Chapitre 1

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David marchait, confiant. Il savait que son banc l’attendait, aussi solitaire que lui. L’homme serrait son journal dans sa main droite, impatient de lire les nouvelles du matin. La veille, son voisin Christophe lui avait appris qu’une nouvelle poissonnerie-restaurant allait ouvrir au centre-ville. Il s’était promis d’y passer dès son ouverture.

Comme tous les jours, depuis trente ans, David entamait sa journée avec une marche le long de la plage. Une fois arrivé sur son banc, il s’assit, alluma sa pipe et lu son journal.

Le bruit de l’océan l’avait toujours apaisé. Il aimait observer les vagues aller et venir, laissant leurs traces dans le sable. Cette étendue d’eau restait pour lui aussi belle que dangereuse. David n’avait jamais été un grand aventurier. Lorsqu’il était enfant, il aimait explorer la plage avec son grand frère George. Ils allaient sur le sable escalader les rochers, se prenant pour des pirates à la recherche d’un trésor. Mais après une terrible chute de George due à de la roche humide, sa carrière de pirate prit fin. Après cet été de 87, David avait décidé de rester sur la terre ferme, laissant l’océan en paix.

Il aimait observer toute sorte de chose, voir d’autres personnes être actives autour de lui le rassurait. Cela lui rappelait que malgré la mort de sa femme, il y avait toujours de la vie en ce monde. Il aimait regarder les voiliers glisser sur l’eau, les cerfs-volants voler dans le ciel, les enfants construire des châteaux de sable… David aimait voir de vieux couples sur la plage dans des chaises dépliantes. À chaque fois, il s’imaginait avec sa femme Marie-Anne, si elle n’était pas partie. Il se disait qu’ils auraient pu vivre ainsi, continuer à aller à la plage ensemble chaque matin, jusqu’à la fin de leurs vies. Elle aurait continué à lire ces romans de Guillaume Musso, David aurait continué de les critiquer tandis qu’il lui aurait énoncé les nouvelles du journal.

Ils avaient vécu ainsi durant vingt-quatre merveilleuses années. David avait rencontré Marie-Anne l’été de 94. C’était un mois d’août ensoleillé, Marie-Anne était partie en vacances à Royan avec sa jumelle et une copine à elles. David passait ses étés à travailler au café de son père, Le Goéland Bleu. Tous les soirs, il partait se poser avec des copains sur la plage, boire quelques bouteilles.

Un soir d’août, les deux groupes d’amis s’étaient rencontrés naturellement. Marie-Anne et David avaient passé la soirée à faire connaissance. Le groupe s’était baladé en ville et était allé faire des manèges à la fête foraine. David avait embrassé Marie-Anne au sommet de la grande roue, en grand v romantique. Entre les deux ça avait tout de suite été le coup de foudre.

Après cette soirée, les deux groupes de jeunes avaient passé le reste du mois d’août ensemble ; David et Marie-Anne étaient inséparables. Ce qui ne devait être qu’un amour d’été ne s’arrêta pas là. À la fin du séjour de Marie-Anne, David lui proposa de rester à Royan vivre avec lui. Ne faisant aucune étude et n’ayant aucun projet d’avenir, elle accepta sans hésiter.

De 94 à 99, David passa les cinq plus belles années de sa vie. Les deux amoureux louaient un petit studio face à l’océan. David continuait de travailler les week-ends au café de son père et Marie-Anne avait trouvé un petit travail dans une épicerie au centre-ville. Ils n’avaient pas énormément d’argent, juste assez pour vivre. David et Marie-Anne avaient d’autres richesses, ils avaient une complicité que leurs amis ne pouvaient qu’envier. Ils riaient beaucoup, la bonne humeur les accompagna chaque jour durant ces cinq belles années. Ils se disputaient rarement ; lorsque cela arrivait, David allait s’asseoir sur leur banc écouter l’océan dans l’espoir de retrouver son calme. Il rentrait souvent au bout d’une heure, ce laps de temps lui suffisait à relativiser. Il retournait dans leur appartement, s’excusait même s’il n’était pas coupable, et la vie reprenait son cour.

Ce fut durant l’année 1994 que David initia Marie-Anne à sa routine matinale, routine qu’ils gardèrent durant leurs vingt-quatre années de vie commune.

