Au commencement

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Au commencement, j'étais avec elle.

Nous étions partis voir la mer. Ses cheveux roux flambaient dans le vent et le sable ne collait pas à sa peau. Elle me rappelait un peu ce tableau de Botticelli.

Vénus ? Sandra ? Elles ne semblaient faire qu'un. Ma femme me transportait chaque jour dans un univers différent. C'était l'époque de l'insouciance, nous étions jeunes. A l'époque j'avais l'impression d'être déjà vieux. Dire que je venais tout juste de souffler ma vingtième bougie! A vingt ans on est quoi ? Des gamins. Nous étions deux enfants sur la plage. Nous riions de tout. Je riais de son sourire, de sa timidité, de ses mèches collées par le sel sur son front. Je riais d'elle mais surtout de moi. Je me revois encore, tout gringalet que j'étais.

Ma barbe commençait à peine à pointer le long de mes joues. Mes pores étaient toujours obstrués d'une matière qu'aujourd'hui je ne préfère pas définir. Je me souviens encore des rougeurs sur les ailes de mon nez. Je me sentais fort d'une jeunesse illimitée. Du moins je croyais qu'elle l'était.

Sandra portait sa robe verte, celle que j'aimais car elle faisait ressortir ses yeux émeraude. Elle était fendue sur le côté gauche et libérait une partie de sa jambe aux yeux de tous. En fermant les yeux plus fort, je vois encore l'expression qui se dessinait sur le visage de certains hommes croisés au bord de l'eau. Vénus pouvait aller se rhabiller à côté d'elle! Le sable coulait sur sa peau pâle, ensevelissant ses chevilles à chaque pas. Je ne sais pas de quelle manière elle réussissait à marcher avec grâce tout en s'enfonçant. A côté j'avais l'air d'un parfait idiot. J'aurais voulu que les femmes se retournent sur mon passage mais Sandra attirait l'attention de tous, sans exception. Plusieurs fois je m'étais demandé pourquoi cette femme là était avec moi et pas avec un de ces gars bronzés et tout en muscles. Elle me faisait confiance, elle m'admirait et je trouvais en elle ce dont j'avais besoin : un peu de magie. Parce que Sandra était vraiment magique.

Elle avait l'art de m'inspirer dans tout ce que j'entreprenais. Lorsque je composais encore, elle était incontestablement ma muse. Je ne l'avais pas vraiment cherchée. Un jour à la cafétéria, elle s'est assise près de moi et m'a adressé le sourire le plus lumineux que je n'ai jamais connu. Cela a été comme un coup de tonnerre dans ma journée, un éclair qui m'a foudroyé en plein cœur. J'ai su à ce moment précis que je ne pourrais pas m'en détacher. Sans même m'en rendre compte, je l'ai choisie ce matin-là. Mais que pouvait-elle attendre d'un pauvre musicien dans mon genre? Plongé dans un bouquin, j'ai évité de la regarder durant les longues minutes qui constituaient notre pause déjeuner. Elle n'était pas dans ma promotion mais je l'avais déjà vue de temps en temps fumer une cigarette devant l'université. Comment ne pas la remarquer ?C'était certainement la plus jolie fille que j'ai vue de ma vie. J'accorde volontiers que ma vie était plutôt courte alors, mais je ne démords pas de cette idée.

A côté de Sandra, j'étais un nabot. Mes yeux marrons "de cochon" comme répétaient mes camarades en primaire ne m'avantageaient pas. J'étais encore un adolescent dans ma tête, et dans mon corps surtout. Maintenant je m'en rends compte. Mes cheveux bruns en bataille me donnaient l'air négligé tandis qu'intérieurement, j'étais d'une terrible rigidité. C'était l'époque où je ne croyais en rien, même pas en moi. Surtout pas en moi. L'adolescence a vraiment ses travers, c'est comme traverser un gouffre sur un fil tendu au-dessus du vide. Être adolescent, c'est être le funambule de sa vie. Je me souviens de cette impression amère qui suintait dans le fond de ma bouche à chaque fois que j'abordais quelqu'un. Ce mélange âcre de timidité maladive et de peur qui coulait jusque dans mon ventre. Je ne peux pas dire que je me sois beaucoup sociabilisé par la suite, surtout ces deux dernières années. Mais tout ça s'est quand même calmé.

J'ai eu l'impression il y a quelques années d'avoir enfin atteint l'autre côté du précipice. Seuls mes questionnements encore sans réponse sont restés là en suspens. J'aurais aimé leur dire que j'allais revenir les chercher, pour les mettre en sécurité. J'ai sauté du fil jusque sur la terre ferme et je n'ai pas vu mon anxiété me suivre discrètement. Elle s'est collée sous mes pas comme un chewing-gum entre les rainures d'une chaussure. Elle était sale et encombrante. Avec Sandra, j'ai réussi à la repousser un peu. Je l'ai décollée et je l'ai jetée au loin plusieurs fois. Mais lorsque Sandra est partie, mon anxiété a saisi l'occasion et s'est accrochée de plus belle.

Au commencement, j'étais avec elle.

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