Lucy se tenait toujours là, après plusieurs minutes, face au corps inerte qu'elle avait regardé s'écrouler. Jamais elle n'avait vu pareille scène, et jamais elle ne s'était imaginée assister à une mort si brutale. Elle était comme paralysée, il lui était impossible de faire le moindre mouvement. Qu'avait-il bien pu se passer exactement ? Comment avait-elle pu en arriver là ? La jeune femme devait se reprendre en main, elle devait réagir, trouver une solution comme elle le faisait toujours, ou même juste bouger, partir. Seulement son corps refusait de lui obéir, la laissant plantée là comme une idiote. Cela ne lui ressemblait pas et elle le savait, mais qui aurait pu le lui en blâmer pour autant, personne ne devrait avoir à assister à de pareilles scènes. Son corps, aussi bien que son esprit en resteraient probablement marqué encore un long moment, si ce n'est à jamais. Mais malgré l'état dans lequel la rousse se trouvait et malgré l'affreuse situation dont elle avait fait part et dont elle était toujours prisonnière, Lucy ne pouvait s'offrir une seconde de répit supplémentaire. Car à quelques mètres d'elle d'autres silhouettes s'approchaient, et malheureusement, elles étaient bien plus nombreuses cette fois-ci. La vitesse des pas que la rousse entendit lui indiquât que ces personnes étaient très probablement en train de courir à un rythme plutôt élevé. Fuyaient-elles quelque chose, tout comme l'homme que Lucy venait de voir ? Y avait-il, dans l'enceinte de ces murs, un danger assez effrayant pour mettre en panique autant de personnes ? Mais quelques secondes plus tard, la rousse put entendre certains mots prononcés par le groupe d'inconnus, qui répondirent instantanément à ses interrogations quant à leurs intentions. Une voix grave et rauque venait de crier "attrapez-le", puis, un peu plus fort, "ne le laissez pas s'échapper !". En entendant ces mots, la rousse s'était subitement souvenue de la terreur qu'elle avait vu dans les yeux de l'homme qui venait de mourir, et d'à quel point il avait eu l'air effrayé à l'idée d'être suivi, regardant sans cesse derrière lui. Ce constat frappa Lucy de plein fouet. Si cet homme avait choisi de mourir plutôt que confronter ces personnes, alors la jeune femme courrait probablement un très grand risque en restant ici. Dans son intérêt, elle ne devait surtout pas se faire voir. Titubant comme elle le pouvait, Lucy entreprit de revenir sur ses pas afin de ne pas croiser ceux qui progressaient de plus en plus rapidement dans l'intersection face à elle. Essayant de fuir cette situation, la rousse se mit à courir aussi vite que ses muscles le lui permettaient, faisant son maximum pour échapper à tout cela. Mais malheureusement, les bruits de pas se rapprochaient toujours plus dangereusement d'elle. Lucy n'était pas assez rapide. Elle jura silencieusement, tentant d'accélérer le rythme. Fort heureusement pour elle, dans la seconde qui suivit et comme une délivrance, une montée d'adrénaline envahit tout son corps. Probablement causée par la peur du groupe de plus en plus proche et un instinct de survie primitif, ce boost lui permis de courir bien plus rapidement, en ignorant la douleur et la fatigue, et surtout l'état de son corps, déjà à bout depuis un moment. En cet instant et malgré la crainte qui