Hikikomori — Chapitre 4

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La mission du jour six est : « Habille-toi tous les jours comme pour partir quelque part. »

Avec ce qu'il a vécu la veille, cette mission ressemble à une blague. Mais il se rappelle de la logique : petit à petit.

Et puis rester en jogging ne va pas l'inciter à sortir. Il veut être présentable. Il veut surtout refourguer Hiki-sans-abris au passé et retrouver un semblant de style. Qui sait ? Ça pourrait surprendre maman. Cette pensée lui plaît alors il court éventrer son armoire puis enfile un blue-jean et un T-shirt propre.

Il garde sa meilleure tenue — l'uniforme de son université — pour le jour J. Il adore cet uniforme, d'une belle couleur bleu azur, mais il ne l'a ni porté ni regardé depuis trois ans. Il est rangé et plié dans une mallette verrouillée au fond du placard. Il trouve ça un peu excessif. Mais il est sûr d'avoir eu ses raisons.

Puis il ajoute un rappel sur son téléphone. Il ne veut pas oublier de s'habiller par habitude.

► Jour 7 ◄


Il est habillé et coiffé d'un chignon — il ressemble à une fille.

Il est fatigué, mais il est assis sur son coussin prêt à recevoir sa mission. Il lit, « Pose ta main sur la poignée. » Hiki frappe son bureau. « Oy ! C'est pas un peu rapide ça ?! Qu'est-ce que j'ai foutu pendant six mois... »

Une nouvelle notification apparaît. « Pose juste ta main sur la poignée, pas plus. Tu vas le faire plusieurs fois dans les prochains jours puis tu vas jouer avec. Commence par rendre familier l'action d'ouvrir une porte, mais ne le fais pas. »

Une mission simple, mais les journées passent vite et bientôt il devra sortir de sa chambre.

« Petit à petit... Si tu veux réussir n'abandonne jamais...Célèbre tes victoires... » Il récite les conseils comme une prière, se lève puis pose sa main sur la poignée. Il sait que la porte est verrouillée alors il l'actionne. Un frisson parcourt son corps. Il retire sa main de la poignée et regarde sa main avec effroi. C'est comme si la poignée l'avait mordue.

Ce petit entraînement s'ajoute à la mission précédente : il va actionner la poignée et s'habiller tous les jours. Il ajoute un second rappel dans son téléphone.

► Jour 9 ◄

Hiki sursaute. Il dormait bien, trop bien — quelque chose cloche. Il s'assoit sur son futon, désorienté. Mais ce n'est plus à cause de la chambre et de l'absence de ses voisins les ordures. Il attrape son téléphone. Quatre notifications. Deux fois « Pense à t'habiller » et deux fois « Pense à actionner la poignée. »

« Oh merde, merde, merde... »

Il ne s'est pas levé hier. Il a raté le huitième jour. Son réveil a bien sonné mais il l'a éteint et il est reparti dormir... vingt-quatre heures de plus. Il laisse tomber sa tête sur son oreiller. Il enfonce son bras dans son visage, il sent les larmes monter. Il a échoué.

(Fin.)


Une notification retentit. C'est son ordi. Il baisse son bras et le regarde au loin, les yeux noyés de larmes. Il pense que c'est important. Il a dû penser à ce cas de figure, mais il n'en a rien à foutre. Il détourne le regard et se remet à pleurer.

« Je me suis bien débrouillé... Je peux m'arrêter là... Oui... Je... Elle... »

Une alarme se déclenche. Un bruit assez strident pour briser du verre et s'il ne fait rien ses tympans vont subir le même sort. Il se bouche les oreilles et court arrêter le bruit.

Un général des Forces japonaises d'autodéfense pixelisé apparaît sur l'écran. Il a une veine gonflée sur le haut du front et les « froncils » comme Hiki aime les appeler —  les sourcils froncés. Ça suffit pour le faire rire, mais le général ne rigole pas.

« SOLDAAAT !!! VOUS AVEZ UNE MISSION !!! ALLEZ-VOUS TRAHIR VOTRE PAYS ?!!! »

Le cri du général le fait tomber sur son coussin.

« HIER VOUS N'AVEZ PAS COLORÉ LA CASE EN VERT !!! JE SAIS QUE CE N'EST PAS UN OUBLI !!! »

Hiki essuie ses larmes, redresse le dos et fixe le général.

« VOUS SAVEZ CE QUE L'ON FAIT AU DÉSERTEUR, JE LE SAIS !!! MAIS JE VAIS VOUS LAISSER UNE SECONDE CHANCE !!! »

Il se dit que c'est un général bien magnanime. Mais il se rappelle que c'est lui qui l'a créé. Il sait que le général est là pour l'aider à remonter en selle car personne d'autre n'est là pour lui crier dessus. Il sourit. Mais la caméra de son Lenovo le détecte.

