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Gorno m’avait déjà berné une fois. J’avais compris qu’il mentait comme un arracheur de canines, mais cela ne m’empêcha pas de prendre mon parti d’une situation qui me semblait offrir une issue possible. En fait, c’est en discutant avec Gorno, juste avant le dénouement de toute cette affaire, que je compris dans quel guêpier j’avais mis la truffe. Les événements dépassaient le cadre de l’individu, flirtaient avec les choses les plus sombres, enlaçant Héliocanis et ses milliers d’âmes dans une nasse au cœur de laquelle je me débattais. Sans que j’en aie conscience, des puissances assoupies retenaient leur souffle dans l’attente d’une étincelle. Tous étaient prêts, lames affûtées et oreilles tendues : loups, lycaons, chiens. Les perdants du dernier effondrement humaient ce crépuscule comme on se prépare à l’orage. Et pourtant, malgré ça, je continuais d’aller de l’avant, innocemment, fermant les yeux sur ce que je commençais à entrevoir, serrant ce qui me restait de dents avec l’espoir d’un désensorcellement salvateur. Doux rêveur.


Gorno lança une bourse aux pieds de Mortimer.

— Tiens. Je crois que ça te revient.

Mortimer tâta le sac de la pointe de son sabre. À vue de museau, peut-être une cinquantaine d’écus.

— Tu me prends pour une betterave ?

— Je suis désolé du malentendu, Morty. Je t’ai clairement sous-estimé. Je m’aperçois de mon erreur et je souhaite te proposer une nouvelle association.

— Le terme association chante comme une promesse de balle dans le dos, avec toi.

— Je me suis trompé, fit-il en levant les mains au ciel. Tout le monde peut se tromper ! Toi aussi ! Regarde, tu t’es fait berner par ta copine. Moi, c’est le bras droit de Syl qui m’a eu.

Il avait raison, songea Mortimer, sauf pour Svalta.

— Tello Sumstrat t’a possédé ?

— Tu ne crois pas si bien dire. Je suis venu te proposer une opportunité…

— Tu fricotes avec un sorcier, et tu es probablement à l’origine de tous les assassinats de hyènes de ces derniers jours. Qu’est-ce que j’ai à gagner en m’associant à un type dont la tête est mise à prix ?

— Tu parais bien renseigné, mais tu te goures, comme les autres !

— Perle t’a identifié. Livrer ta tête à Syl me semble une opportunité plus intéressante que tout ce que tu pourrais me proposer.

— Sauf que ma tête se trouve sur mes épaules, cabrón, et ma rapière sur le chemin qui y mène.

Gorno caressa le pommeau de son épée avec un air entendu. Mortimer rengaina son sabre en signe d’apaisement. Son bluff n’avait d’intérêt que pour la forme, car jamais il ne prendrait le risque de renégocier quoi que ce soit avec la cheffe des hyènes.

— Vas-y, dis ce que tu as à dire.

— Quand tu as tiré Perle de son sarcophage, elle devait avoir sur elle un petit pendentif. Ça te dit quelque chose ?

Mortimer revit clairement la babiole et se souvint l’avoir jetée dans le caveau. Il opina. Le visage de la hyène s’illumina.

— Je t’en donne cent écus, et on oublie tout le reste ! proposa Gorno en avançant vers Mortimer.

— Où est le reste de ma prime ? Il y avait trois cents écus.

— Je n’ai pas pu tout récupérer, tu penses bien. Raval en a une partie, l’autre a été dispersée entre les fous et la milice venue faire le ménage. Où trouver la breloque ? supplia-t-il en réfrénant un accès d’impatience.

— C’est toi qui as récupéré la part de Raval. Tu as intérêt à jouer franc-jeu avec moi, maintenant. Cette babiole, c’est un talisman, pas vrai ?

— Oui, et si je ne le récupère pas… dès que le soleil sera couché, vaudra mieux pas te trouver à portée de ma lame.

— C’est une recommandation que j’applique à la lettre en toute circonstance.

Gorno ricana, sans doute flatté.

— D’accord, reprit Mortimer. Si je comprends bien, sans ce talisman, cette nuit tu vas faire un nouveau carnage.

Gorno cligna des yeux.

— Ce n’est pas moi… C’est… autre chose… qui s’empare de moi la nuit ! Merde, oublie ça, tu ne me croirais pas de toute façon.

Mortimer repensa à ce qu’il avait ressenti en sortant du cimetière, la veille. Cette folie meurtrière qui l’avait transfiguré, jusqu’à ce que Svalta l’assomme avec ses poudres magiques. Et cette voix…

— Si quelqu’un est prêt à te croire, ici, c’est bien moi. Tello Sumstrat est derrière tout ça ?

Gorno acquiesça.

— Alors, ça fera deux cents écus. Tu vas chercher le pognon et tu me retrouves à la porte sud du cimetière. Je me charge de te ramener ton pendentif.

Gorno se frotta les mains nerveusement.

— Cent écus, pas plus. Et oublie pas, Morty : avant la nuit !

Avant que les hyènes de Syl et les rats de Renzo ne s’y retrouvent pour échanger Perle, surtout, songea Mortimer.


Devant le porche, Mortimer trouva une carriole attelée. Sur le banc de conduite, Raval mâchait une tige de boildieu.

— Monte. Svalta m’a prévenu qu’un coup de pétard annoncerait ta sortie.

Mortimer grimpa à côté de la fouine.

— Emmène-moi au cimetière.

Raval secoua la tête.

— Ta princesse m’a demandé de te mettre au chaud dans mon terrier, jusqu’à son retour.

Mortimer secoua la tête.

— Qu’elle s’occupe de ses carottes, celle-là, grogna-t-il. Soit tu me déposes au cimetière, soit j’y vais à pied. Tu choisis.

Raval claqua les rênes sur la croupe de la mule. La carriole s’ébranla.

— C’était pour elle, la poudre de lune ?

Mortimer acquiesça et ajouta :

— Tu crois que ça pourrait être une anthrope ?

La fouine haussa les épaules.

— Y a pas qu’eux qu’utilisent ce genre de maléfices.

— Est-ce que tu pourrais accélérer, s’il te plaît ? Je dois être au cimetière avant la nuit.

— On finit toujours par y arriver plus tôt qu’on le souhaiterait.

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