l'habitait, la rousse avait une sensation de toute puissance, comme si elle était intouchable et que personne ne pourrait jamais la rattraper. Elle avait presque la sensation de flotter dans les airs, une liberté qu'elle n'aurait jamais pu atteindre dans d'autres conditions. Cependant un cri derrière elle la ramena brusquement à la réalité, une alerte, quelqu'un ayant hurlé quant à la présence d'une étrangère tentant de s'enfuir, elle. Lucy avait été repérée, et cinq hommes s'étaient vivement lancés à sa poursuite, gagnant du terrain à chaque seconde. La jeune femme se refusait à regarder en arrière une fois de plus, continuant simplement de courir aussi loin que ses jambes le lui permettraient, effaçant toute pensée. Plusieurs fois elle manqua de trébucher dans ces lieux inconnus et semés d'embûches, mais elle ne faillit à aucun instant. Lucy était tellement concentrée dans sa course effrénée qu'elle en occulta tout ce qui se trouvait autour d'elle, jusqu'au moindre son. C'est pourquoi elle n'entendît pas ses assaillants se séparer dans le but de la prendre à revers, sans plus ne lui laisser aucun espoir de fuite. Si seulement elle les avait écoutés prononcer ces instructions, si seulement elle avait été attentive, peut-être aurait-elle pu trouver un moyen de s'y dérober. Une échappatoire, ou même rien qu'un endroit où se cacher aurait suffi. N'importe quoi. Mais une telle chose existait-elle simplement ? Se cacher dans des décombres aurait pu paraître comme une bonne idée, mais le fait étant qu'en vue du périmètre réduit de cette course poursuite, les hommes qui chassaient Lucy n'auraient probablement aucun mal à la retrouver. Et quant au chemin de fuite il était bel et bien présent à sa droite, dans toute sa splendeur et son immensité, sa froideur et son aridité; mais c'était le désert qui l'avait accompagnée des jours durant. Cependant dans cette étendue vierge, elle n'aurait aucune chance de se cacher, elle se ferait repérer en un instant. Qui plus est, elle n'était pas enthousiaste à l'idée de retourner vers cette zone qui l'avait poussée dans ces derniers retranchements, et même si elle avait du mal à se l'avouer, elle ne pouvait se résoudre à traverser ce mur pourtant invisible. Alors était-elle perdue ? N'avait-elle donc pas d'autre choix que celui de se faire rattraper par ce groupe étrange qui, en vue de l'agressivité avec laquelle il poursuivait la jeune femme, n'était pas armé des intentions les plus nobles qu'il soit ? Malheureusement, le rythme frénétique que Lucy suivait depuis un moment déjà commençait à s'étouffer. Elle n'en avait plus pour très longtemps avant d'être totalement à bout et en avait pleinement conscience. Alors, dans un dernier coup de folie, elle décida de tenter le tout pour le tout. Si elle était destinée à se battre, elle en emporterait au moins un avec elle, ne serait-ce que pour sa fierté personnelle. Il était hors de question qu'elle ne se fasse attraper sans opposer la moindre résistance, elle allait les faire regretter du mieux qu'elle le pouvait. Dans le but de faire demi-tour pour prouver sa détermination, la rousse ralentit ses pas, prête à bondir sur l'homme qu'elle savait quelques mètres derrière elle. Mais à peine eut-elle le temps de s'arrêter qu'une main vint subitement attraper son poignet.

