Il ne suffit pas d’être une légende, ni hors du commun lorsque l’on veut participer au débarquement. Paul n’est ni l’un, ni l’autre, et pourtant il aperçoit au loin entre deux casques l’étendue de plage où il doit poser le pied dans moins de quinze minutes.

 L’odeur de vomis lui envahit le nez depuis quelques heures. Heureusement que le soleil s’est levé, le temps pour lui de voir le ciel gris, les nuages bas et la houle violente. Il en est presque apaisé. Balloté contre quelques de ses camarades, Paul observe son nouveau monde. Ses yeux bleus rasent absolument tout ce qui passe contre le fond de sa rétine pour s’y faire. Heureusement que le soleil s’est levé.

 Sous un uniforme qui le rend tellement plus vieux, Paul tremblote au rythme de son cœur. Paul n’est ni une légende ni hors du commun. Il porte dans son corps absolument tout ce qu’il lui faut pour fonctionner correctement, et c’est ce détail qui l’a envoyé ici, dans ce bateau dont il a oublié le nom, entre tous ces autres hommes pas plus vieux que lui. Rien n’est vieux. Son uniforme est neuf, le bateau est neuf. Même le rasoir planqué dans sa poche est neuf. Il porte dans son corps son cœur placardé de côtes jaunâtres et dont il ne pense jamais. Personne ne pense à ses côtes. Personne ne pense à son cœur. Personne ne se rend compte qu’à chaque instant, notre circulation sanguine se fait violente, comme la houle contre le rafiot. Personne ne pense à Paul, qui va en toute conscience se tuer sur une plage à plus de cinq mille kilomètres de chez lui.

 Lui-même n’y pense pas. Sa terreur ne semble pas couler encore dans ses veines.