Chapitre 4 Rêve étrange !

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Après avoir passé une nuit maussade meublée de cauchemars, Stella se précipita vers la machine à café dès qu’elle eût franchi les portes de Spica.

— Bonjour Stella, je vous trouve pâlotte ce matin !

— Bonjour Katyelem, j’ai fait un rêve étrange cette nuit, et qui m’a bouleversée. Je levai les yeux vers le ciel où des anémones de mer pourpres s’étaient substituées aux étoiles et pulsaient dans la galaxie du Grand Chien. En plongeant dans les abysses qui mimaient une aurore boréale, une grotte de calcaire opalescente m’est apparue. J’y ai découvert des centaines de sigles cabalistiques dessinés sur les parois. Je les ai effleurés délicatement et un passage s’est ouvert brusquement. Je me suis réveillée à ce moment-là ! Dommage, j’aurais aimé connaître la suite !

— Ah, je suis désolée ! L’ivresse des profondeurs, ce qu’on appelle la narcose, provoque parfois ce genre de visions prophétiques chez les apnéistes. Pour revenir à votre mission, j’aimerais que vous déterminiez si des trous noirs stellaires se forment à l’occasion de la fin de vie d’une étoile qui explose en supernova. Il faut mesurer plus finement les flux de neutrinos produits par cet événement. Ils doivent subitement cesser lorsque le cœur de l’étoile qui explose devient un trou noir. Vous pouvez vous baser sur l’événement SN1987a[1] pour vous aider. Je dois également vous informer que je serai absente la semaine prochaine. Mon fils Atime vient d’être titularisé en tant que chirurgien au Life Healthcare Hospital Group, situé au Cap. Nous allons fêter ça avec sa compagne Karima qui est enceinte de six mois.

— Mes félicitations, Katyelem ! Je mesure toute l’importance d’une vraie famille, ces temps-ci.

— Pourquoi me dites-vous cela ?

— J’ai appris l’existence de ma demi-sœur la semaine dernière. C’est aussi ma meilleure amie. Depuis cette révélation, le climat se dégrade de jour en jour. J’ai l’impression que Paolina cherche à me nuire. Elle critique l’ensemble de mes points de vue et réclame des choses futiles. Elle occupe maintenant le plus grand bureau de Barreleye alors que ma mère se contente d’un vieux meuble de récupération. Elle a exigé le doublement de son salaire, ce qui ne correspond pas à sa qualification professionnelle. Comment maman arrive-t-elle à la supporter ? Je m’inquiète.

— Je vous conseille d’intervenir rapidement avant que votre mère n’en fasse les frais. J’évoque rarement mon passé, mais j’ai perdu mon mari quand mon fils était adolescent. Il exerçait en qualité de médecin militaire au Mali. Un matin, sa jeep a sauté sur une mine et ma vie en a été bouleversée. Depuis, j’attache une grande importance à la famille, et mon fils restera ma priorité jusqu’à mon dernier souffle.

— J’admire votre courage, Katyelem. Vous avez connu des jours difficiles. Mon problème est mineur comparé aux épreuves que vous avez dû traverser. Je vais affûter mes armes pour ce soir.

Stella s’arrêta un court instant chez Barreleye.

— Bonsoir Paolina, tu assures la fermeture aujourd’hui ?

— Salut Stella. Ta mère s’est mise au télétravail. Apparemment, ma musique la dérange.

— Le heavy metal n’est pas le fond sonore idéal quand un comptable doit vérifier une foultitude de calculs.

— J’ai besoin de créer une ambiance de travail sympa pour stimuler mon imagination.

— Tu m’excuseras d’être désagréable, Paolina, mais tu crées un climat délétère en perturbant l’organisation de la société.

— Je ne t’autorise pas à me juger, Stella. J’ai les mêmes droits que toi et je suis ici chez moi.

— Tu mélanges tout, Paolina ! Barreleye appartient à mes parents et ma mère est sa gérante. D’ailleurs, elle a versé l’intégralité de son héritage dans la création de la PME. À titre personnel, je ne me permettrais aucune réflexion même si je suis sa fille.

— Et notre père, tu minimises son rôle dans l’histoire ?

— C’est un doux rêveur. Sa passion se limite à la plongée et son rôle est accessoire dans la gestion de l’entreprise.

— Tu le détestes donc ? C’est horrible !

— Pas du tout, j’aime mon père mais je suis réaliste. J’adore pratiquer l’apnée avec lui, nous partageons la même passion pour ce sport. Concernant Barreleye, tu dois faire preuve de civilité en restant à ta place. À l’avenir, je ne tolérerai plus que tu importunes ma mère, c’est clair pour toi ?

— De toute façon, je ne compte pas m’éterniser à Toulon.

— As-tu déniché un autre poste plus en adéquation avec tes compétences ?

— J’ai décidé d’émigrer en Australie.

— Quoi ? Je n’ai pas eu vent d’un recrutement concernant la succursale de Sydney ?

— Maintenant que je porte officiellement le patronyme Dendieu, j’ai plus de poids pour convaincre ton ex-copain de m’épouser.