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L'air grave dans la chambre d'un hôtel du Nevada, le père de Lucy faisait des allers retours entre la table et le lit de la grande pièce où il séjournait avec sa femme depuis hier. Ses cheveux grisonnants étaient décoiffés comme s'il n'y portait plus la moindre attention, et son visage, d'ordinaire si souriant était fermé, presque dur. On pouvait voir de larges poches noires sous ses yeux bleus, traduisant le manque de sommeil et l'état de stress énorme dans lequel il se trouvait. Comme pour tenter de le calmer, sa compagne vint se placer à ses côtés, posant sa main sur l'épaule de son mari en l'élançant tendrement. En réalité, elle en avait tout autant besoin que son époux. On pouvait voir à ses yeux rougis qu'elle avait pleuré des heures durant, et ses beaux cheveux roux n'étaient pas bien mieux arrangés que ceux de son compagnon. Après avoir appris la nouvelle de la disparition de leur fille par Samantha, les deux parents de Lucy avaient tout abandonné pour venir sur les lieux le plus rapidement possible. Naturellement, ils s'étaient rendus au FBI dès leur arrivée, demandant ne serait ce que la plus petite information sur l'endroit où pouvait se trouver leur enfant, ou même rien qu'une hypothèse, peu importait si elle était réellement fondée ou non. Tout ce qu'ils souhaitaient, c'était la confirmation que l'enquête avançait, et que même si cela allait prendre du temps, ils retrouveraient leur fille. Mais malheureusement les fédéraux n'avaient rien voulu entendre, n'ajoutant rien de plus que "l'enquête est toujours en cours" aux nombreuses supplications du couple. Les agents ne faisaient probablement que suivre leur procédure, ne pouvant sûrement se prononcer avant d'avoir des certitudes, mais comment deux parents venant de perdre leur unique enfant auraient pu se contenter de cette seule réponse ? C'était tout simplement impossible, ils ne pouvaient se résoudre à attendre sagement dans le flou, c'était au dessus de leurs forces. C'est pourquoi malgré les innombrables refus qu'ils avaient essuyés, les parents de Lucy ne s'étaient pas laissés abattre. Plutôt que rester et broyer du noir dans leur chambre d'hôtel, ils avaient décidé de trouver des réponses ailleurs. Et ce fut dans cette quête de vérité que les deux époux rencontrèrent le sergent Johnson, qui s'était fort heureusement montré plus à même de discuter de l'affaire. Ensemble ils avaient convenu d'un rendez-vous dans un endroit plus tranquille afin de pouvoir discuter pleinement de la situation, sans craindre de se faire interrompre. Ce fut tout naturellement que le couple proposa au ranger de les retrouver à l'endroit où ils séjournaient depuis peu, qui se trouvait non loin de l'entrée du désert où tout avait commencé. Le vieil homme accepta la proposition des parents de la disparue avant de partir récupérer quelques papiers dont il avait besoin pour leur expliquer la situation. Pendant ce temps, le couple avait prévenu les trois amis de leur fille et avait tenté d'appeler la grand-mère d'Eli, mais ils apprirent plus tard que cette dernière avait été congédiée par son petit fils ne souhaitant pas l'impliquer dans cette situation qu'il jugeait trop lourde à porter pour une dame de son âge. Elle avait donc quitté le Nevada depuis l'aéroport un jour plus tôt. Bien sûr, les parents comprirent ce choix, mieux valait que la sexagénaire rentre saine et sauve plutôt que rester ici dans une attente insoutenable. Quant aux compagnons de Lucy, ils avaient tous souhaité participer au rendez-vous, se sentant coupable et surtout, voulant revoir leur amie plus que tout au monde. C'est ainsi que cinq personnes attendaient nerveusement dans une chambre d'hôtel l'arrivée du sergent Johnson. Ce dernier ne tarda par ailleurs pas à les rejoindre, sachant qu'il était très attendu, il se tint devant la porte de la pièce quelques minutes plus tard. Le père de Lucy se précipita pour ouvrir à la seconde où il entendit quelqu'un toquer, invitant rapidement le sergent les bras remplis de documents à prendre place. Johnson s'installa sur la grande table du salon où tous patientèrent déjà depuis un moment. Les visages étaient crispés et inquiets, mais les regards ne pouvaient s'empêcher d'être remplis d'espoir, même si la chute en serait plus difficile, tous garderaient l'espoir jusqu'au bout. Le vieux sergent, conscient de ce qu'on attendait de lui, éparpilla les feuilles qu'il portait sur cette table, faisant en sorte qu'elles soient toutes visibles. Sam fut la première à s'emparer de ce qui venait de lui être révélé, jetant un oeil attentif à toutes les informations. La plupart des papiers étaient des pages de journaux déchirées, certaines notes manuscrites étaient présentes aussi. Quant aux informations qu'elles donnaient, Sam avait du mal à les déchiffrer, et pour certaines, à les lier à la disparition de son amie.

