mais son cou le lâche et son visage s'écrase dans le coussin. Il dort... dans une position loin d'être héroïque.

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Hiki se réveille, il est dans son futon. Papa ou maman a dû le déplacer. Laisser la porte ouverte a au moins cet avantage, ils peuvent veiller sur lui maintenant qu'ils peuvent le voir.

Une notification apparaît sur son ordi — la mission du jour. Il s'arrache de son futon, il doit bien peser deux cents kilos. Va-t-il briser le plancher comme dans un cartoon burlesque ? Il déambule jusqu'au bureau et il s'écroule sur son coussin. Il regarde l'écran mais il voit flou, il s'essuie les yeux, il n'a pas encore fait ses habitudes quotidiennes.

Il lit, « Tu as revu maman, *sniff* félicitations ! C'est un grand pas ! Tu n'avais vu personne depuis deux ans ! Premier contact d'une espèce vivante en terre inconnue ! »

Hiki sourit. C'est vrai.

« Ne t'arrête pas maintenant. Tu es sur ta lancée, va jusqu'au bout, d'accord ? Papa est souvent en voyage mais tu vas devoir faire avec, voici la mission du jour. Rencontre papa, ou va revoir maman. »

« AHEM ! »

Hiki sursaute. Il n'a pas fait attention, mais la porte est restée ouverte.

Papa est derrière lui. Le torse bombé et les bras croisés. Il attend son tour.

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