— Clément et toi êtes bien pareils ! Aussi opportunistes l’un que l’autre. Je te présente mes meilleurs vœux de réussite ! Mais d’ici là, évite de tourmenter ma mère où je te dénonce pour maltraitance à l’inspection du travail.

Avant de rentrer chez elle, Stella fit une halte au domicile de ses parents, à La Seyne-sur-Mer. Sa mère était en train de raconter à son époux les facéties de Paolina.

— J’économise sous après sous depuis trente ans, et ta fille dilapide l’argent plus vite qu’il ne rentre. Tu dois intervenir Thierry, sinon elle va nous conduire au désastre.

— Bon, je vais lui parler demain, c’est promis !

— Je vais installer une cloison entre nos deux bureaux qui me permettra de m’isoler de sa logorrhée consternante.

— Bonsoir papa, bonsoir maman. Je suis aussi peinée que vous concernant les agissements de Paolina. Je viens de découvrir sa vraie personnalité, c’est pitoyable !

— En plus, elle n’a aucune compétence. J’ai dû sous-traiter les modifications exigées par les clients. Elle s’est défaussée de la piètre qualité de son travail en réclamant une formation professionnelle onéreuse sur Paris. Je suis excédée par son arrogance !

Gêné, Thierry tenta une diversion :

— Pour changer de sujet, j’ai reçu aujourd’hui les invitations d’Hubert Fish concernant le Championnat mondial d’apnée à Villefranche-sur-Mer le week-end prochain.

— Bonne idée ! J’espère que cette année verra sa consécration. Maman, viens avec nous, tu as grand besoin de te distraire en ce moment.

— J’aime mieux m’occuper de mes fleurs, vous savez que je n’ai pas le pied marin.

Le 27 juin débuta la parade du championnat pour lequel cent quarante apnéistes provenant d’une cinquantaine de pays s’étaient rassemblés sous l’égide de la Fédération française d’étude et de sports sous-marins. Cette scène rappelait le film Le Grand Bleu réalisé par Luc Besson en 1988, que Stella avait visionné à maintes reprises. Depuis, la plongée no limit à la gueuse, telle qu’elle se pratiquait à l’époque, s’était professionnalisée. Les fondateurs de l’apnée moderne s’entouraient d’une équipe composée d’un responsable sécurité et de médecins des sports qualifiés. Chaque plongeur professionnel bénéficiait d’un suivi médical personnalisé tout au long de l’année, ainsi que de l’aide d’un préparateur mental. À l’inscription, chaque compétiteur devait présenter un certificat médical récent, une licence et une carte de niveau 4, l’autorisant à plonger à une profondeur d’au moins 25 mètres. Hubert Fish accueillit Stella et son père puis les présenta au comité.

— Messieurs, dames, voici mes sponsors. Si vous vous sentez l’âme d’un Poséidon ou d’une Rán, la déesse de la tempête nordique, alors rendez-vous chez Barreleye afin de commander la combinaison de vos rêves. Vous pouvez vous joindre à nous pour le pot de l’amitié, garanti sans alcool. Nous sommes sérieux et faisons gaffe pour le grand jour. Pour ma part, je suis inscrit à neuf heures précises demain matin, j’ouvre le bal !

Stella et Thierry qui gardaient le souvenir du film de Besson croyaient dur comme fer que les apnéistes de haut niveau étaient des ascètes qui se privaient de tous les plaisirs de la vie. Hubert leur prouverait le contraire, c’était un épicurien qui s’autorisait quelques écarts et pas des moindres, en dehors des compétitions.

Vers neuf heures, père et fille rejoignirent les compétiteurs en Zodiac. Hubert décrocha son premier titre de champion du monde en plongeant à ­- 114 mètres en un temps record de 3 minutes 10.

En fin de journée, après la remise des trophées, l’équipe française décida de fêter l’événement au large de la rade de Toulon en compagnie des sponsors. Elle embarqua sur un bateau de plaisance luxueux appartenant au premier mécène, Fred Lenoir, qui avait discrètement chargé à bord quelques caisses de champagne millésimé. Tous les participants burent en l’honneur du vainqueur à tour de rôle. Ils chantèrent à tue-tête des tubes ringards des années quatre-vingt jusqu’à une heure avancée de la nuit. Passablement éméchés, ils s’endormirent tous sur l’espace de bronzage garni de matelas et de coussins aménagé à la poupe. Thierry, qui ne supportait pas l’alcool, passa une partie de la nuit à vomir par-dessus bord avant de sombrer dans un profond sommeil.

À l’aube, Hubert proposa au groupe de se baigner. Les sponsors retirèrent short et tee-shirt et plongèrent l’un après l’autre.

— Allez Stella, soyez des nôtres ! Vous n’êtes pas novice en la matière. Nous faisons juste trempette quelques minutes pour nous rafraîchir les idées ! Eh, Fred, braque les projecteurs sur les flots, on n’y voit que dalle ! Faites gaffe les gars, un grain approche !

Les sportifs échangèrent quelques blagues graveleuses à la surface. Ils n’aperçurent pas l’éclair bleu furtif qui frappa les flots près de Stella.

[1] Événement du 23 février 1987 : le Grand Nuage de Magellan constituant la naissance de l’astrophysique des neutrinos.

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