« Malheureusement le FBI a récupéré tout le dossier sur lequel je travaillais, alors il ne me reste plus que ça. »

Le sergent Johnson commença afin que l'attention des personnes présentes se concentre sur lui. Son air jovial avait totalement disparu, pour laisser place à un regard droit et à une démarche assurée.

« Comme vous pouvez le voir, pages de journaux mentionnent des disparitions semblables à celle qui nous occupe. Le sergent attrapa un journal avant de continuer. La plus ancienne est celle-ci, Jasper, 25 ans. Elle a eu lieu il y a deux ans. »

Les proches de Lucy accusèrent difficilement l'information qu'ils venaient d'entendre. Leur visage surpris par la nouvelle se tordirent rapidement d'inquiétude et d'une grande d'appréhension. Deux ans ? Deux ans qu'un homme avait disparu sans laisser la moindre trace ? Deux ans qu'il n'avait pas été retrouvé ? Perdues dans le désert, les victimes n'avaient que quelques jours pour être sauvées, car autrement, la faim et la soif s'occuperaient d'elles rapidement. Alors deux ans, il était facile d'imaginer ce qu'il avait pu arriver au dénommé Jasper. La mère de Lucy avala difficilement sa salive à cette pensée, et elle pria de toutes ses forces pour que le sergent Johnson ait autre chose à leur annoncer.

« Depuis ces deux ans, les victimes du désert se sont démultipliées. D'ordinaire on en comptait une ou deux par an, mais maintenant, nous sommes à presqu'une par mois. »

Toutes les personnes présentes autour du sergent ne savaient quoi dire face à cette information. D'abord, ils trouvèrent très étrange le fait que malgré le nombre de disparus, rien ne soit jamais passé aux informations. Une situation d'une telle ampleur aurait dû faire du bruit, inquiéter, les médias auraient dû en parler. Mais forcés d'admettre qu'ils n'avaient jamais rien entendu à ce sujet, autrement les quatre amis ne seraient probablement jamais venus ici. Ensuite, ils se demandèrent quelle pouvait être la cause de ces soudaines disparitions. Pourquoi, du jour au lendemain, s'étaient-elles multipliées de la sorte ? Après tout le désert avait toujours attiré quelques curieux, mais pourquoi disparaissaient-ils subitement ?

« Malheureusement, la cause de cette hausse nous est inconnue. J'ai vérifié les conditions météorologiques du désert; il ne semble pas y avoir eu plus de tempêtes que les années passées, et le nombre de touristes n'a pas significativement augmenté non plus. Les disparitions ne viennent donc pas de là.
- Maintenant que j'y pense, commença Prince, nous avons bel et bien été pris dans une violente tempête.
- Oui c'est vrai ! ajouta Sam, c'était très étrange, la tempête était comme sortie de nulle part, pile sur nous, il n'y avait eu aucun signe.
- Et quand elle s'est calmée, Lucy avait disparu... »

Le sergent Johnson observa les deux jeunes adultes affolés, pensif. Une tempête soudaine, qui apparaîtrait violente et à l'endroit exact où les quatre amis se trouvaient ? C'était une bien étrange coïncidence, peut-être même un peu trop pour l'être. Mais malheureusement, cette piste n’allait probablement pas pouvoir être creusée. Les tempêtes étaient un phénomène naturel, et personne à la connaissance du sergent n'était capable de créer d'en créer une, cela se serait su. Ou peut-être pas ? Peut-être que quelqu'un ou quelque chose en était réellement capable ? Après tout la situation elle-même semblait irréelle, alors pourquoi pas ? Johnson ne savait plus quoi en penser. Jamais de sa carrière il ne s'était trouvé face à une enquête pareille, et jamais il n'aurait pensé que cela puisse arriver.

« Sergent, j'aurais une question si possible. »

Eli surprit le vieux ranger par sa voix et son visage neutre, comme si la situation ne le concernait pas et qu'il n'en était pas atteint. En réalité, si on connaissait bien le jeune homme, on pouvait distinguer des signes d'inquiétude chez lui. Cependant, étant l'aîné du groupe, il s'était promis d'être le rempart auxquels ses amis pourraient s'accrocher en cas de besoin, alors pour les rassurer, il se montrait le plus calme possible.

« Je l'avais déjà expliqué, mais j'ai érigé des cairns tout au long de notre chemin, et vous aviez répondu que vous enverriez quelqu'un les suivre. J'aimerais savoir où cela en est ? »

La question d'Eli prit Johnson au dépourvu. Il avait bel et bien envoyé quelqu'un sur les traces indiquées, cependant...

« Eh bien, à ce propos... le sergent soupira hésitant à leur annoncer, Deux rangers ont suivi le chemin que vous nous aviez indiqué. Ils ont marché le long du sentier de terre jusqu'à voir disparaître la végétation. Cependant... au bout du chemin, ils n'ont malheureusement pas trouvé la moindre trace de vos cairns. »