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Longue douche.

François-Xavier sort de la salle de bain en caleçon et traverse le couloir en direction de sa chambre. Il s’arrête devant une porte bleu nuit jurant avec le décor sobre de l’appartement. Des lettres de bois colorées en ornent le haut : C L O V I S.

Il entre.

Son estomac se serre.

Dans le lit de bébé, des cadeaux – 18 pour être précis –, toujours emballés, remplissent l’espace à l’abri du temps.

Le mobile ne l’est plus depuis 17 ans maintenant.

Une série de cadres, agencés avec goût, présente les photos de ce qui ressemblait à une famille heureuse : un ventre rebondi, des fous rires jusqu’aux oreilles, de tous petits pieds.

FX sourit tristement. Ses douleurs à l’estomac le reprennent.

Avant de ressortir, machinalement, il glisse la main sur le bois de la porte. Les multiples couches de peinture – une par an, comme les cernes de croissance d’un arbre – témoignent des événements passés.

La première couche, un blanc un peu chaud, date du 23 octobre 2006, deux mois après l’enlèvement de Clovis. Élisabeth, mère dépossédée, mariée depuis trois ans avec FX et auparavant heureuse, a voulu recouvrir les dégâts qu’elle avait occasionnés en lançant une réplique miniature du viaduc de Millau contre la porte, la veille – jour de l’anniversaire de son fils. François-Xavier ne disait mot, il se noyait dans le travail.

23 Octobre 2007. Seconde strate : noir absolu. Élisabeth n’en pouvait plus de voir du blanc. FX devenait directeur d’un projet majeur chez EDF. La peur le réveillait, en nage, de façon périodique.

2008. Troisième couche. Gris ardoise. Dernière couleur apposée par Élisabeth. À la limite de la dépression, elle a repris son poste de maître de conférences en physique, et s’est séparée de FX. Pluton a perdu son statut de planète en 2006, moi j’ai perdu celui de mère…, affirmait-elle cyniquement.

2009 à 2015. François-Xavier continuait le cycle pendant 7 ans, recouvrant chaque strate d’un gris un peu plus clair. De directeur de projet, il est devenu l’un des plus jeunes vice-présidents chez EDF. Puis, recruté par un chasseur de têtes, il est passé au privé, chez Thales, et visait le haut de la pyramide. La culpabilité s’estompait avec le temps. Élisabeth a rencontré un jeune père divorcé et refaisait sa vie. Elle et FX ne se parlaient plus, mais ne pouvaient s’empêcher de penser à l’autre, chaque mois d’octobre.

2016 à 2022. Application de couches de couleur, au gré des humeurs de FX le 22 octobre de chaque année, avec une tendance pour les teintes claires. Le sommet de la pyramide restait un point flou dans un horizon bouché. François-Xavier découvrait, admirait, puis enviait, à la limite de la jalousie, la vie de famille de ses voisins du dessous.

2023. Vert pastel. François-Xavier s’imaginait régulièrement retrouver Clovis adulte ; son estomac se nouait chaque fois, jusqu’à ressentir une douleur physique bien réelle.

La sonnerie du téléphone interrompt les réflexions de FX. Il se précipite dans son bureau pour répondre, glisse sur le parquet, se bute un doigt de pied contre un montant de la bibliothèque.

– Le test ADN est concluant…

Vertige. François-Xavier s’assoit sur un fauteuil.

– J’arrive.

– La rencontre ne peut avoir lieu aujourd’hui. Pouvez-vous passer lundi 9 h ?

– Qu’est-ce qui m’empêche de venir maintenant ?

– Je vous l’ai dit, c’est compliqué. Votre fils a été la victime d’un enlèvement, bien que ce terme ne soit peut-être plus tout à fait approprié, et après tout ce temps, une décompression s’impose. Il n’a jamais vu un téléphone cellulaire de sa vie, ne sait pas même pas ce qu’est Internet. Une psychologue le soutient. Mais votre fils est aussi un témoin, qui peut nous aider à identifier le lieu où les autres enfants disparus sont retenus.

Sueurs froides.

– OK pour lundi matin, je m’arrangerai avec mon travail. Puis-je avoir une photo, au moins ?

Toujours en caleçon, François-Xavier recherche sur Google Map l’endroit indiqué par le policier, et passe en mode Street View pour voir la façade de l’immeuble. Et si j’y allais maintenant ?

Un son annonce l’arrivée d’un email. Il prête d’abord attention aux adresses courriel des destinataires, réflexe professionnel ancré depuis des années. Quand il lit le sujet du message, il déplace le curseur pour cliquer sur la pièce jointe.

Sa main tremble.

Il expire, ouvre la photo.

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