En juin 99, le père de David fut emporté par un cancer le jour de la fête de la musique ; fête que David détesta le reste de sa vie. La mère de David les avait quittés quelques années plus tôt et les parents de Marie-Anne habitaient trop loin pour venir le soutenir. Le frère de David, George, était venu leur rendre visite ce mois de juin mais n’étant pas proche de son père, il abandonna David, le laissant s’occuper tout seul de l’enterrement. Ce fut pour lui l’été le plus difficile et le plus étonnant de sa vie. David eut du mal à faire son deuil : son père était, excepté son grand frère, la seule famille qui lui restait. Marie-Anne essaya de le consoler comme elle put, si bien qu’en août, elle se décida à le demander en mariage.

Marie-Anne savait que David était le bon. Le 15 août, jour de leur rencontre, elle emmena David dans la grande roue et là, au sommet, elle lui demanda de l’épouser. Son futur mari accepta sans hésitation. Cette demande en mariage pansa les blessures de la mort de son père, David reprenait goût à la vie, doucement. N’ayant que très peu d’amis, les parents de Marie-Anne, sa jumelle et le frère de David comme seule famille, le mariage fut simple et rapide. Les mariés invitèrent deux ou trois amis chacun, histoire d’avoir des demoiselles-d ’honneurs et un témoin. Ils se marièrent sur la plage au coucher du soleil. David et Marie-Anne passèrent la fin de la nuit à discuter sur leur banc, seuls au monde. Ce fut pour David une des plus belles nuits de sa vie. Tout était parfait, excepté l’absence de son père.

Après une superbe lune de miel en bateau de croisière, les jeunes mariés rentrèrent à Royan, un véritable retour à la vie réelle après ces deux semaines de bonheur. Après plusieurs mois de réflexion, David et Marie-Anne décidèrent de rouvrir le café du père de David, Le Goéland Bleu. David était le patron, et Marie-Anne servait. Le Goéland Bleu eu du mal à reprendre son envol. Le début des années 2000 fut compliqué pour les affaires : David et Marie-Anne n’avait pas assez pour payer un autre serveur, ils étaient en sous-effectif. Les revenus du café se stabilisèrent en 2007, et la vie continua son cours.

David et Marie-Anne passèrent onze années de calme et d’amour. Le café fonctionnait, ils avaient récupéré la maison du père de David, qui était bien trop grande pour eux deux. David et Marie-Anne restèrent ensembles et heureux, à vivre sur la plage et sur leur banc jusqu’à l’année 2018.

Un samedi de juillet, Marie-Anne partie se baigner en début d’après-midi pendant la sieste de David. Sa femme partait souvent nager dans l’océan Atlantique : elle, était une aventureuse. Lorsque David décida de la rejoindre en fin d’après-midi, il ne trouva pas sa femme sur le bord de la plage. Il essaya de l’appeler, retourna chez lui vérifier si elle n’était pas rentrée sans le prévenir. Lorsqu’il arriva au Goéland Bleu, il reçut un coup de fil d’un maître-nageur lui disant de venir à la plage. David ferma le café et courut jusqu’à l’océan rejoindre les maîtres-nageurs. Sa femme était sur le sable, inerte : elle ne respirait plus. Un des maîtres-nageurs expliqua à David que sa femme avait été prise dans un rouleau et qu’ils avaient aperçu son corps flottant jusqu’à la plage. Le temps de la ramener sur la rive, Marie-Anne ne respirait déjà plus. Ce jour-là David perdit ce qui lui était le plus cher. En voyant sa femme allongée dans le sable, sans-vie, son cœur se déchira en mille morceaux. Il n’avait jamais ressenti pareille douleur, même après la mort de son père. Ce 19 juillet, David ferma le café pour toujours. Le soir, il alla s’asseoir sur leur banc avec une bouteille de Whisky ; il passa la soirée à boire, incapable d’arrêter de pleurer. Ce jour-là il comprit que sa raison de vivre s’était envolée ; elle avait rejoint son père et David se retrouvait totalement seul, effaçant tout être-humain autour de lui.

À partir de ce jour, il sut que les plus belles années de sa vie étaient derrière lui. Il prit sa retraite, et arrêta toute activité ainsi que tout contact physique. Il continuait seulement de parler avec son voisin Christophe, bien qu’il n’en eût pas vraiment l’envie. David continuait leur routine matinale, il allait marcher tous les matins et s’asseyait sur leur banc, lire son journal et fumer sa pipe. Il parlait à sa femme, bien qu’elle ne soit plus là.

Alors comme tous les matins, David continuait de vivre, bien qu’aucune émotion ne traversât son corps. Il respirait, comprenait, mais toute envie de vivre avait disparu de son âme depuis cet après-midi de juillet 2018. Il ouvrit son journal et vit l’annonce de l’ouverture de la poissonnerie-restaurant Le pêcheur du lundi ; il se promit d'y aller le lendemain.

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