Chapitre 8

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Le silence s'était installé dans le groupe. Les trois amis de Lucy accusèrent le coup des mots du sergent Johnson, et les parents de la disparue affichaient un air tout aussi confus que les jeunes adultes. Personne ne remit en question les paroles d'Eli quand il affirma avoir laissé des cairns tout au long du chemin, et encore moins après l'intervention sanguine de Prince face aux doutes qu'avait exprimé le vieux ranger. Alors qu’elle pouvait être la signification de la disparition des monticules de pierre ? Quelqu'un les aurait-il retirés ? Dans quel but ? Quelque chose ne tournait définitivement pas rond. Tout ce qui touchait aux disparitions dans le désert était voilé d'un épais mystère qui semblait s'épaissir de jour en jour, si bien que Johnson ne savait plus comment avancer pour trouver un semblant de réponse. Cela faisait deux longues années qu'il travaillait nuit et jour sur ce dossier mais rien n'y fit, il n'avait pas trouvé la moindre piste. Ou, pour être plus précis, dès qu'il en trouvait une, un mur se dressait devant lui, l'empêchant d'approfondir son enquête. C'est pourquoi à l'heure actuelle il n'avait rien de plus que de la culpabilité et quelques pages de journaux déchirées à présenter aux proches d'une énième victime, qu'il n'avait, une fois de plus, pas su protéger.

« Je suis désolé, s'excusa le sergent Johnson auprès des parents de Lucy, j'aurais voulu vous en apprendre plus, vous dire où se trouve votre fille, mais la vérité est que je n'ai rien trouvé de nouveau ces dernières années. Je sais que ça n'excuse rien mais de ma vie je n'ai jamais fait face à pareille enquête, c'est comme si les preuves disparaissaient à l'instant où je les trouvais...
- Les preuves.. disparaissent ? »

Dans l'ambiance morne de la pièce où les proches de Lucy tenaient difficilement le choc, seul le visage d'Eli se sertit d'une expression étonnée. Une idée l'avait frappé de plein fouet en entendant les mots larmoyants du sergent. Une théorie, un peu folle, mais qui expliquerait bien des choses quant à la non-avancée de l'enquête alors qu'elle durait depuis si longtemps. Avait-il raison de se méfier ? Il avait besoin de précisions pour en être sûr, besoin de quelques autres réponses.

« Sergent, commença Eli, pouvez-vous nous expliquer ce qu'il se passe quand vous trouvez une preuve ? Que voulez-vous dire par "disparaître" ? »

Johnson, quelque peu surpris par la question du jeune homme, prit le temps de réfléchir. Ce garçon avait une idée derrière la tête, le ranger en était persuadé. Mais après tout cela ne coûtait rien d'essayer, peut-être que ce dont il manquait au vieux militaire pour avancer dans son enquête était justement un avis extérieur. Alors il prit le temps de répondre à la question qui lui avait été posée, espérant que cela pourrait être utile en un sens quelconque.

« Eh bien.. Il arrive que les pistes disparaissent avant même que nous ne puissions les trouver, comme ce fut le cas de vos cairns. Parfois nos preuves deviennent des pièces à conviction dans les affaires d'autres services, et nous n'y avons donc plus accès, et d'autres fois ces preuves ne mènent subitement plus nulle part, comme si un élément crucial avait été effacé. »

Eli hocha la tête, attentif. Les mots du sergent renforcèrent les soupçons que le jeune homme portait, et s'il s'avérait qu'il avait réellement tapé dans le mille, alors les choses étaient plutôt mal parties pour eux. Si et seulement si le jeune homme avait bel et bien raison, la simple affaire de disparition pouvait en fait être bien plus importante et complexe que ce qu'il semblait, et elle demanderait bien plus de travail qu'initialement. Alors, dans le but de confirmer ses suspicions, Eli demanda au sergent.

