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Depuis le début, vous vous demandez où tout cela va nous mener ? Une histoire de cadavre qui n’en était pas un, des mafieux qui s’empoignent, jusqu’ici, rien que d’assez banal dans une ville dominée par le crime organisé. Sauf que, ce que vous êtes aujourd’hui, chiens de garde d’une jeune république en plein renouveau, vous le devez à une petite anicroche au sein du groupe qui dominait la cité jusqu’ici. Sans le petit grain de sable d’un trafiquant de cadavres trop curieux, probablement qu’aujourd’hui on serait tous en train de piocher pour les hyènes, en s’entretuant gaiement. Alors, c’était quoi ce petit grain de sable ? Pour moi, c’était plus qu’un grain. Pire qu’une épine dans le pied. C’était une âme damnée décidée à tout renverser, moi le premier.

La porte sud était dégagée. Mortimer prit congé de Raval en lui recommandant de se tenir à l’écart. La fouine se contenta de sourire avec une trace de tristesse dans le regard.

Mortimer franchit la grille ouvragée et longea le mur d’enceinte par l’intérieur, glissant au milieu des gisants et des statues mortuaires, ombre parmi les ombres du crépuscule. Grimpant sur un tertre, il aperçut au loin une ligne de torches dont les flammes soufflées par la brise s’étiraient en longues oriflammes dorées. Il compta sept lascars, tous des rats, vu leurs postures et leurs calottes de cuir caractéristiques. Renzo suivait dans son palanquin parme aux rideaux de soie. Les filles devaient se trouver avec lui. Nulle trace des hyènes. Syl choisirait forcément l’entrée principale pour faire une descente grandiose, entourée de sa garde prétorienne, le long de l’allée empierrée. Mortimer fila vers le caveau, profitant de sa connaissance des lieux pour gagner un temps précieux. Il aurait été fort marri de se retrouver coincé par une armée de tueurs.

Passant sous les gueules de pierre des statues qui surplombaient le tombeau des Barry, il poussa la grille dont les gonds grincèrent. Le verrou n’avait pas été remis en place depuis la veille. Il se glissa dans l’obscurité, le souffle haché et le museau en alerte. Il flottait dans le caveau un parfum familier. Une silhouette émergea, un petit objet pendu à une ficelle au bout de la main.

— C’est ça que tu es venu chercher ? demanda Svalta, dont il devinait le visage d’albâtre.

— Je vois qu’on cherche la même chose, constata-t-il. Mais… pourquoi ?

Il observa le pendentif qui oscillait. Quelque chose ne correspondait pas à ses souvenirs. Il fronça les sourcils. La pierre noire qui en ornait le centre s’était déchaussée. Svalta n’en avait probablement pas conscience.

— Pourquoi je le cherche ? Ou pourquoi tu le cherches ?

Mortimer grogna.

— On va cesser de jouer aux idiots, si tu veux bien, Svalta. Je sais qu’il s’agit d’un artefact magique, et je sais qu’il permet de capturer un démon.

Svalta se rapprocha. Il caressa machinalement la garde de son sabre.

— En effet, répondit-elle. C’est cette rune de garde qui a protégé Perle de l’attaque de Gorno, mais l’a plongée dans le lourd-songe, cet état indifférenciable de la mort qui lui a valu un enterrement précoce. L’esprit du démon, lui, s’est trouvé bloqué dans l’artefact.

— Esprit qui a été invoqué pour faire tomber le clan Barry, compléta Mortimer, déclenchant un haussement de sourcil de la lapine. Je ne comprends toujours pas où se trouve ton intérêt dans cette affaire, Svalta. Pourquoi tu cherches à protéger Perle ?

Svalta éluda la question.

— Tu m’impressionnes, Morty. Le problème, c’est que le démon se balade à nouveau en toute liberté.

Une ombre les enveloppa.

— Vous ne croyez pas si bien dire, duchesse ! gronda Gorno, l’épée à la main, un foulard sur le museau. Voilà pourquoi vous allez me remettre cette protection.

De la pointe de sa rapière, il poussa Mortimer dans le caveau et descendit les degrés de pierre.

— Tu as les deux cents écus ? ironisa Mortimer, dégoûté de se faire doubler une fois de plus.

Tout en reculant vers le sarcophage de Perle, il scruta le sol en quête de la petite pierre noire. Sans elle, l’objet était incomplet. Il n’y connaissait pas grand-chose en magie, mais il se doutait que le moindre ingrédient comptait. Il fit appel à ses souvenirs de la veille, se remémorant sa position quand il avait jeté le pendentif.

— Tu fais quoi, le lycaon ?

— Je prends mes distances, fit-il en dégainant sa lame.

Gorno l’ignora et posa la pointe de son épée contre la gorge de Svalta. Dans un espace aussi réduit, le sabre ne vaudrait pas grand-chose contre la pointe de la rapière, sans compter que Gorno maniait la sienne à la perfection.

— À ta guise, l’ami. Toi, la friponne, fais glisser le bijou sur ma lame, où je te la plante en travers de ta jolie bouille de métamorphe.

L’air écœuré, la lapine obéit. Gorno sortit à reculons et ferma la grille, dont il bloqua le verrou avec une dague, puis disparut.

— Bouille de métamorphe ? ricana Mortimer, une fois seul avec sa comparse. Tu travailles pour qui ?

— Pour toi, espèce d’imbécile.

Mortimer s’agenouilla et, alors que Svalta émettait une protestation, il tâtonna à la recherche de la pierre noire.

— Rassure-toi, ma belle, je ne me prosterne pas. Je récupérais juste… ça !

Svalta écarquilla les yeux en le voyant se relever, un caillou brillant entre les doigts.

— C’est facile de traiter les autres d’imbéciles quand on ne leur livre aucune information, grinça-t-il.

La pique sembla toucher la lapine.

— Oh, Mortimer. Je… te dois des excuses.

— Et des explications.

Il referma la main autour de la pierre. Des lueurs dansantes et des crissements de bottes dans les graviers annoncèrent l’arrivée de nouveaux ennuis. La grille s’ouvrit à la volée, révélant, dans le halo des torches, un groupe de hyènes aux canines incrustées de pierreries qui brillaient dans le rougeoiement des flammes.

— Quelle soirée fabuleuse, exulta Syl Barry. D’abord Gorno, maintenant Mortimer et sa copine profanatrice !

Le lycaon se tourna vers Svalta.

— C’est moi qui te dois des excuses, Svalta. Si je t’avais écouté, si j’avais laissé cette gamine dans son tombeau, on n’en serait pas là.

Le visage de la conille s’adoucit.

— Ton choix va peut-être précipiter ce pourquoi ton clan, et le mien, luttent depuis des décennies.

Les hyènes s’engouffrèrent dans le tombeau.

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