Hikikomori — Chapitre 9

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Après avoir recramé quelques steaks, Hiki a enfin pu manger. Le steak n'était pas aussi juteux que celui de papa mais assez bon pour faire office de noble récompense.

Hiki est flingué. Allongé dans son futon, il repense à son échange avec le facteur-qui-parle-trop en fixant le plafond. Puis sa vue se trouble et il baille à s'en disloquer la mâchoire. Mais avant de s'endormir il visualise le colis toujours dehors. Il rigole. Ouvrir la porte le terrifie, mais c'est aussi ce qu'il espère le plus pouvoir faire.

« "Ce que tu cherches se trouve toujours derrière ce qui t'effraie le plus," n'est-ce pas... »

Sa tête vire sur le côté et il sombre dans un profond sommeil.

► Jour 18 ◄


Hiki est dans son futon, le corps crispé. Il repousse la couette de ses pieds et étrangle son coussin qu'il a plaqué contre son ventre de toutes ses forces.

Il hurle dans son sommeil.

Dans son rêve, il court en étreignant son sac devant lui. Ses poumons le lancent et du mucus lui remplit le nez et la gorge. Il traverse des kilomètres. Mais il ne s'arrête pas malgré ses genoux qui crient. Son pantalon est sale, son sac aussi, comme s'il s'était traîné par terre. Il n'a pas regardé une seule fois derrière lui dans sa course. Mais elle ne devrait pas être derrière lui... Elle ?

Hiki se réveille en hurlant.

Assis droit dans son lit, étranglant son oreiller, il voit les lettres E-L-L-E imprimées sur le mur en face de lui. Après quelques instants, elles s'estompent et emportent en même temps le souvenir du rêve. Mais la terreur reste avec lui.

Il sort du futon essoufflé et le front humide de sueur. Il n'a pas réussi à lâcher son oreiller. Sa respiration est lourde. Il pourrait peser le poids de ses respirations sur une balance. Ses épaules tremblent. Il ne s'est jamais senti aussi mal. Vomir n'était pas si terrible à côté.

Comment as-tu fini ainsi ? La question est de retour. Hiki secoue la tête.

Une notification apparaît sur son ordi. Il traîne les pieds jusqu'à son bureau et se laisse tomber sur son coussin.

« La mission steak s'est bien passée ? Je suis sûr que tu t'es régalé ! Les Cup Noodles à force... beurk. Tu commences à reprendre tes marques dans la maison, c'est une bonne chose. Les missions qui vont suivre seront les plus dures de toutes et tu le sais. Mais tu sais aussi que tu as progressé et que tu peux les affronter. Tu n'es plus le même qu'il y a dix-huit jours, réalise-le. »

Hiki est avachi sur son coussin. Ses yeux sont livides, il lit le texte sans le comprendre. Il étrangle toujours son oreiller et il se demande si les tremblements vont s'arrêter.

« Mais on continue les missions progressives. "Une étape après l'autre, sans jamais reculer," n'est-ce pas ? Pour la mission du jour, enfile tes chaussures ! »

Le ton de la mission contraste trop avec son état. La mission n'a rien de dur mais c'était sans compter le rêve qui l'a transformé en étrangleur d'oreiller pour les trois prochaines heures.

Il doit en parler avec ses parents. Il veut en parler à ses parents. Mais il ne sait toujours pas qui elle est.

► Jour 19 ◄


Le même rêve.

Et son oreiller en a payé le prix.

Hiki a passé quatre heures sous la couette à attendre que les tremblements s'arrêtent. Le moindre bruit, le moindre passant qui discute lui donnait la nausée. À plusieurs reprises, il a regardé la fenêtre en passant un œil à travers la couette. Il s'est dit qu'il devrait remettre le scotch. Les rideaux ouverts, elle peut le voir...

Puis, d'une force inexplicable, il s'est arraché de son futon pour aller lire la mission. En étranglant toujours son oreiller.