« VOUS RIGOLEZ SOLDAAAT ?!! »

Ça le surprend. Son lui du passé a intégré la reconnaissance faciale et le général n'apprécie pas le sourire qu'il a en coin. Hiki se claque les joues et fait disparaître son rictus.

« BIEN !!! VOUS AVEZ DEUX CHOIX !!! VOUS RATTRAPEZ VOTRE RETARD ET FAÎTES DEUX MISSIONS AUJOURD'HUI !!! OU REPARTEZ DE CETTE JOURNÉE ET RATEZ VOTRE DEADLINE !!! »

Hiki considère les deux options, mais la caméra le détecte aussi.

« VOUS AVEZ CONSIDÉRÉ LA SECONDE OPTION, N'EST-CE PAS SOLDAAAT !!! IMPARDONNAAABLE !!! ARRÊTEZ DE TOURNER EN ROND ET RATTRAPEZ VOTRE RETARD !!! »

Hiki pose un pied à terre pour se relever, mais la caméra le détecte aussi.

« OÙ ALLEZ-VOUS SOLDAAAT !!! AVEZ-VOUS OUBLIÉ VOS MANIÈRES !!! RÉPÉTEZ APRÈS MOI !!! JE VAIS ACCOMPLIR MA MISSION !!! »

Hiki se rassoit.

« Je vais accomplir ma mission...

— JE N'ENTENDS RIEN SOLDAAAT !!!

— Je VAIS accomplir ma mission...

— PLUS FORT SOLDAAAT !!!

— JE VAIS ACCOMPLIR MA MISSION !

— JE PRÉFÈRE !!! ROMPEZ !!! »

L'ambiance militaire a fonctionné. Les cris du général ont séché ses larmes et il serait presque capable de faire une pompe pour montrer sa vigueur. Néanmoins, il trouve ridicule de s'habiller deux fois. Mais il le fait sans broncher.

Il lui reste la poignée à actionner deux fois mais il préfère profiter de l'adrénaline pour enchaîner les deux missions. Il se rassoit sur son coussin et lit les missions. Le général a disparu, il lui manque déjà. « Déverrouille la porte puis joue avec la poignée » et « Passe ta tête par la fenêtre. »

Et avant de pouvoir y penser, Hiki se lève, ouvre la fenêtre en grand et y passe la tête. Il est dehors. Mais une pensée lui foudroie l'esprit.

Elle va me voir.

Il tombe en arrière comme projeté par le spectre de la terreur elle-même. Mais il ignore toujours qui elle est. Alors il secoue la tête puis se relève. Il se rapproche de la fenêtre et regarde dehors. En dehors de quelques passants, il n'y a personne alors il repasse la tête par la fenêtre. « Je suis dehors... » Le ciel est toujours bleu et l'air est frais.

À deux reprises il retire sa tête et se cache derrière le mur alors que deux passants tournent leur regard dans sa direction. Mais il la ressort bien assez vite pour continuer de regarder le ciel.

Passer sa tête par la fenêtre est aussi une grande étape. Chaque étape est importante, il le réalise. Elles sont simples, parfois ridicules mais essentielles pour avancer. Ce n'est que sa tête mais elle est dehors. Il inspire un grand coup puis se retourne vers la porte. Après trois grandes enjambées militaires, il déverrouille la porte.

« Je... Je peux ouvrir ? »

Hiki se fige. Maman est de l'autre côté.

Elle ne s'attendait pas à ce qu'il déverrouille la porte. Hiki ne s'attendait pas à ce qu'elle soit de l'autre côté.

Elle a entendu l'alarme et a couru à la chambre de son fils. Puis elle a entendu un monsieur énervé, portant sûrement les froncils, comme son fils adore les appeler, crier « SOLDAAAT !!! » beaucoup trop de fois. Elle a ensuite entendu la fenêtre de son fils s'ouvrir et elle a eu peur qu'il saute. Mais son fils vient de déverrouiller la porte, elle est confuse. Elle pose sa main sur la poignée.

« PAS MAINTENANT ! » crie Hiki.

Maman sursaute.

« « Désolé... » » Les deux s'excusent.

L'adrénaline l'a aidé à crier mais il ne le voulait pas. Mais il sait que c'est trop tôt. Et il est épuisé. Mais il tient malgré tout la poignée de toutes ses forces. Les deux bras tendus et le pied en appui contre le mur. Même par accident, il ne veut pas qu'elle puisse ouvrir.

« Maman... C'est pour bientôt... Attends-moi...

— Je... Je t'attends. »

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