« Sergent, aviez-vous discuté de vos pistes avec des collègues, ou bien peut-être une équipe ?
- Oui en effet, je commandais une petite équipe qui se focalisait sur les recherches, alors nous discutions souvent des preuves. Pourquoi cette question ?
- Je commence à me demander... ne serait-il pas possible que quelqu'un dans votre équipe tente d'interférer avec l'enquête ? La disparition des preuves, les pistes qui ne mènent plus à rien... tout cela me semble trop gros pour être dû au hasard, et les seules personnes qui pourraient être au courant de l'existence de vos recherches et donc les trafiquer sont celles qui composaient votre équipe. »

Le visage de Johnson se décomposa en quelques secondes, peiné par ce qu'il venait d'entendre. Il aurait voulu se mettre en colère et nier en bloc, réfuter le fait que ses précieux collègues aient pu faire une chose pareille, mais malheureusement, les arguments d'Eli tenaient la route. Il était vrai que la façon dont toutes leurs pistes disparaissaient subitement était des plus étranges, et que si un membre de son équipe y était bel et bien pour quelque chose, le mystère entourant les preuves s'éclaircirait. Oui, en tant qu'enquêteur, le sergent aurait lui-même dû penser à cette possibilité. Même sans accuser quelqu'un, il aurait dû garder un œil sur son équipe, juste pour être sûr. Mais comment le bon sergent aurait-il pu oser mettre en doute un collègue ? Qui plus est un membre de son équipe, qu'il avait personnellement choisi et avec qui il s'entendait tout particulièrement bien. Il considérait tous ses coéquipiers comme de précieux amis sur qui il pouvait compter et en qui il avait pleinement confiance, c'est pourquoi jamais il ne les avait mis en doute et n'avait pas la moindre envie de le faire. Mais à présent, Johnson n'était plus sûr de rien. Cette révélation lui déchirait le cœur, il devait enquêter sur ses propres amis, qui se retrouvaient principaux suspects de cette étrange affaire. Et s'il s'avérait que l'un d'eux était réellement responsable, se rendant complice du désert en brouillant les pistes, comment le sergent devrait-il réagir ? Serait-il capable d'arrêter froidement un ami, tel un criminel comme un autre ? Une seule chose était sûre, si l'un d'eux était réellement coupable, alors Johnson le trouverait. Il le trouverait, et lui ferait tout expliquer; le pourquoi de ses actions et surtout, ce qu'il savait à propos des disparitions. Il se le jurait.

——————————

« Shhht. Ne dis rien ou ils vont nous repérer. »

Prisonnière des bras d'un inconnu, Lucy était figée par la peur et l'incompréhension. Elle s'était faite embarquée dans un recoin plus sombre de la ville, où elle était maintenant assise contre un mur, l'étranger face à elle. Elle eut du mal à comprendre la situation. Cet homme était-il venu l'aider ? Mais pourquoi ? Qui était-il ? Et que se passait-il ici ? Trop de questions fusèrent dans l'esprit de la jeune femme qui ne put faire autrement qu'attendre sagement comme on le lui avait demandé. Elle entendit des hommes courir et jurer de tous les côtés, certains lui semblaient tellement proche qu'elle sursauta au moindre bruit. La rousse ne savait peut-être pas ce que l'inconnu qui l'avait amenée ici attendait d'elle, mais en entendant certains mots du groupe à sa recherche, elle se dit qu'il valait sûrement mieux qu'elle reste avec lui plutôt que se faire retrouver. De longues minutes passèrent ainsi, Lucy retenant sa respiration à chaque fois qu'un des hommes passait un peu trop proche d'elle. Finalement, la jeune femme entendit les pas autour d'elle s'éloigner puis disparaître, jusqu'à ce que même les voix ne soient plus qu'un lointain écho. Le groupe était probablement parti continuer ses recherches un peu plus loin, car il était malheureusement peu probable qu'il n'abandonne si vite. Malgré tout, les battements du cœur de Lucy reprirent un rythme normal tandis qu'elle soupira de soulagement. Elle savait qu'elle devait rester prudente, cependant la jeune femme était tout de même soulagée que le danger ne soit plus imminent. Mais ne l'était-il pas ? Un élan de lucidité frappa la rousse. Elle était seule avec un inconnu tout aussi étrange que ceux à sa recherche, et bien que ce dernier ne l'eut aidée, rien ne garantissait qu'il l'avait fait avec de bonnes intentions. Alors rapidement Lucy se débattu afin de sortir de son emprise, que l'homme relâcha à la seconde où la rousse commença à s'agiter. Elle recula de trois bons mètres avant de s'arrêter, attentive au moindre détail. En vue des constructions qui se tenaient toujours plus ou moins debout et de l'obscurité environnante, la jeune femme se dit qu'elle se trouvait probablement au cœur de la ville, ou du moins qu'elle en était proche. Elle devait donc redoubler de prudence, car avec les événements passés, elle ne savait pas combien de personnes pouvaient vivre ici, et si elles étaient toutes hostiles ou non. L'attention de la rousse se reporta avec prudence sur l'homme face à elle, qui n'avait pas bougé d'un pouce depuis qu'elle s'était éloignée. C'était un homme de taille moyenne, cheveux châtains et visage rond, physiquement rien qui ne sorte de l'ordinaire, il était plutôt banal en fait. Ce qui surprit Lucy en revanche fut le nombre de plaies qui semblaient parcourir son corps et son visage, comme s'il s'était battu des jours durant. Aucune n'avait l'air particulièrement grave et elles partiraient probablement avec le temps, mais le fait que l'inconnu en ait autant lui parut assez étrange. Lucy fronça les sourcils, ne pouvant s'empêcher d'être de plus en plus méfiante.