« Fais-le tour de la maison, va dans toutes les pièces. Plus rien ne doit t'être inconnu. Tu veux enfin être chez toi, et remets tes chaussures en passant. »

► Jour 20 ◄

Les mauvaises nuits se reflètent sur son visage. Ses cernes sont énormes. On dirait un de ces employés japonais qui travaillent de nombreuses heures supp' passées vingt heures sans être payé. Se laver le visage n'y fera rien, les cernes ne partent pas comme le mascara. Il trouve cela dommage.

Mais il n'a pas refait le rêve cette nuit — il n'a pas rêvé du tout.

Hiki entend du bruit en bas, ses parents sont là. Il sourit, ou plutôt, il essaye. Seule la partie gauche de son visage se relève dans une expression commune à ceux qui se moquent des autres, ou qui se moque d'eux-mêmes.

Il se laisse tomber sur son coussin. La mission apparaît, « Timing parfait... » Il se réjouit comme il le peut, elle n'est pas près de quitter son esprit et son corps fatigué. Il lit la mission, « Laisse tes parents rentrer dans ta chambre. » Un frisson lui parcourt le corps. Il est sorti, c'est vrai, mais il ne les a jamais laissés rentrer.

Mais il sait que sans ça, il ne va jamais pouvoir avancer. Il continue de lire la mission. « Tu n'as pas besoin de les rencontrer. Ça va venir tu t'en doutes. Tu veux juste t'habituer à les voir rentrer dans ta chambre. »

Hiki se gratte la tête. Comment peut-il les voir sans les rencontrer ?

« Tu as pris ta douche l'autre jour, n'est-ce pas ? La salle de bains et ta chambre sont des deux côtés de l'escalier. Invite tes parents à rentrer dans ta chambre et observe-les depuis la salle de bains. OUI, c'est creepy. Mais tu es sûr de les voir et pas eux. Préviens-les quand même que tu ne seras pas là. »

La mission lui plaît, elle est plus technique — dès que ça inclut d'autres personnes c'est plus technique. Mais il va pouvoir penser à autres choses et revoir ses parents : la première étape avant de les rencontrer à nouveau.

Il prend une feuille, et écrit un message dessus, qu'il pose ensuite sur son bureau. Il entrouvre sa porte et s'assure que ses parents sont en bas. Papa est toujours aussi bruyant et maman toujours aussi silencieuse en sa présence. Hiki imagine la scène. Papa est debout au milieu du salon, les mains sur les hanches, à raconter avec vigueur les moments forts de son dernier voyage d'entreprise. Maman, elle, est assise la tête dans les mains et le regarde comme une lycéenne qui dévorerait son crush du regard. Cette scène plaît à Hiki.

Il sort de sa chambre, laisse la porte entrouverte et avance jusqu'à la salle de bains sur la pointe des pieds. Il envoie un message à ses parents tout en gardant un œil sur l'escalier. Il se prend pour un soldat en infiltration.

Ses parents arrêtent de parler. Puis il les entend monter les escaliers.

Il revoit papa.

Qui a clairement fait des détours par la salle de muscu. Il pourrait saisir son fils et le briser sur son genou comme une allumette. Il a aussi changé de lunettes. Hiki trouve les nouvelles bien mieux. Ses horribles lunettes sans monture ne lui allaient pas.

Il revoit maman.

Toujours coiffée d'une queue de cheval. Petite mais toujours aussi expressive. Et aujourd'hui l'inquiétude se lit sur son visage mais elle joue toujours les durs quand papa n'est pas loin.

Hiki les suit du regard, ils avancent jusqu'à sa chambre. Mais avant de rentrer ils échangent un regard. Ils savent qu'il ne se trouve pas derrière la porte, d'ailleurs ils se demandent où ils se cachent. Mais ce n'est pas pour ça qu'ils se sont arrêtés. Cela va faire deux ans qu'ils ne sont pas rentrés dans cette pièce. C'est leur terrain inconnu à eux. Mais ils sont à deux, entrer est plus facile.

Ils ouvrent la porte et Hiki grave leurs visages dans son esprit. Il veut que ce genre de scènes redeviennent normales. Ses parents devraient pouvoir rentrer dans sa chambre sans se tenir la main.

Ses parents trouvent le mot.

On va se voir bientôt.

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