« Calme toi, je ne te veux aucun mal. »

Dans le but d'illustrer ses propos, l'étranger leva les mains comme pour se rendre en avançant d'un pas vers Lucy, mais cette dernière recula aussitôt, toujours dubitative. Face à cette réaction il abandonna l'idée de se rapprocher et laissa retomber ses bras contre son corps avant de continuer à parler.

« Je m'appelle Chad. Je suis arrivé ici comme toi, mais il y a huit mois. »

Lucy accusa le coup des paroles de l'homme face à elle. Huit mois ? Il était porté disparu depuis huit mois ? Une vague de panique monta en la jeune femme, qui commença à s'affoler. Allait-elle devoir rester si longtemps elle aussi ? Ne la retrouverait donc-t-elle jamais ? Ses parents, ses amis... devait-elle leur dire adieu ? Non, elle refusait d'y croire. Lucy avait confiance en ses proches, elle savait qu'ils donneraient leur maximum pour la retrouver et qu'ils n'abandonneraient pas. Elle devait être forte pour eux, pour que leurs efforts ne soient pas vains. Alors la jeune femme se jura de ne plus se laisser ébranler par les paroles de l'inconnu et d'avoir confiance en ses amis et sa famille quoi qu'il arrivait.

« Je ne veux pas te faire peur, continua Chad, je comprends que tu sois méfiante, je l'étais aussi à ta place. Écoute, je veux juste empêcher les gars que tu as vus de continuer à tuer les nouveaux-
- Tuer ? »

Lucy écarquilla les yeux. Elle avait deviné qu'ils étaient dangereux, au point qu'un homme n'apparaisse désespéré à en mourir, mais de là à eux-mêmes tuer ? Le mot lui semblait presque irréel. Jamais la rousse n'avait pensé qu'un jour elle serait dans une situation où elle aurait à craindre pour sa vie, et maintenant qu'on lui parlait de mort, elle ne savait pas comment réagir. La jeune femme leva les yeux vers son interlocuteur comme pour chercher une confirmation. Ce dernier hocha la tête puis observa les alentours, l'air inquiet.

« On ne peut pas rester là, ils vont revenir. Suis-moi si tu veux savoir, je t'expliquerai tout. »

Sans s'attarder, Chad tourna les talons puis avança rapidement dans l'obscurité, renforcée par la nuit qui venait de tomber. Lucy hésita. Suivre un étranger n'était pas des plus prudents et elle le savait, mais rester ici lui semblait être bien pire. Qui plus est la jeune femme avait besoin des réponses que semblait détenir l'homme, et même si elle n'était pas encore sûre qu'il soit totalement honnête, elle avait envie de lui faire confiance. Après tout, ils étaient dans la même situation tous les deux, perdus au milieu d'un désert, dans une étrange ville, en espérant apercevoir un jour les secours arriver. Alors elle le suivit. Dans les ruelles pleines de décombres, Lucy suivit l'homme qui lui avait permis de s'échapper des griffes du dangereux groupe, en espérant ne pas être tombée sur pire encore.

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